L'Europe est-elle sortie d'affaire ?

L'affaire Merah, un "beur déclassé" devenu tueur islamiste pour devenir quelque chose sinon quelqu'un, a tué la campagne électorale en même temps que quelques innocentes victimes. Monsieur le Ministre de l'intérieur va maintenant sortir une affaire de "beur déclassé" tous les trois jours jusqu'au premier tour des élections. Les questions difficiles avaient déjà été expulsées de la campagne. Il n'y a maintenant plus aucune chance qu'elles soient jamais discutées.

Quelles sont les causes de la crise dans laquelle nous sommes plongées ? Silence. Pourquoi l'Europe est-elle si touchée ? Silence. Quelles réformes à faire en Europe ? Silence. Comment sortir de l'urgence ? Silence. La France peut-elle passer en première ligne de la crise  avec devant elle des mesures drastiques et douloureuses ? Silence. Les plans Hollande et Sarkozy ont-ils la moindre chance de réussir ? Silence. Va-t-on vers un déchaînement fiscal alors que nous sommes déjà au plus haut ? Silence. M. Hollande s'éraille la voix à ne rien dire. M. Sarkozy n'a plus besoin de rien dire : il n'a qu'à laisser faire M. Guéant, le Ministre de l'intérieur.

Raison de plus, puisque la Presse va maintenant entrer dans le dérisoire final pour aborder quelques questions difficiles. La première : l'Euroland est-elle sortie d'affaire ?

Pendant 12 ans plus personne n'avait compris ni expliqué que cette institution était bancale et dangereuse. L'explosion grecque, l'effondrement portugais, le glissement de terrain italien,  le tremblement espagnol et les lézardes françaises, ont eu le douteux mérite de soudain mettre sur le devant de la scène les faiblesses structurelles de la zone Euro :

- des politiques divergentes avaient été conduites par chacun des gouvernements de la zone avec comme conséquences des écarts de compétitivité que l'on compensait auparavant par des dévaluations. Avec l'Euro, plus de dévaluations possibles ? Ne rien faire et laisser les béances s'élargir encore ?  Impossible. La seule solution était la déflation c'est-à-dire  la récession contrôlée.  Cette politique est très difficile à réussir. Il faut en effet obtenir une diminution des salaires et des coûts de production qui tue beaucoup d'entreprises et met un grand nombre de salariés au chômage. Lorsque l'écart n'est pas trop grand, c'est une politique qui peut réussir. S'il faut baisser les salaires de plus de 10%, la potion devient dangereuse pour l'équilibre social et politique.

- l'endettement global dans tous les pays de l'Euroland était devenu insupportable. Le "bouclier" imaginaire de l'Euro a certes assuré dans un premier temps la confiance des prêteurs. Il ne faut pas exagérer ce rôle de l'Euro. L'endettement était devenu partout dans les pays de l'OCDE  littéralement fou. En tout cas insupportable à court terme. L'explosion du nuage de dettes global et le risque de liquidation brutale du système bancaire mondial a frappé très durement les pays du "club med" mais de façon très différente.

La France, au sommet des prélèvements et des dettes d'état dès avant la crise, s'est retrouvée avec l'obligation de sauver ses banques, de participer au sauvetage de la zone Euro et  de faire face à l'explosion de son endettement public qui est passé d'obscène à hyper dangereux. Mais il n'y a pas eu de vraies réformes. Les régions ont fait flamber la dépense sans réaction  suffisante de l'Etat central. Les réformettes qui ont été faites ont certes permis d'atténuer le choc social mais tout le monde a compris que les vraies réformes restaient à faire, qu'aucune des forces politiques en présence n'était prête à baisser la dépense publique et que toutes espéraient s'en sortir en surtaxant les contribuables. Une solution suicidaire compte tenu du taux de prélèvements déjà inouï atteint.  Compte tenu que la dette de la France est principalement étatique et qu'elle est portée aux deux tiers par l'étranger, on peut s'attendre à une réaction très dure "des marchés financiers" dès l'été.

L'Espagne a du faire face à l'explosion de la bulle immobilière absurde qu'elle avait laissé gonfler (plusieurs millions d'appartements, figurant au bilan des banques,  sont vides, comme autant de valeurs fictives) et aux conséquences de la décentralisation excessive du pays. La régions comme en Argentine à la fin du siècle dernier sont le creuset des déficits clientélistes de la politique. Tout le système bancaire régional est perdu de dettes impossibles à rembourser. Certaines des régions ressemblent à la Grèce. L'Etat ne peut que réduire son moignon. Il le fait. Bientôt il ne restera plus que les régions malades. La situation est en trompe l'œil. La politique gouvernementale centrale de l'Espagne avait été plutôt bonne : pas de déficits budgétaires excessifs ; réforme des retraites avec des excédents dans les caisses ; investissement dans les infrastructures avec l'aide de l'Europe (près d'1% de PIB par an tout de même) ; système de production sans charges excessives. Le redressement des comptes extérieurs s'est produit assez vite preuve d'une certaine efficacité de la déflation des salaires pratiquées. Mais les bombes à retardement régionales sont là.

