La panique s'installe
L'Europe et le monde en général n'ont jamais quitté la situation de panique depuis la chute de Lehman-Brothers. Plus aucune décision financière n'est prise de façon rationnelle depuis cette date. La peur conduit les comportements. Faute de toute solution collective réellement adaptée aux causes réelles des difficultés, les différents sparadraps mis à la hâte sur les plaies se décollent aussi vite qu'ils ont été posés.
La panique est à son maximum en Grèce où le spectre d'une sortie de l'Euro a pris de la densité après les élections de colère qui viennent d'avoir lieu. Pas de majorité ; pas de gouvernement ; pas de solution à la crise de la dette grecque. La peur panique est là qui stimule le goût de la sanction électorale et d'une forme de nihilisme.
Que faire de ses actifs liquides en Grèce ? Tout l'immobilier européen est dopé par les fuites de capitaux grecs qui tentent de s'investir dans quelque chose d'un peu solide. Les banques de dépôt grecques voient les déposants retirer leurs avoirs à flot continu. Ils craignent à juste titre la solution expérimentée lors d'une crise similaire en Argentine. La monnaie y était alignée sur le dollar et les Argentins avaient le droit de disposer de comptes en pesos et en dollars, la parité étant assurée dans le cadre d'un "currency board".
Lorsque cette parité n'a plus été tenable, les autorités ont mis en place un "corralito" c'est-à-dire un droit à un montant minimum de tirage sur les comptes qui couvrait à peine les besoins de subsistance, puis on convertit le reste en monnaie dévaluée.
Menacé d'un pareil blocage avant spoliation les Grecs sortent tout de leur banque aggravant la situation du pays et amplifiant la menace.
C'est la caractéristique propre de la panique.
Il ne faut pas croire que cette panique ne concerne que la Grèce. La "décollecte" de l'assurance vie, en France, un joli mot pour une fuite devant la monnaie, correspond aux mêmes ressorts. Quant aux banques italiennes, leur bilan est maintenant à 80% accoudé à la BCE. Une situation jamais vue nulle part. Le Franc suisse est à nouveau sous pression, en même temps qu'une fuite généralisée fait chuter le cours de l'Euro contre toute monnaie
Il y a trois ans nous avions sur ce site dénoncé le risque créé par l'impatience des peuples devant la déflation et déjà évoqué la peur panique du "corralito". L'absence à peu près totale de réponse cohérente aboutit au pire. Que de temps perdu ! Que d'argent perdu ! Que de risque pris !
Et aucune proposition sérieuse pour en sortir.
Rappelons que le seul moyen de sortir de cette crise mondiale est de rétablir une monnaie de référence internationale avec laquelle les différents pays s'engageront d'avoir un taux de change fixe bien qu'ajustable par accord général. Chaque pays aura alors à défendre son cours de change par tout moyen quitte à mettre certaines barrières aux mouvements de capitaux à court terme.
Seul ce cadre général a permis de liquidité l'endettement massif global hérité des années trente et quarante. Aujourd'hui encore, il forme la SEULE solution pour une sortie concertée de la crise globale de la dette.
C'est la seule qui permette de jouer sur tous les leviers de réduction de dettes à la fois : un peu d'inflation, un peu de relance, un peu de restructuration de dettes, un peu de rééchelonnement. Cette politique ne peut réussir que si elle est concertée et que si tous les états jouent le jeu. Et elle demandera de la durée.
Une totale liberté des mouvements de capitaux et des changes flottants ne permettent aucun ajustement réel. La formation des prix sur les marchés monétaires et de capitaux en cas de panique ne réponds à aucune rationalité et au contraire amplifie la panique. Un passerelle en caoutchouc en cas de panique ne fait qu'éjecter ceux qui s'y sont aventurés. Un pont en béton est nécessaire mais avec des joints de dilatation résistants.
Tout le monde devrait comprendre aujourd'hui que l'introduction dans le monde des changes flottants, associés avec une liberté quasi totale des mouvements de capitaux, d'un côté, et la mise en place d'une monnaie unique en Europe, ont été les deux mesures tragiques qui ont conduit l'économie mondiale là où elle est.
Aurait-on gardé le système de Bretton-Woods et mis en place en Europe une monnaie de référence avec un rapport fixe mais ajustable des monnaies nationales, nous n'en serions pas là.
Après avoir mis la charrue avant les bœufs en créant une monnaie unique les fédérolâtres européistes hurlent : "fédéralisme, fédéralisme, fédéralisme", comme des cabris, comme si plus de poison avait jamais guéri un intoxiqué.
