Les erreurs incroyables de M. Michel Pébereau

Le banquier Michel Pébereau a commis un discours à l'Institut de France le 25 octobre 2011 qui illustre de façon presque parfaite l'incompréhension de la situation économique qui prévaut aujourd'hui dans les milieux huppés de la finance et de l'administration françaises.

Les contresens commencent à la première ligne et se poursuivent jusqu'à la fin du texte (publié dans Commentaire n°136).

Nous n'avons pas ici la place pour en faire une critique détaillée complète. Allons à l'essentiel :

"C'est la décision de la communauté internationale dans les années 70 de s'en remettre au marché pour fixer la valeur des monnaies qui est à l'origine du basculement dans un nouveau monde financier. "

C'est vrai sauf qu'il ne s'agissait pas d'une décision. Les Allemands ont cessé en 70-71 de jouer le rôle prévu par les accords de Bretton-Woods provoquant la réduction rapide des stocks d'or des Etats-Unis.  Ceux ci ont réagi en abandonnant unilatéralement la conversion des dollars en or. Cette voie de fait n'a rien à voir avec une "décision de la communauté internationale".  Elle traduisait que justement il n'y avait plus de "communauté internationale" et chacun était libre de faire ce que bon lui semblait avec sa monnaie et sa politique monétaire. Cela revenait à un étalon dollar compte tenu de la place de cette monnaie dans les transactions internationales.  Aucun livre d'économie n'avait explicité ce nouveau modèle. Au contraire les changes flottants étaient considérés dans tous les grands manuels comme une fantaisie qu'on signalait en passant pour être complet.  On est donc entré de force dans un système inconnu à cette échelle là et dont les inconvénients allait bientôt se faire sentir.

" Ce système (les changes fixes NDLR) a éclaté à la suite des bouleversements provoqués par le choc pétrolier de 1973".

Parfaite inversion des causes. Les changes flottants apparaissent en…1971, pas en 1973. L'énorme dépréciation du dollar engendrée par le détachement du dollar à l'or a provoqué la colère des pétroliers, payés en monnaie de singe.

Ils ont profité de la guerre perdue lancée contre Israel par les pays arabes en vue de récupérer les territoires occupés depuis la guerre précédente pour  provoquer une hausse massive des tarifs.  La crise de 74 n'est pas "le premier choc pétrolier", mais "la première crise des changes flottants", la première des crises les plus graves depuis 1929. A l'époque on s'interrogeait sur les risques imminents d'une dépression de type 1929.

Face à la récession divers pays comme la France jouent la politique habituelle : relance keynésienne pilotée par les déficits étatiques. Mais là, surprise, cela ne marche pas. La relance Chirac est un échec et il faut vite appeler Raymond Barre.

Les relances keynésiennes ne fonctionnent pas en changes flottants.   La leçon sera réitérée après la récession de 1992 et celle de 2009.

"Elle (la nouvelle sphère financière) a aussi aidé les pays avancés à maîtriser le fléau de l'inflation".

Comment peut-on écrire des bêtises pareilles?  Pendant 15 ans les changes flottants ont été à la source d'une inflation à deux chiffres partout. Jusqu'à ce que Volcker siffle la fin de la récréation, au prix d'une violente récession aux Etats-Unis.  L'auteur passe d'un trait de plume sur toute la période de stagflation qui a suivi la décision américaine de 1971. Puis sur la terrible récession de 93, la véritable première récession mondiale depuis la guerre de 40 et la nouvelle "crise la plus sévère depuis 1929". 

Après cette crise  se produit un phénomène important : la chute du mur de Berlin et l'accès de la Chine au commerce mondial. Les terribles effets des doubles pyramides de crédits  ne se verront plus dans les chiffres des prix à la consommation mais dans ceux des biens durables et dans les bulles qui enflent sur tous les marchés de valeurs.  Les prix de l'immobilier s'envolent, comme les cours des bourses de valeurs, des commodities, de l'or et des métaux précieux etc.  Le dollar perd 99% de sa valeur en or.  Ces bulles explosent entre 1998-2001 provoquant une terrible secousse et parfois de véritables tsunamis financiers comme en Argentine, en Russie, et un peu partout en Extrême-Orient.

