C'est l'heure de sonner le tocsin

La panique qui a gagné les Grecs disposant de comptes bancaires pourrait paraître paradoxale. Pourquoi transférer ses comptes libellés  en euros en Grèce pour les retrouver en euros ailleurs dans l'Euroland ? Il est vrai que beaucoup ne les ont pas simplement transférés hors de Grèce et les ont converti, principalement en Franc Suisse. On a donc vu le Franc Suisse s'apprécier notablement. Par spéculation pure ? Peut-être mais plus surement par peur de la sortie de la Grèce de l'Euroland. 

Que se passerait-il si la Grèce sortait de l'Euro ? Aussitôt les autorités devraient prendre une décision sur la transformation des actifs libellés en Euros. Il faut bien voir que les comptes en euros sont de simples lignes d'écritures et pour obtenir de la liquidité en euros il faut que les autorités y consentent. C'est la banque centrale qui les fournit sur demande aux banques.

Elles auraient deux possibilités :

* Faire comme l'Argentine et créer un "corralito" : les Grecs pourraient obtenir de la liquidité en euros mais à concurrence d'un maximum.

* Imposer une conversion forcée des comptes avec contrôle absolue des changes, les euros restant à la banque centrale comme réserves.  Un blocage temporaire des prix éviterait une hausse corrélative immédiate des valorisations en Drachmes.

Dans tous les cas les Grecs ont intérêt à utiliser les facilités actuelles de convertibilité totale pour aller se protéger en Suisse ou ailleurs. Ce qui est intéressant c'est de voir comment réagira un pays où ce mécanisme se généraliserait. Les banques se retrouvent aussitôt sur le sol grec en crise de liquidité.  Il n'y a pas de différence avec une panique bancaire classique où on craint pour sa banque. Cela force donc la BCE à alimenter en liquidité toutes les banques grecques.  Il n'y a plus de marché interbancaire pour les dites banques qui ne peuvent trouver aucun secours des marchés européens ou mondiaux .  On se retrouve avec la situation nées des subprimes. Le "crédit crunch" est inévitable. Crédit est mort en Grèce.

Si on regarde maintenant les acteurs du jeu économique, ils sont dans la même situation qu'en cas d'hyperinflation. Tout argent qui entre est menacé de façon plus ou moins imminente si on le dépose en compte en Grèce. Dans l'industrie et le grand commerce la solution est facile : l'argent est viré directement de compte étranger en compte étranger sans repasser par les banques locales, même si les prestations sont locales. On a dissociation du circuit physique et du circuit financier.  Dans le petit commerce la situation est plus compliquée. Il faut bien encaisser de la liquidité. On ne la dépose simplement plus en banque pour qu'elle reste insaisissable. On pense qu'on pourra toujours recycler ses billets dans le reste de la zone euro si la Grèce sort de l'Euroland.

Dans tous les cas la monnaie ne retourne plus aux banques et les difficultés se cumulent.A quand une belle faillite de banque en Grèce ?

Ceux qui pensent que le seul problème grec est de nature budgétaire se trompent radicalement. Il est budgétaire et bancaire et la source des tourments conjoncturels est directement liée au système monétaire international, même si la gabegie budgétaire grecque est évidente (elle est à peine supérieure à la gabegie  française...).  

Si on généralise à l'Espagne et au Portugal, le tournis arrive très vite. Ce n'est plus 120 milliards qu'il faut mobiliser mais dix fois plus. Si les Portuguais et les Espagnols vident leur compte pour les mettre en Suisse, l'Euro s'effondre et le Franc Suisse gagne les sommets.

La BCE ne pourra plus suivre et des faillites bancaires sont inévitables. On verra alors que la prétention des banques françaises à avoir été  des modèles de sagesse volera en éclat avec l'accumulation des prêts non recouvrables. D'où nouveau crédit crunch, nouvel arrêt du marché interbancaire . Le Mistigri est revenu. 

Au passage la situation commencer à ressembler étrangement à celle qui prévalait au début des années trente.  La relance de la récession vers la dépression s'est faite par des crises monétaires pas par des phénomènes commerciaux.

Juste pour mémoire rappelons que la France fut de tous les pays industrialisés celui qui perdit le plus à la crise de 29. Pourquoi ? Parce qu'elle a simplement manqué de sang froid. Enchaîner déflation, sans la patience du résultat, agitation politique extrêmiste, dévaluation sans aucune politique d'accompagnement, dérives budgétaires, réduction du temps de travail, luttes sociales, a littéralement sabordé la France. La crise y coûtera l'équivalent de la guerre de 14 !

On voit aussi l'énorme erreur qui a été commise entre 2007 et 2008 de ne pas changer radicalement le système monétaire international avec une mise au pas tout aussi radical des mouvements de capitaux. Ce qui n'a pas été fait de façon concertée et rapide à l'époque se fait au fil de l'eau et par des crises à répétition.

