La « société durable » : le nouveau masque de l’anticapitalisme primaire
Depuis mai 1968 on sait qu’il y a une composante « révolution culturelle » dans la gauche internationale. On la croyait disparue depuis que l’horreur des crimes des Khmers Rouges a été jugée génocidaire, comme, enfin, les atrocités commises par Lénine, Trotski et Staline, notamment en Ukraine. La reconnaissance désormais générale des massacres ahurissants qui ont accompagné le règne de Mao a laissé le maoïsme en lambeaux. Bien sûr certains se flattaient, encore récemment, fume cigarette à la main, d’avoir fourni des petites occidentales blondes au Grand Timonier. Et de glousser ! Mais l’effondrement plus général du communisme avec la fin de l’URSS n’a pas arrangé les choses. La pulsion de destruction de la société existante pour une utopie motivante pour les assassins de masse ne trouvait plus trop à s’employer.
On l’a vu un peu renaître avec le culte de l’ignoble Prachandra ou les horreurs des Farc, un temps sacralisés par le journal le Monde. Mais même ces rigoles de crimes abjects ont fini par lasser à l’extrême gauche et dans les milieux germanopratins. L’Europe de l’élimination du « bourgeois » est encalminée, trouvant un bien faible refuge dans la culture subventionnée.
Aux États-Unis, la radicalité a toujours été plus forte qu’en Europe. Depuis le maccarthysme, il n’y a plus eu de parti Communiste. En Europe, il fixait la limite à ne pas trop dépasser. On savait quand on entrait dans l’ignoble et dans le crime. On faisait semblant de croire que la parole mensongère de Jean-Paul Sartre, entre deux masturbations au premier rang du cinéma porno de la rue Delambre, avait une valeur quelconque et lui-même faisait semblant de croire que l’URSS était un bienfait. Un temps étrange.
Rien de tel aux États-Unis. L’inspiration n’est pas socialiste. Les militants poursuivent le Bien de façon presque religieuse. La coercition sociale est un moyen habituel comme l’éjection de la société, ce qui n’était pas du tout le cas en Europe où le souvenir des guerres de religion a très longtemps laïcisé et étatisé la contestation. Le bannisement était banni.
La lutte pour la reconnaissance de la responsabilité occidentale de la Shoah y a été un énorme succès. La série télévisée Holocaust a déclenché un véritable tsunami d’émotions. La tragédie des exterminations juives voulues par Hitler, qui dans l’immédiat après-guerre ne pouvait pas être distinguée des massacres et exactions commises sur l’ensemble de la population française, chaque Français ayant une claire conscience des pertes et des souffrances infligées par l’occupant nazi, a été singularisée sous le nom de Shoah. On cessa de parler de « système concentrationnaire » appliqué par les Nazis, le Japon, l’URSS et la Chine à quantités de segments de population. Accompagnée par la production de nombreux films et livres, la Shoah devint le fait le plus important de la seconde guerre mondiale et la responsabilité des populations non juives fut lourdement stigmatisée. Un livre comme celui de Paxton a développé l’idée que l’ensemble des Français, sauf quelques justes, et tous les gouvernements du Maréchal Pétain, s’étaient en quelque sorte lavé les mains du génocide, et que la responsabilité collective était la cause de "l’énormité" des massacres. La communauté juive devenait non pas la victime d’Hitler mais celles des mauvaises pensées antisémites occidentales. L’aspect pénitentiel coIlectif après une telle "complicité" est devenu envahissant. Le devoir de mémoire et de pénitence s’est imposé dans les médias et l’édition, où la Shoah est devenue un compartiment de la production littéraire. Politiquement, en ont résulté des conséquences juridiques dont on voit aujourd’hui qu’elles sont fâcheuses : on a aggravé les peines lorsqu’il s’agissait d’une victime juive ; la « provocation à la haine » est devenue un délit l La contestation de certains faits historiques a été interdite. Ces trois mesures étaient totalement contraires aux principes Républicains d’égalité. Tous les citoyens sont égaux en droit et personne ne l’est un peu plus que les autres. La liberté de parole est considérée comme fondamentale. Le délit de provocation à la haine est contestable. Généralisé il revient à réduire la population au silence. Culpabiliser toute la population française jusqu’à la fin des temps était plus que contestable. La demande d’indemnisation des victimes non plus directes mais de la Communauté juive comme telle plusieurs décennies après la guerre est également totalement exorbitante des règles usuelles. De plus l’enseignement public a été chargé de perpétuer la lutte contre l’antisémitisme en exaltant l’émotion autour de la Shoah. Elle est devenue si dominante dans l’enseignement de l’histoire qu’on verra certains livres scolaires d’histoire consacrer 50 pages à l’extermination des Juifs d’Europe centrale et deux lignes à l’extermination des Koulaks, en insistant qu’ils avaient été la victime d’eux-mêmes, alors que ce dernier massacre a tué près de 10 millions de personnes. Une guerre mémorielle inégale s’est mise en place tournant au combat idéologique, ce qui ne pouvait que nuire à la cause juive à long terme, comme l’a très bien vu Éric Zemmour.