L'Italie est dans une situation paradoxale. Elle dispose encore d'une belle industrie mais elle s'est laissée dépassée par ses coûts et n'est plus compétitive. Elle aussi devait passer par une déflation faute de pouvoir dévaluer comme d'habitude.  Et surtout dégonfler des coûts politiques absolument monstrueux. Réforme de l'état et déflation étaient les mots clé. Mario Monti s'est attaché à ces deux tâches. Il est au milieu du gué.  L'Italie s'en sortira d'autant plus facilement que la reprise mondiale aura lieu.  Rien ne la garantit. La fragilité reste de règle. 

La Portugal est mort, comme la Grèce. Comme l'économie du pays est minuscule, cela ne gênera personne. D'immenses investissements immobiliers sont en jachère. On fait semblant de croire qu'ils finiront par se vendre. L'industrie a disparu frappé par la dérive des coûts. La déflation nécessaire pour revenir à la compétitivité est telle qu'on ne voit pas qu'elle puisse réussir. L'agriculture est insuffisante. Il faut réduire globalement les prix de plus de 30% pour espérer revenir à la compétitivité. L'émigration des habitants a reprise. Un échec lamentable.  Comme la Grèce le Portugal aurait du être laissé hors de la zone Euro pendant une période beaucoup plus longue ou intégré avec un avantage de change beaucoup plus important.

De tous les pays du sud c'est la situation de la France la plus grave. Parce qu'elle n'a pas compris l'ampleur des difficultés qui étaient devant elles et qu'elle sait laissé aller trop longtemps à la facilité de la dépense publique. La sirène d'alerte est son commerce extérieur. La France n'a pas retrouvé sa compétitivité. La travail reste à faire. Et la dévaluation lui est interdite. Il reste devant elle un travail de déflation particulièrement délétère.  La France reste dans l'urgence et ne peut en sortir. Elle a peur de ses créanciers. Elle est tenue de gesticuler pour éviter qu'ils ne se fâchent.

Si on contemple l'ensemble de la zone sud de l'Europe on s'aperçoit qu'il y a des faiblesses partout et que le retour à compétitivité par rapport aux pays du nord n'est pas là, malgré quatre années de crise.  C'est la France qui est le pays le plus en retard. La perspective déflationniste et récessive y est la plus probable.

Dans la zone nord, la question de la compétitivité est entièrement liée au cours du change. Comme il n'y a pas de politique de change en Europe, c'est la bouteille à l'encre. Europe reste à la remorque des pays qui ont une politique de change, c'est-à-dire tous les autres. Le surendettement et la quasi faillite du système bancaire sont identiquement valables dans le nord et le sud de l'Europe. La banque allemande est extrêmement faible, notamment les Landesbank, proches de la faillite réelle. La première place de la Deutsche Bank ne pas faire illusion. En imposant une politique de rigueur aux pays du sud l'Allemagne pense avoir gagné le temps de restructurer son secteur bancaire hors de la pression des marchés.  Toutes les banques du nord bénéficient également des conditions monétaires nouvelles mises en place par Mario Draghi à la BCE : 1.000 milliards d'Euros empruntés à 1% et replacé à 4% garantissent au moins pour deux ans la crédibilité de l'Euro… et l'amortissement progressif des pertes des banques, en même temps qu'ils garantissent le financement des états du sud à des taux raisonnables.

Globalement l'Europe est à la merci des marchés des changes et du potentiel de croissance mondial. Faute d'avoir  effectué aucune réforme du système monétaire international, le fait que tous les pays de l'OCDE sont gorgés de dettes, des Etats-Unis au Japon en passant par le RU,  et que les pays émergents commencent à sérieusement tousser, de la Chine à l'Inde en passant par le Brésil, ne crée pas les conditions d'une reprise saine de la croissance du commerce international.

Dans un monde en voie de stagnation le nord de l'Europe est voué à une croissance quasi nulle et le sud à une récession plus ou moins importante.  Ce qui ne permettra en aucun cas de régler la question de la dette globale et risque de susciter des épisodes de paniques et des troubles politiques.

La question reste posée des réformes à appliquer à la zone Euro et au système monétaire international.  Peut-on rester sans faire la moindre réforme  et espérer qu'on sorte progressivement de la crise de surendettement global ?

Pour l'Europe la question est de savoir si on persiste à jouer le jeu d'une zone Euro sans institution de gouvernance, au sens pilotage, l'essentiel reposant sur une banque centrale déconnectée de la politique, mais capable de jouer le jeu de l'inondation monétaire,  et un jeu de règles durcies s'imposant aux états dispendieux. La zone Euro resterait sans gestion de son taux de change, seule dans son genre. Les Etats pourraient faire ce qu'ils veulent pourvu qu'ils respectent des règles globales. Les marchés seraient tenus en respect à la fois par un fonds d'action richement doté et une banque centrale décomplexée.  