On s'est contenté de lâcher les vannes de la monnaie banque centrale et de dévergonder les déficits bugétaires. Et le monde se retrouve grosjean comme devant avec des financiers molochs en pleine forme destructrice, qui sont capables de mobiliser des centaines de milliards en quelques semaines,  et qui depuis longtemps ne s'intéressent plus au commerce et à l'industrie  mais aux gros coups spéculatifs potentiels.

L'Euro peut-il exploser ? A l'évidence oui. Si la réaction en chaîne de la méfiance se met en marche cela peut même aller très vite.  Il ne faut pas croire que seul l'Euro serait touché. La réaction en chaîne toucherait le monde. Et à coup sûr on entrerait en dépression généralisée pour de nombreuses années.

Cela est d'autant plus dommage que sur le front de l'activité économique  avril a été même en Europe un mois de reprise forte.  On commençait partout à sortir du marasme.  La casse monétaire entraînerait aussitôt un casse écoomique et sociale renouvellée.

Que faut-il faire ?

Certainement pas essayer de convaincre "les marchés" par des mobilisations factices et des jolis mouvements de mentons. La potion qui aurait été douce en 2007 sera plus dure en 2010.  Mais c'est la même.

L'Europe doit laisser filer l'Euro par rapport à toutes les monnaies afin d'atteindre  .80 pour un dollar. Un contrôle des changes concerté doit être mis en place entre tous les pays de l'Euroland en même temps qu'un tarif extérieur commun doit être dressé  pour faire face aux importations des pays qui ajoutent dumping social et monétaire. Vis à vis de la Chine il faut arriver à quasiment un doublement du coût des importations. 

L'Euroland étant la plus grosse économie mondiale aura montré sa force et acquis une position de négociation internationale. Elle est assez robuste et diversifiée pour soutenir le choc.  La spéculation  internationale sera totalement désarmée.  Les mouvements de capitaux à court terme seront provisoirement réduits aux opérations associées au commerce.  L'Europe n'a pas besoin des capitaux américains ou chinois et encore moins de leur offrir les joies faciles des gains spéculatifs extrêmes.  En même temps doivent être créées deux structures européennes :

* La haute autorité européenne de gouvernance éconoimique et budgétaire avec comme pouvoir de déterminer les éléments globaux des budgets nationaux des pays de l'euroland (masses et impasse),  de faire tous les contrôles nécessaires en liaison avec Eurostats et de définir les politiques globales à suivre pour l'ensemble de la zone.  Les assembléees nationale peuvent débattre du contenu des budgets pas de leur volume ni de leurs déficits.

* La délégation à la réforme du système monétaire international avec comme mission d'obtenir une réorganisation globale du système sur la base d'un système paritaire sans monnaie nationale servant de pivot ni droit de veto d'un des membres, étant entendu que seuls des blocs monétaires seraient représentés à chaque pour chaque sphère économique de s'auto organiser. 

La BCE se verrait pour sa part doter de la supervision d'un Fonds monétaire européen avec pouvoir discrétionnaire sur l'ensemble des banques et des institutions financières. C'est ce fonds qui représenterait l'Europe au sein d'un FMI restructuré chargé simplement de faire respecter les grands équilibres entre blocs  et d'assurer la liquidité mondiale en monnaie de comptes de type Mondio en gérant la compensation entre les grands  blocs. 

Les grands pays pétroliers ou gaziers seraient contraints à négocier des contrats d'approvisionnements à long terme avec l'Europe, étant entendu que le Mondio aurait une composante pétrolière. 

L'autre solution est de continuer comme actuellement avec les simagrées et les rodomontades habituelles, du genre "l'euro vaincra car il est le plus fort". On aboutira à la dislocation de la zone Euro et au blocage de la reprise en cours. On achèvera de mettre en l'air le commerce international mondial, et on ouvrira une période de  dix ans de chaos monétaires financiers et sociaux avec une perte de confiance totale dans les perspectives à long terme. 

Il est l'heure de sonner le tocsin !

 

Sylvain

 

Commentaire
DD's Gravatar Ce texte présenté par SD n'a pas fait l'objet de discussion préalable au sein du Cercle et ne représente pas la position officiel du Cercle.

Mais c'est une bonne base de discussion. J'invite donc nos membres à le commenter. Moi même voit quelques objections majeures.

- S'il est vrai que la peur panique de voir ses comptes convertis en une monnaie nouvelle peut entraîner des réactions violentes et massives, je doute qu'un commerce se poursuive avec des transactions dans des banques étrangères. La tendance est plutôt au blocage général après sauve qui peut. Toute la question est savoir si la confiance peut revenir vite avec le plan européen.