"Dans l'enthousiasme de ces années de croissance"…

La croissance mondiale moyenne baisse dans la décennie 70, puis baisse à nouveau dans la décennie 80, baisse encore dans la décennie 2000, puis baissera encore dans la décennie 2010 compte tenu de ce que l'on sait. C'est la fin des trente glorieuses et l'arrivée des quarante minables.  En attendant mieux.

Enthousiasmant ? Vraiment ?

" Par ses excès la finance porte une lourde responsabilité dans la crise".

Une fois encore, une banque ne crée pas de monnaie par elle-même. Il faut au système bancaire une impulsion, une arrivée nette de liquidité. D'où est donc venu cet apport net de liquidité ?  Là il n'y a plus personne. M. Pébereau est absent. 

Elle  n'a que deux sources principales : la politique des banques centrales et les excédents de balances de paiement. Quand la FED alimente en permanence le marché de liquidités alors que les partenaires des Etats-unis replacent leurs excédents aux Etats unis eux-mêmes, elle crée un cercle vicieux, une vis sans fin de création de crédits. Il n'y a pas d'autres explication au gonflement monstrueux des encours de dettes qui passent les 200% du PIB, puis les 300, puis les 400, presque partout, sans que personne ne rugisse de colère. Si : Maurice Allais avant de mourir pousse un cri d'alarme. Il est marginalisé de façon incroyablement grossière. Où était Monsieur Pébereau pendant ce temps là ? Quand a-t-il dénoncé ce système délétère qui ne pouvait qu'exploser. "Ce qui doit arriver, arrive " disait Maurice Allais.

Ce qu'ont fait les acteurs financiers, c'est introduire, avec la caution des autorités, et des agences de notation,  des outils permettant de tourner les règles prudentielles habituelles. A-t-on jamais entendu M. Pebereau se plaindre et demander la mise hors la loi de ces dispositifs ? Ils ont permis une certaine augmentation du "leverage", de l'effet de levier, du ratio capital-dette. Mais c'est marginal par rapport à l'enflure de crédits induite par les alimentations massives et constamment accélérées  de liquidités primaires.

"Les Etats ont un rôle à jouer pour que toute la finance soit au service de la croissance et de la stabilité financière. Maîtrise des finances publiques et coordination des politiques économiques sont les conditions de l'indépendance des états par rapport aux marchés".

Les accords de Bretton-Woods, aussi imparfaits qu'ils étaient avaient pour mission principale de forcer les états "à ne pas faire plus de bêtises que les autres" et à s'assurer d'un minimum de coopération. Pas d'excédents commerciaux monstrueux ; pas d'excédents monstrueux de balances commerciales ou de paiements.  Ce ne sont pas les marchés qui peuvent mettre en branle les mécanismes législatifs et budgétaires et monétaires, qui permettent de maintenir les parités arrêtées en commun. Au contraire les changes flottants et la liberté complète des mouvements de capitaux permettent des crises de crédits endogènes. Ils sont déstabilisateurs par construction. Toutes les hypothèses contraires ont été démenties par les faits.

"Pour que toute la finance remette ses virtualités au service de la création de prospérité réelle, il faut encadrer la liberté du marché par le contrôle et la régulation de ses acteurs".

Le seul mécanisme assez puissant c'est l'obligation faite aux Etats de surveiller leurs balances extérieures et la valeur externe de leur monnaie. C'est-à-dire le retour à un système de changes fixes, concertés et de règles puissantes de surveillance des politiques d'états.  Tout le reste est du pipeau grec  et peut même être contreproductif. Réguler les bonus et le capital des banques et les règles comptables et les agences de notation, tout cela c'est de la blague.  Si on laisse en place un système qui dans les trente ans à venir fera baisser à nouveau le dollar de 99% pour sa valeur en or, qui permettra à la Chine la poursuite des excédents monstrueux qu'on connait, empêchant que "le travail s'échange contre le travail",  avec une liberté totale des mouvements de capitaux qui peuvent contrarier toutes les politiques nationales ou régionales , on n'aura exactement rien fait.  Et il faut liquider les milliers de milliards de dettes créées par le système précédent.