La conséquence la plus nécessaire a été la prise de conscience de la singularité du génocide juif et de l’obligation d’en finir avec un antisémitisme latent notamment dans les milieux catholiques peu favorables au peuple qui avait tué Jésus !
La conséquence la plus problématique a été la création d’un statut de victime officielle avec des protections juridiques particulières exorbitantes du droit commun et une propagande scolaire envahissante.
Le Wokisme américain, sans limite, va généraliser l’optique victimaire. La conséquence on la voit très clairement :
- Généralisation des catégories de victimes
- Réclamation du même statut victimaire que les Juifs : loi contre la haine, recherche active des vilains et exclusion sociale, peines supérieures lorsqu’on s’attaque aux victimes concernées, endoctrinement scolaire et dans les médias publics et actions répétées "politiquement correctes" en vue de faire tomber les préjugés, indemnisation des « communautés ».
Comme il n’y avait plus d’Hitler, il a fallu culpabiliser quelqu’un : ce sera l’homme blanc hétérosexuel, devenu la cause de tous les malheurs ayant accablé nos nouvelles « victimes ».
Au nom de la lutte contre l’oppression, il fallait opprimer les oppresseurs, et dans l’optique puritaine et plus généralement protestante propre aux Anglo-Saxons surtout aux États-Unis et au Canada, ne pas hésiter à les bannir de tout espoir de survie dans la « communauté des bons et des bienveillants ». Le bannissement social et la ruine ont remplacé le génocide comme instrument de promotion d’une société purifiée. Plus question du slogan « il est interdit d’interdire ». Ceux qui ne veulent pas répéter les vérités sacrées doivent être chassés. On a vu revenir les piloris maoïstes mais sans arrachage des yeux. Les déchaînements ad hominem veulent la mort sociale du dissident lynché. Au malheureux de savoir si cette mort sociale doit se traduire par un suicide. Cette forme d’action politique était largement inconcevable pour une certaine gauche française qui voulait bien la révolution mais sans les Sorcières de Salem. Faute de grives on prend des merles. Et faute de Marx et Lénine, il lui a bien fallu se satisfaire de Savonarole.
Curieusement, la réclamation écologique, basée sur la déification d’une nouvelle victime, la nature sacralisée, dont l’homme prédateur est exclu, est venue s’ajouter à la liste des combats contre les vilains.
Là aussi on retrouve une culpabilisation larvée de tout le monde, dont on ne peut se laver qu’en devenant un adepte sectaire luttant contre le capitalisme prédateur. L’homme est coupable au tribunal des oiseaux, des insectes, des gros mammifères, des poissons. Honte à lui qui signe en plus son suicide en tuant le vivant !
Apparaît aujourd’hui un nouveau concept qui permet d’unir toutes les réclamations anticapitalistes mais sans les massacres. Une forme de stalino-mao-centrisme ! Il permet de crier à nouveau : « tous, tous, tous ensemble contre le capitalisme » et pour une nouvelle société mythique : la société durable.
Ah ! ce merveilleux concept de « société durable » qui fait tomber toutes les oppositions et ouvre à nouveau de belles perspectives soviétiques ! Le capitalisme étant infect et destructeur, il ne peut pas durer. Donc il faut le remplacer. C.Q.F.D. ! La destruction du capitalisme devient à nouveau le moyen de construire la cité radieuse, car seule la cité radieuse peut durer. Et comme tout le monde se mobilise pour le durable afin de sauver l’espèce et le monde vivant, les petits oiseaux et les éoliennes deviennent le moyen d’adhésion de masse aux moyens les plus brutaux de chirurgie sociale, sans même avoir à invoquer Marx, Lénine, Mme Ceaucescu, Che Gevara ou quiconque. Seulement l’abbé Pierre,Coluche et Angela Davis.
Pour ne pas reprendre la terminologie un peu usée du gauchisme, un nouveau vocabulaire s’élabore, autour du terme de transition, remplaçant celui de révolution. La révolution c’est violent. La transition c’est gentil. Gentil mais indispensable. La nouvelle doctrine propose un nombre presque infini de transitions, au nom desquelles on peut tout détruire progressivement par la brutalité étouffante des lois et par le « shaming » et le « naming ». Adieu les libertés et la propriété au nom d’un bien supérieur ! Tellement supérieur ! Et en prime, il n’est plus nécessaire d’essayer de justifier des massacres effarants. Le must ! Voici donc le révolutionnarisme qui s’empare :
- De La transition énergétique. Adieu logement et voiture.
- De la transition démographique : adieu bébés et vive la submersion des immigrés
- De la transition naturaliste : vive les animaux et au pilori l’homme satanique
- De la transition multiculturelle : la culture de l’altérité exige qu’on sacrifie la sienne propre
- De la transition de genre : la question clé devient l’avenir glorieux du transgenre
- De la transition visant la fin du privilège occidental qui a causé l’esclavage et la colonisation. Ceux-là, c’est-à-dire, nous, cela suffit !