Une monnaie unique européenne a-t-elle une chance dans un système mondial de changes flottants sans coordination générale et centralisée des politiques nationales de la zone euro ? La réponse est non.
Une monnaie unique européenne a-t-elle une chance dans un système mondial de changes flottants avec coordination générale et centralisée des politiques nationales de la zone euro ? La réponse est aussi non.
Une monnaie unique européenne a-t-elle une chance dans un système mondial de changes fixes sans coordination générale et centralisée des politiques nationales de la zone euro ? La réponse est "probablement pas".
Une monnaie unique européenne a-t-elle une chance dans un système mondial de changes fixes avec coordination générale et centralisée des politiques nationales de la zone euro ? La réponse est "peut-être".
Le coût élevé à tout point de vue de la perte quasi-totale de souveraineté ne garantit rien. A peine un "peut-être" si les autres veulent bien réformer le système monétaire international.
Il valait bien mieux laisser chaque état défendre la valeur externe de sa monnaie dans un système de changes fixes mais ajustables. On aurait aujourd'hui la possibilité de rétablir les différences de compétitivité intra européenne par un réajustement des taux de changes au lieu de chercher indéfiniment à obtenir la même chose par une déflation mortifère.
Pour l'Italie et la France, ce sont des dévaluations de 15 et 12% qui seraient nécessaires, pas beaucoup plus, sachant que l'Allemagne réévaluerait de 10%. Pour la Grèce, on sait qu'il faudrait plus de 50% de dévaluation, 30 pour le Portugal et 20 pour l'Espagne. Ceci ne serait efficace que si dans le même temps le dollar était légèrement dévalué (environ 7%) et les monnaies des pays fortement excédentaires réévaluées (Yuan de 25 à 30% , Won de 15 à 20%).
Ces mesures monétaires accompagnant le passage à un système généralisé de changes fixes mais ajustables par concertation générale, avec surveillance des situations d'excédents ou de déficits massifs par le FMI, est la SEULE chance de voir le monde repartir en croissance effective avec élimination progressive de la dette accumulée.
2007-2012 : déjà cinq ans de panique et de régression globale. Et cette vérité toute simple n'est même pas entraperçue ! De quoi vont parler les différents G.x qui ont lieu actuellement ? De rien d'utile naturellement sinon des vœux pour plus de flexibilité des changes ! Zeus c'est bien connu aveugle ceux qu'il veut perdre.
Faut- il attendre encore cinq ans de demi mesures et d'expédients pour que le monde comprenne ? Où est-ce la réalité qui par des explosions successives va imposer dans la douleur les réformes nécessaires ?
Didier Dufau pour le Cercle des économsites e-toile
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Une réforme monétaire à l'intérieur de la zone euro pour faire face à la déroute en cours : https://docs.google.com/open?id=1SHyqFdyyJpahRiS9M.... Ce texte va peut-être reparaître dans le Cercle des Echos : http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/fi...
Qu'en pensez-vous ?
Les deux pistes possibles sont soit la sortie de l'Euro pure et simple, avec des accords plus ou moins satisfaisants avec le reste de l'Europe, soit la création temporaire d'une monnaie bis, sans abandon formel de l'Euro, avec une gestion sous mandat de l'Eurogroupe.
Nous sommes favorables, comme nous l'avons écrit dans différents articles sur ce blog, à la seconde solution. Le gouvernement grec est financé en une monnaie temporaire dont le volume est fixé par la BCE et le change vis à vis de l'Euro par l'Eurogroupe. Les comptes en euro sont bloqués, sauf pour payer des créances non grecques. Les euros provenant des échanges sont centralisés par un office des changes. L'amortissement du reliquat de dettes en Euros est confié à une caisse d'amortissement. La dévaluation de la monnaie temporaire permet la reprise des exportations et des mouvements vers la Grèce (achat de biens durables , de biens de consommation, vacances etc.). Les biens détenus par les Grecs en Euro à l'étranger sont convertis en monnaie provisoire au taux choisi et doivent être rapatriés sous menace de confiscation. Tout grec voulant rapatrier des fonds en euros est obligé de les convertir en monnaie provisoire.
Ce système évite que la dette en Euro soit immédiatement converties en monnaie locale avec une hausse équivalente à la dévaluation. L'état grec empruntant dans sa monnaie locale n'est plus à merci des créanciers étrangers. Il est inutile de créer des euros pour le financer. Le spectre de la faillite disparait.