L'illusion que les changes flottants et la complexification des méthodes techniques de la finance sont une bonne chose est tenace.  C'est cette illusion là qu'il faut vaincre. Et celle de croire qu'en régulant uniquement le secteur financier par des taxes et des règlements, sans changer le cadre global où il s'agite, on aura réglé tous les problèmes, est tout aussi puérile.  


Didier Dufau pour le cercle des économistes e-toile.



Commentaire
Stéphane's Gravatar Bonjour Mr Dufau,

2 petits commentaires si je puis me permettre :

En 1973, la guerre du Yom Kippour a été déclenchée par les pays Arabes, et c'est à la suite de cette guerre qu'Israel a abandonné certains des territoires conquis pendant la guerre des 6 jours (le Sinaï essentiellement). C'était la guerre des 6 jours qui avait éét déclanché par Israel (en devançant les pays arabes) qui avait amené Israel a conquérir des territories arabes, en 1966.

Plutôt qu'un système de changes fixes concertés, ne vaudrait-il pas mieux une sorte de "Serpent Monétaire Mondial" permettant aux monnaies de fluctuer dans un cadre réduit permettant de s'adapter "en douceur".

Avec, pourquoi pas un taux de croissance de la masse monétaire mondiale fixée, comme le prevoyait Milton Friedman. Qu'en pensez vous ?

Bien cordialement,
# Posté par Stéphane | 14/12/11 11:12
DD's Gravatar Vous avez raison pour la guerre israélo-arabe ou arabo-israélienne mais il est clair qu'elle était une réponse à l'invasion précédente. En tout état de cause cette guerre créera les conditions politiques et psychologiques d'une hausse des prix du pétrole méditée depuis la chute massive du cours du dollar. Bien noter que cette hausse n'est pas la cause de la crise de 73-74. Il y aura un second choc pétrolier un peu plus tard qui ne provoquera aucune récession majeure.

L'avantage des changes fixes mais ajustables c'est qu'ils donnent un objectif précis aux Etats et stabilisent les contrats. L'obligation de tenir son cours avec la surveillance d'une instance de contrôle renforcée comme le FMI, éventuellement divisée en Fonds régionaux, est une énorme pression pour les gouvernements qui sont obligés à une certaine solidarité au fil de l'eau et pas seulement périodiquement lors de catastrophes. Bien sûr, la spéculation peut attaquer une monnaie, mais il y a des moyens très forts de limiter cette spéculation. Si Soros avait fait 50 ans de prison lorsqu'il a fait éclater le SME, il y aurait moins de volontaire.

L'avantage des changes fixes est qu'il impose aux états qui veulent participer à la mondialisation d'en respecter les règles et en particulier celle de ne pas laisser filer leur monnaie ou laisser d'énormes excédents se produire.

Tout cela ne peut marcher que si les Etats Unis perdent leur statut privilégié et leur droit de veto et si une véritable monnaie de référence internationale est mise en place pour assurer les compensations temporaires de liquidités entre les différents acteurs et apporter un peu de liquidité supplémentaire à proportion de la hausse du commerce mondial.

L'énergie imposée à tous pour respecter des règles qui force l'emploi à l'échanger contre l'emploi, les produits contre les produits. Contrairement à la monnaie unique européenne, il reste des soupapes pour rendre possible certaines soupapes de sécurité.

Il faut un juste équilibre entre contraintes et souplesse. Il y a trop de souplesse et pas assez de contraintes dans le système monétaire international ; il y a trop de contraintes et pas assez de souplesse dans le système de l'Euro. Les deux doivent être réformés de concert.
# Posté par DD | 14/12/11 12:24
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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