- Pour employer moi même souvent le concept de "peur du corralito", je le fais surtout en pensant à l'exemple funeste donné au monde par le gouvernement argentin qui a carrément bloqué les comptes couranst avant de spolier les épargnants. Sur un plan strictement technique le passage au Drachme ne demanderait pas de corralito. Les autorités donneraient un taux de conversion, point barre. La situation argentine était vraiment spéciale avec une "caisse d'émission", deux monnaies prétendument équivalentes, etc. En revanche l'exemple argentin montre bien la difficulté de faire réussir une déflation. Exemple contraire (à ce jour : la Lettonie).

- La création de la Haute autorité se heurte aux traités. Peut-on gérer la monnaie et l'économie par un traité et par des règles juridiques ? Certainement pas. C'est la faiblesse de toute la démarche de la monnaie unique depuis le traité de Masstricht. Mais ajouter au Président permanent, aux conseil européen, à la Commission et à la BCE un nouveau Haut commissaire complique tout de même un peu l'écheveau institutionnel.

- En revanche créer une délégation à la réforme du système monétaire international et au contrôle des flux de capitaux spéculatifs n'aurait que des avantages, si l'unanimité peut se faire avec le nombre de pays que regroupe désormais l'Europe. L'ennui c'est que la majorité des états européens sont alignés sur les Etats Unis et ne feront rien pour obtenir un système symétrique (c'est à dire sans privilèges américain). Et il faudrait un "blue print" d'un nouveau système. Où est-il ? Notre Cercle a sa petite idée la dessus mais nous savons bien que le tabou des changes flottants est actuellement absolu.

- L'Euro à .80 et le Yuan doublé ou triplé par des mesures administratives et le contrôle des changes ? Si la démarche n'est pas concertée elle générera des rétorsions et qui s'occupera de cela à l'échelon Européen ? La BCE ? Les traités l'en empêchent et ils ne peuvent pas être modifiés rapidement.

La vraie solution est de cibler la nouvelle réunion du G.20 qui sera présidée par la France. C'est au G.20 que l'Europe doit se faire entendre avec force. Malheureusement elle ne peut pas compter sur Strauss Kahn qui est le fantôme de l'Opéra et dont l'annonce présidentielle est une sinistre erreur. L'Europe ne peut pas plus compter sur les deux permanents qui viennent d'être investis qui sont des nains dans ce genre de débat. Pas de chef, pas d'idées, pas de plan alternatif, cela laisse certainement de la place pour une action vibrionnante de N. Sarkozy, dont les derniers propos pointent dans la bonne direction.

Mais c'est plus autour de ce qui doit se dire au G.20 qu'il faut concentrer nos suggestions plutôt que sur les questions institutionnelles, bloquées pour un moment par les traités existants.

DD
# Posté par DD | 06/05/10 23:30
KP's Gravatar Le point crucial est celui ci Les grecs doivent payer 5% sur une dette publique de plus de 100% du PIB. C'est à dire plus que ce que la croissance du PIB fournit. Comment ont-ils faire ? ET ils ont leurs dettes privées. ET ils ont des déficits publics nouveaux à financer. On ne voit pas qu'ils puissent s'en sortir sans ruiner un peu les créanciers internationaux.

KP
# Posté par KP | 07/05/10 08:08
LH's Gravatar Il est clair que chez les adeptes de M. Friedman on fait en ce moment des gorges chaudes de la situation crispée dl'Euroland. Mais en cas de tempête financière il n'y a pas de régime de changes qui tiennent. La crise 1998 en Asie l'a parfaitement montré. La Grèce n'est pas plus mal que l'Islande qui a des changes flexibles et est ruinée. Les régimes de change ne doivent pas être jugés sur leur comportement dans des tourments de l'ampleur qu'on subit aujourd'hui mais sur leur qualité en mode de fonctionnement normal.

Lewis
# Posté par LH | 07/05/10 21:30
SD's Gravatar J'admets parfaitement que le Cercle des économistes e-toile ne veuillent participer à une campagne de "je vous l'avez bien dit" en chargeant contre l'Euro et en cautionnant la spéculation. Une des raisons pour les quelles nous sommes réunis est que nous croyons tous à la nécessité de plus de solidarité européenne et plus généralement d'une mondialisation de plein emploi et non pas de pleine spéculation. L'important est de prévenir les erreurs. Et ceux qui nous lisent auront pu voir que les faits actuels n'ont rien de surprenants compte tenu du nombre d'erreurs et de mauvaises interprétations. Mais je suis d'accord que la situation est "grave mais non désespérée" et dépends entièrement des mesures qui seront prises, en Europe mais aussi dans le reste du monde. En parlant de tocsin j'appelle à l'action pas à la complaisance devant un désastre annoncé.

Sylvain
# Posté par SD | 09/05/10 20:53
Maj.'s Gravatar C'est vous qui aviez raison, Sylvain. Le tocsin sonne toujours deux fois.


Maj.
# Posté par Maj. | 20/08/11 15:05
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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