Les banques étouffées par des règles d'encadrement très strictes seraient désormais empêchées d'enfler leur bilan de façon excessive avec un risque systémique pour les contribuables, sauf que naturellement elles auraient à financer inlassablement les Etats.

Notre position est que cette solution est une illusion. Comme d'habitude on se réveillera de cette illusion d'une façon extrêmement dure soit par de nouveaux phénomènes de panique, soit parce que l'absence de croissance et l'obligation pour certains pays de faire des sacrifices réitérés deviendront politiquement insupportables.

L'Europe et notamment la zone Euro ne peuvent pas rester en l'état. Ses institutions doivent changer et le "logiciel" qui va avec aussi.    

L'Europe ne s'en sortira dans un système mondial basé sur des monnaies administratives en folie censées s'ajuster sur le marché des changes sans intervention politique.

Il faut donc que l'Europe se construise autrement et prenne place dans le concert mondial des monnaies comme la première zone économique du monde avec des représentants ad hoc et une politique ad hoc.  Elle doit imposer un réforme indispensable du système monétaire international et donc, dès maintenant en élaborer le projet, au lieu d'être la muette du sérail. 

Sinon elle restera "l'homme malade" du monde et sera en grand danger d'éclatement sans retour.

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile. 

Commentaire
SD's Gravatar Il n'a pas fallu attendre longtemps pour avoir la confirmation de la pertinence de cette analyse. Panique des bourses, effroi des investisseurs, montée brutale des taux en Espagne qui nb'atteint pas son objectif d'emprunt, ....

Le vote français semble confirmer l'arrivée de Hollande et de son plan absurde totalement fondé sur l'augmentation déraisonnable d'une pression fiscale déjà au sommet : il ne faudra pas longtemps pour que ce fonctionnaire démagogue qui ne croit qu'aux vieilles recettes socialistes (et voici à nouveau le blocage des loyers, le blocage du prix de l'essence, ) et à l'expansion sans limite de la dépense publique, soit aussitôt confronté à une crise de financement et à une montée des taux d'intérêt avec d'éclassement systèmatique par les agences de notation. Comme il y a une chance que la ratification du plan Merkel ne soit pas au rendez vous, la tourmente peut souffler à nouveau en Europe à très court terme.

On est loin d'être sorti de la panique.

La France elle est au bord du chaos.
# Posté par SD | 05/04/12 09:02
jean-marc's Gravatar Il y a une chose que je ne comprend pas, c'est la "logique" économique du cours de l'euro. Pourquoi si les pays européens sont dans une situation aussi dramatique, le cours de l'euro est aussi haut ? en 2002 il était autour d'un dollar, en 2006: 1.25 à 1.30 et en 2011: 1.35 à 1.4.
# Posté par jean-marc | 07/04/12 18:02
DD's Gravatar C'est une conséquence mécanique des changes flottants. Les taux de change ne sont pas liés à la situation économique à moyen et long terme des nations mais aux perspectives spéculatives à court terme définies par des robots. Comme toutes les monnaies sont dangereusement fragilisées par la dette que ce soit aux Etats-Unis, au Japon ou en Europe, l'incertitude est la règle. Les anticipations portent sur l'action des banques centrales et les marchés. Les réalités économiques normales (mouvements de biens) ne sont pas déterminantes.

Les changes flottants sont des passerelles en caoutchouc. Cela tangue de façon constitutionnelle. Vouloir suivre le tangage au jour le jour en pensant qu'il est lié à des causes autres que la dynamique interne d'un système instable est totalement vain.
# Posté par DD | 08/04/12 11:02
jean-marc's Gravatar N'il y a-t-il pas une emergence de prise de conscience avec le sommet du BRICS, le fait que se crée une zone qui puisse contrebalancer l'hégemonie du dollar. http://mondialisation.ca/index.php?context=va&...
# Posté par jean-marc | 11/04/12 23:37
SD's Gravatar "Dans un monde en voie de stagnation le nord de l'Europe est voué à une croissance quasi nulle et le sud à une récession plus ou moins importante. Ce qui ne permettra en aucun cas de régler la question de la dette globale et risque de susciter des épisodes de paniques et des troubles politiques."

Il n'a pas fallu un mois pour qu'on voit la justesse de ce commentaire. C'est la ruée des déposants qui vident leur compte bancaire en Grèce, en Espagne, au Portugal. Le spectacle d'une queue d'immigrés portugais devant les guichets d'une banque portugaise près de l'Opéra à Paris a quelque chose de fascinant. Evidemment on n'est pas venu la filmer et les actualités n'en parleront pas.

Si la panique saisit la France, le boulevard des italiens va retrouver les foules qui peuplaient les "grands boulevards" à la Belle-époque.
# Posté par SD | 22/05/12 08:23
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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