- De la transition visant l’égalité absolue sans laquelle rien n’est durable : la révolte contre la plus grande richesse de l’autre est légitime car elle compromet l’avenir apaisé de la société.
- De la transition visant la fin des esprits libres et le respect absolu du « logos transitionnel ». À quoi sert la liberté de penser si elle n’est pas asservie au bien commun et compromet la durabilité de la société magique ? Une antique question posée depuis le début des religions.
- De la transition visant la fin de la propriété qui aliène le bien commun. Il faut en finir avec la passion d’avoir. Avoir c’est se saisir d’une partie de la nature et du bien commun pour de viles satisfactions individuelles.
- De la transition visant la fin des nations et le nationalisme qui aliène les peuples, du moins en Occident. Ailleurs, on s’en fout ! Même si des dictatures nous menacent.
Toutes ces transitions sont l’occasion de remettre au goût du jour des recettes bien connues du bloc soviétique, le tout aligoté avec des pratiques bureaucratiques bien de chez nous. Surtout elles permettent de faire croire à tout sympathisant de l’une ou l’autre de ces transitions qu’il faut voter pour une coalition mêlant toutes les formes actuelles de luttes LGBT, wokiste, avec en prime le reliquat du socialisme et des partisans de l'action violente pour la nature.
On retrouve toutes les dimensions du slogan « du passé faisons table rase », mais par une transition, pas par une révolution. On retombe dans une société de la religiosité et du catéchisme. Les grenouilles de bénitiers médiatiques sont devenues harceleuses de réseaux sociaux. La théologie de révolution cède la place à une théologie de la transition.
La transition vers le meilleur des mondes se drape dans les oripeaux idéologiques de la marche vers la « société durable » !
En vérité, c’est un pur suicide mais assisté par les bons sentiments et dans la joie et la bienveillance active. Le Dieu Baal n’a qu’à bien se tenir.
La décroissance n’a pas de fin heureuse, la dépopulation n’a pas de fin heureuse, la jachère agricole ne porte aucun espoir, l’égalitarisme dans la pauvreté, on a vu le résultat dans le bloc soviétique, la démoralisation des hommes et leur avilissement ne mènent pas aux lendemains qui chantent, la baisse de l’influence occidentale ne mène pas à la paix, la perte du droit de propriété permet de tuer la liberté, et les génuflexions devant l’islamisme ne sauraient en changer la nature. La coercition sociale est une horreur et le retour des tribunaux de la pensée n’ouvre pas sur un avenir radieux.
La « société durable », telle qu’elle sert de devanture aux mouvements anti bourgeois et anti capitaliste, est l’exemple d’oxymore le plus pur. La « société durable » c’est le nouvel « habit neuf des héritiers du président Mao ».
L’aspect auto régressif de ce système de pensée est prouvé par le retour de bâton qui touche la Shoah. L’invraisemblable crime contre l’humanité commis par le Hamas le 7 octobre 2023 a été classé en acte de résistance par les militants Woke des universités américaines comme par la Nupes mélenchonienne. Un nouvel antisémitisme massif est sorti du Wokisme exigeant qu’on libère un nouveau peuple martyr de substitution, le peuple palestinien. L’islam est violent et le statut de dhimmi n’est peut-être pas le plus joyeux ? Qu’importe ! L’Oumma veut soumettre l’ensemble du monde ? Qu’importe ! Le mouvement victimaire se retourne contre lui-même et glorifie le bourreau à la tronçonneuse qui découpe des enfants et envoie la vidéo à ses parents pour passer un moment festif exceptionnel !"Bravo mon fils, comme tu découpes bien" !
Plus d’enfants, plus d’amour, plus de prospérité, plus de croissance, plus de culture, plus d’histoire, plus de futur… La « cancel culture » a mis tous les vautours noirs ou rouges d’accord. Sur la table rase, ne construisons plus rien. Le meilleur des mondes, la société durable, c’est la mort de l’humanité ravageuse, cette singularité anti naturelle et maudite depuis toujours. Cette idéologie suicidaire entend dépasser les gouvernements et s’imposer par l’intermédiaire d’organisations internationales occidentales ; ONU, Union Européenne, l’OMS, le GIEC doivent l’emporter sur les États, survivance du passé honteux de l’humanité.
Pour les esprits libres et les défenseurs de la trajectoire majestueuse de l’humanité, le temps de la bataille pour les libertés, pour les progrès dans tous les domaines et pour la prospérité, individuelle et collective, revient. Elle passe par une remise en cause du détournement du concept de « transition » pour contraindre et détruire. La grande urgence est là. La pulsion de destruction de la société existante pour une utopie motivante a retrouvé de l’élan.
La société du râble à qui on fait le coup du lapin n’est pas durable.
Il faut mobiliser contre cette nouvelle pieuvre attentatoire à tout ce qui a fait l’intérêt de la pensée française et de son apport à la civilisation et qui nous mène au néant.
Didier Dufau pour le cercle des économistes e-toile.