Quand la machine sera repartie, l'amortissement de la dette en Euro se fera naturellement, même s'il faut encore la réduire un peu (prendre sa perte) et allonger les délais. Il n'y a aura plus de déflation socialement inacceptable.
A terme, le carcan européen pourra être être déserré et la monnaie locale éliminée avec retour à l'Euro.
Ce mécanisme dessine un moyen général de gestion des écarts excessifs de productivité pour des pays défaillants sans passer par la déflation. Un peu de souplesse est insérée dans la rigidité de l'Euro.
Il aurait été évidemment préférable de mettre en place une unité de compte en europe avec des monnaies nationales disposant d'un change fixe mais ajustable plutôt qu'une monnaie unique. Nous l'avions écrit à l'époque sans aucun écho. Notre solution revient au même mais dans un cadre politique différent.
Si votre solution va dans ce sens, elle est bonne !
First things first !
Sur le fond nous disons la même chose en donnant notre préférence au maintien de la Grèce dans l'euro par un découplage en drachme des prix grecs par rapport aux prix du reste de la zone euro. Ce que je propose (http://0z.fr/hsLSx) est une reformulation de la théorie monétaire qui permette une institutionnalisation par l'euro des changes fixes mais ajustables entre des systèmes nationaux différents de régulation financière publique et privé.
Comme vous le dites, si les prix grecs peuvent être dévalués en euro le temps nécessaire pour un redémarrage de la croissance qui rembourse les dettes extérieures aux non-résidents, alors il est possible que la Grèce revienne à terme à la parité euro de une drachme pour un euro. Ce qu'il faut absolument conserver, c'est la parité monétaire négociable euro-drachme afin que le change soit un fait de politique européenne inter-étatique et non une décision financière privée déterminée par les intérêts bancaires ou des intérêts nationaux de certains États européens en position hégémonique sur l'Union.
Je crois comprendre de vos analyses approfondies de l'histoire monétaire mondiale depuis Bretton Woods que vous posez les parités de change comme des outils internationaux et inter-étatiques de régulation du crédit et donc de la masse monétaire mondiale. Nous voyons bien que la mal nommée "politique monétaire" de la BCE a perdu toute consistance avec la réalité économique faute d'ajustement possible de la dette des États par des parités de change internes à la zone euro.
De votre analyse, je tire qu'une dette publique n'a pas la même nature qu'une dette bancaire ou privée. Une dette publique est de nature assurantielle systémique : cela est illustré par le débordement mondial des dettes publiques à la suite de la faillite systémique des subprimes. C'est la raison pour laquelle, la politique européenne de réduction des dettes publiques n'a aucune efficacité économique possible tant que le système financier n'est pas réformé ; tant que la prise de risque des banques n'est pas limitée par le capital fiscal des États qui sont les actionnaires systémiques des banques à travers les banques centrales.
Comme nous voyons que l'incapacité des banques à gérer leurs limites de risque vient de leur capacité à agir extra-nationalement en dehors des périmètres nationaux ou multinationaux de régulation publique, la constitution de marchés monétaires régionaux étatiques ou inter-étatiques est la seule possibilité d'obliger les banques à proportionner leurs risques de crédit intérieurs ou extérieurs à une macro-mesure objective de la croissance économique sur laquelle elles s'adossent.
Le marché monétaire numérisé en drachme sans émission de monnaie fiduciaire obligerait les Grecs et les Européens à des équilibres de prix différentiables permettant l'équilibre des échanges économiques et financiers à long terme. Un marché monétaire central en euro indépendant de la BCE et contrôlé par l'Autorité Européenne des Marchés Financiers obligerait les Etats nationaux et les banques de la zone euro à négocier et mutualiser leurs risques sur la Grèce en tenant compte des potentiels économiques et fiscaux de la Grèce et de toute la zone euro.
L'euro-marché européen central indépendant des banques serait la chambre de compensation européenne des risques de change entre les États nationaux, des risques de crédit et de capital sur l'ensemble de la zone euro. Cet euro-marché serait un marché international de capitaux sous contrôle public européen garanti par une fiscalité financière alimentant un capital public de sûreté systémique. Ce capital serait géré par la commission européenne sous contrôle du conseil européen transformé en sénat et du Parlement Européen muté en Assemblée législative de l'Union. L'UE explicitement confédérale rétablit une responsabilité politique multinationale démocratique sur la monnaie et la finance...
Cette réforme européenne de la monnaie pour construire un ordre politique qui conserve la Grèce dans l'euro vous paraît-elle viable ?