Sortie de récession : ce qui n'a pas marché

Cette période de crise devrait être le grand moment des économistes.  L'ennui, c'est que la majorité d'entre eux, et tous ceux qui ont des positions officielles, n'ont pas vu venir la crise, n'en comprennent pas la cause et évidemment ne parviennent pas à en maîtriser l'issue, même si, avec le temps, ils finissent par en découvrir les différents aspects.


Dès lors, on s'en tient à la vulgate. Que disait-elle ? Qu'en cas de crise il fallait maintenir la demande globale et éviter un "crédit crunch".  Si on maintenait la demande globale à un bon niveau, la crise n'aurait qu'un impact momentané et si on éviter de faire sauter les banques par une politique monétaire restrictive, alors on se dispenserait d'aggraver les choses.  On pensait savoir qu'il fallait éviter les dévaluations compétitives et les replis protectionnistes.


Les gouvernements ont appliqué cette méthode presqu'à la lettre. Les budgets ont été sollicités en même temps que les banques centrales créaient de la monnaie à tout va.


Le résultat que personne n'anticipait est qu'on se trouve aujourd'hui, quatre ans exactement après les premiers stigmates de la crise,  avec la perspective d'un nouveau plongeon  


Qu'est-ce qui n'a pas marché ?


L'ennui de toute vulgate est qu'elle est généralement des plus floues. Toutes les crises économiques sont différentes même si il y a des typologie partiellement répétitives et elles frappent des économies dans des situations différentes.

Il était important de connaître exactement la nature de la crise, ses ressorts, et de bien  fixer la nature du terrain.  Une  maladie sur un sujet usé jusqu'à la corde ne se soigne pas exactement comme une maladie sur un sujet jeune et sain.  La grippe n'a pas le même traitement que le cancer.

On a considéré depuis l'été 2008 qu'il n'y avait qu'une politique possible et qu'elle n'avait pas à tenir compte des circonstances spécifiques où elle se produisait.

Le résultat : on va de crise en crise sans voir le bout du tunnel. Cette imprécision et cet aveuglement fera les gorges chaudes de ceux qui analyseront la période dans quelques années.

Quelles sont les circonstances particulières qui expliquent les difficultés d'application de la vulgate ?

* Keynes avait parfaitement vu que le maintien de la demande globale ne pouvait se faire que par une intervention publique portant principalement sur les investissements et accessoirement sur le maintien au moins partiel des revenus de ceux touchés par la crise.  Mais il raisonnait à une période où la dépense publique n'excédait pas 15 à 25% du Pib et où l'orthodoxie voulait des comptes équilibrés.  Quid si les comptes des principaux états sont totalement déséquilibrés et si l'endettement et la dépenses publiques atteignent déjà des sommets préalablement à la crise?

Ne pas tenir compte de la situation de départ avant de lancer une relance keynésienne était-il raisonnable ?  

* Nous vivons dans un système de monnaies administratives gérées comme ils l'entendent par les différents pays ou blocs économiques, avec une part de flottabilité et des ilots de fixité plus ou moins artificielle.  Une politique keynésienne peut -elle fonctionner en système de changes flottants ?  Une politique de "quantitative easing", de planches à billet en folie,  a-t-elle une efficacité quelconque en système de changes flottants ?

Ces deux questions ont été totalement éludées.

On voit à quel point la doctrine était en porte-à-faux. Sans réponse à ces questions il était  impossible d'apprécier la validité des options de relance Keynésienne ni de génération de liquidité à outrance. Mais on a cru qu'on était très intelligent et qu'on savait tout !

Le second aspect critique est qu'il aurait fallu avoir une vision analytique des causes de la crise. En un mot : avoir un diagnostic. Quelle était la maladie exacte de l'économie mondiale ?
Nous avons dénoncé inlassablement depuis trois ans l'imbécilité qui consistait à croire que la crise était due aux subprimes, à la cupidité bancaire, à la mathématique financière, à la comptabilité, aux agences de notation et aux traders. L'invocation de la vertu est courante lors des crises mais elle montre rarement son efficacité.

Nous avons prouvé que le système de double pyramide de crédits permis par "le système monétaire international non coopératif et non régulé  des changes flottants de monnaies administratives artificielles" avait créé une spirale d'endettement insupportable. Partout.  Une fraction considérable des prêts en cours et de la monnaie créée n'avait aucun support.  En un mot : le système financier était mort et son explosion pouvait déclencher une récession très sévère.

Comment pouvait-on faire face à une pareille énormité ?  Il n'y avait, il n'y a encore, qu'une seule solution  : restructurer de façon ordonnée la dette (les dettes)  et créer par la coopération internationale un contexte de croissance fort. Seule la croissance permettra de limiter la casse.

Peut-on gérer les dettes dans un système de monnaie administrative en folie ? Non.

Peut-on gérer la croissance avec un pays comme la Chine qui dispose d'une monnaie dévaluée de plus de 50% par rapport aux parités envisageables et qui truste les investissements et la croissance des emplois ? Non.

La seule solution passe donc et de façon obligatoire et sine qua non par la remise en cause des monnaies administratives, leurs unification autour d'un système central mondial de valeur, la fixation des taux de changes sur une base rationnelle permettant d'assurer les grands équilibres, et le respect de discipline permettant de garantir que chaque pays respecte les règles du jeu.

Nous avions appelé de nos vœux un nouveau Bretton Woods, mais pour appliquer une solution différente de celles de 44. Le dollar aurait perdu son rôle de monnaie de réserve et de pivot d'un Gold exchange standard. Les Etats Unis auraient perdu leur droit de veto au FMI. La Chine, le Japon et l'Allemagne aurait du revoir leur politique mercantiliste.  Une monnaie de compte mondiale, le Mondio, fixée de façon indépendante de chacun des membres du FMI, aurait servi de référent. Les Etats auraient eu la responsabilité d'assurer la valeur de leur monnaie en Mondio, des ajustement restant possibles avec l'autorisation des autres. La spéculation sur les monnaies aurait été interdite.

Dans un tel cadre, nous n'aurions pas vécu la fuite devant les monnaies et le constat qu'avec les taux de monnaie pratiqués aucune solution d'avenir n'était plus envisageable. La forte dévaluation du dollar par rapport aux monnaies abusivement basses comme le Yuan aurait permis une reprise économique aux Etats Unis. On n'en serait pas au "double-dip" actuel. L'Europe dans une moindre mesure aurait également retrouvé des couleurs, ne serait-ce que parce que l'investissement y serait redevenu possible. La Chine aurait été obligée de relancer sa consommation afin de rétablir ses comptes extérieurs trop excédentaires. ET il lui aurait bien fallu se fournir quelque part !

On dira : et la dette ?  Notre solution aurait déjà eu l'avantage de ne pas la multiplier. En transférant la dette privée aventurée aux institutions publiques (budgets et banques  centrales) qui étaient déjà trop exposés on n'a fait que compliquer le problème.  La dette de l'Etat américain est passé de 4 à 14 mille milliards de dollars de 2007 à aujourd'hui ! Le bilan de la FED et de la BCE est à peine regardable.  Les dettes des pays périphériques sont devenus ingérables.  Il aurait été possible en évitant tous les travers des changes flottants et de la finance qui lui est associée, de restructurer en douceur la dette privée quitte à passer provisoirement par une nationalisation des systèmes bancaires.

On n'a rien fait de tout cela. Aucune réforme du système monétaire international  permettant une vraie coopération des Etats n'a été entreprise.

Alors la peur s'est emparée de tous. Le Franc Suisse et le Yen se sont envolés comme l'or. La belle affaire. les banques n'ont plus confiance dans leur bilan et encore moins dans le bilan des autres banques. Résultat : le marché interbancaire est toujours aussi bloqué qu'en 2007.  Les déséquilibres monstrueux demeurent. Que va devenir le dollar ? La zone euro va-t-elle exploser ?  La peur monétaire est partout.

On ne peut pas envisager une croissance mondiale et la sortie de la crise de la dette sur ces bases.

Croire qu'en mélangeant une orthodoxie budgétaire impossible à un laxisme monétaire total on en sortira  tient de la folie furieuse.

Et l'Euro ? N'est-ce pas aujourd'hui le nœud du problème ?

L'Euro n'est un problème que parce que le système monétaire international n'a pas été réformé. Bien sûr il aurait été plus sage de prévoir un système de monnaie européenne pivot et des monnaies nationales rattachées mais un tant soit peu flexibles pendant tout le temps de la convergence des économies, si tnt est qu'elles dussent converger. Mais l'Euro, dans un environnement de changes fixes et ajustables, avec une fixation raisonnable par rapport au Yuan  faciliterait la résolution de tous ses problèmes périphériques, ceux qui restent étant purement institutionnels et politiques.

La situation actuelle n'est grave que parce qu'en l'absence de toute réforme de fond, on laisse les "forces du marché" et les Etats  s'épuiser en vain dans des politiques sans espoir.  

Il faut d'urgence réformer le système monétaire international, abandonner le système des monnaies administratives en folie,  encadrer la restructuration financière globale et remettre les économies dans le sens de la marche avant, d'un même pas, tout en éliminant les peurs parasitaires.

Tant qu'on ne voudra pas comprendre cette nécessité on verra les évènements négatifs se précipiter, les politiques absurdes se durcir, la crise s'approfondir.  Attention à l'impatience des peuples !

Cela fait quatre ans qu'on le répète. Que faut-il faire pour être entendu ?

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile



Commentaire
Saintex's Gravatar "On ne peut en sortir qu’en RECONSTRUISANT le système monétaire international. Et en s’accordant sur d’autres schémas de développement que la capture de l’industrie mondiale par la Chine et symétriquement de la consommation par les Etats-Unis, en faisant fondre le couple monétaire dollar-Yuan. Espérons que la leçon sera comprise avant qu’une crise majeure force la réforme au prix de grandes souffrances dans le monde entier. Il faut mettre fin au système des changes flottants, au dumping chinois et à la folie financière des Etats-Unis."

Je relis ce texte que vous écriviez en juillet 2008, Et je dis bravo !

Amicalement

Saintex
# Posté par Saintex | 08/08/11 14:54
Stephane12's Gravatar Autre imbécilité que l'on trouve à longueur de journée dans notre presse marxiste pour expliquer l'origine de la crise :

L'accroissement des inégalités !!!

Comme si des inégalités pécuniaires créaient les crises et l'égalitarisme menait au bonheur du monde et à la prospérité !!
# Posté par Stephane12 | 08/08/11 15:32
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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