Non la Chine ne nous sauvera pas !
On lit un peu partout que la Chine grâce à ses immenses réserves de changes pourrait venir au secours de l’Amérique en difficulté : il suffirait qu’elle dépense les immenses réserves qu’elle a accumulées pour qu’aussitôt des flots de capitaux frais remettent en marche l’économie mondiale.
C’est sans doute l’idée la plus sotte qui ait été émise dans cette époque où le n’importe quoi mental commence à devenir si pénible.
Lorsqu’un pays dispose d’une balance des paiements excédentaire, la banque centrale met en réserve les devises « fortes » accumulées et crée en contrepartie de la monnaie nationale qui, par le mécanisme du multiplicateur, entraîne un gonflement des prêts du secteur bancaire et une hausse de l’activité locale. Les énormes excédents chinois ont donc généré une circulation monétaire en Chine encore plus énorme.
Dans notre système monétaire international magique, un pays excédentaire a la possibilité de replacer ses dollars aux Etats-Unis et de toucher des intérêts.
L’excédent chinois a donc provoqué une double pyramide de crédit : en Chine et aux Etats-Unis. Car le retour des dollars aux Etats-Unis a permis naturellement par le même effet multiplicateur, mais dans le système bancaire des Etats-Unis, de multiplier les crédits. Ces crédits ont permis aux américains d’acheter plus de produits en Chine qui a bénéficié d’un excédent supérieur qui etc.
On trouve là naturellement un des mécanismes forts de la création de la bulle financière mondiale et particulièrement de la bulle de crédits des Etats-Unis…et de la Chine.
Les Allemands, soumis aux contraintes d’une même situation dans le cadre des accords de Bretton Woods, avaient eu la possibilité de dire : stop ! Il leur avait suffit de demander la conversion en or de leurs dollars. Si les Etats-Unis avaient joué le jeu en 1971 il y aurait eu contraction de la masse monétaire aux Etats-Unis et réduction des déficits extérieurs. Une certaine régulation automatique se serait exercée. En système d’étalon or la situation aurait été identique. Tenus de redresser leurs comptes extérieurs les Etats-Unis auraient été amenés à déformer leur production afin qu’elle soit plus exportatrice, tout en réduisant leurs ambitions budgétaires.
Avec les changes flottants, cette possibilité de réaction des pays soumis à un emballement de leurs excédents de balance des paiements n’est plus possible. Ils n’ont qu’une solution : vendre leurs dollars sur le marché des changes au risque d’effondrer la monnaie qu’ils viennent d’acquérir ou les replacer aux Etats-Unis.
Le Japon a été le premier confronté à ce dilemme. Inféodé aux Etats-Unis, il a joué le jeu qu’on lui suggérait : il a replacé ses dollars sur le marché monétaire des Etats-Unis en souscrivant en masse aux émissions du trésor. Les taux d’intérêt étaient évidemment très bas. Un « carry trade » s’est mis en place. On empruntait à Tokyo à un taux d’intérêt proche de zéro, on convertissait en dollar et on plaçait en dollar à taux meilleur un peu partout dans le monde notamment dans les pays en voie de développement. Par exemple en Thaïlande où les dollars étaient convertis en monnaie locale, provoquant une hausse de la création monétaire des banques qui faute d’emplois suffisants dans la production finançaient la spéculation notamment boursière. Les dollars étaient naturellement replacés en bons du trésor américain qui servaient à alimenter la liquidité des banques américaines qui augmentaient d’autant leurs crédits etc.
Les très bas taux au Japon permettaient de développer les marchés immobiliers et la demande de logements et de bureaux devint telle qu’une bulle phénoménale se mit en place.
Ces doubles pyramides de crédits sont évidemment extrêmement dangereuses. On se souvient qu’en 98 la partie orientale a explosé provoquant la panique partout. Il fallait rembourser les dollars empruntés et replacés dans des paris aventurés. Le dollar se mit à monter aggravant d’autant le problème des emprunteurs.
On a appelé cela aux Etats Unis : la crise des pays émergents et des dirigeants pourris par le système des « cronies ». On a ajouté l’injure à l’ignominie. C’est le moment où les Hedge funds entrés dans la danse et animateur des jeux financiers les plus outrés tremblent une première fois sur leur base. LTCM est en faillite. Il faut d’urgence en organiser le sauvetage, déjà pour éviter un drame « systémique ». Tout le commerce international fut touché. Autant pour la crise « des marchés émergents ».
C’était une crise du système monétaire international des changes flottants. Une de plus.
En même temps une double spéculation commença sur le dollar et la bourse américaine. Placer sur le marché des NTIC en pleine folie boursière devient extrêmement rémunérateur en plus value et en plus le dollar montait ! Le monde entier se mit à acheter des dollars et des actions américaines. Une bulle phénoménale s’est reconstruite sur les décombres de la bulle précédente.
La bulle explose en 2000 . Greenspan essaie d’y faire face en baissant à zéro les taux d’intérêt qui compte tenu de l’inflation deviennent un temps négatifs. Le dollar s’effondre. Tous les créanciers en dollars sont ruinés. Sauf la Chine dont la monnaie est alignée artificiellement sur le dollar. L’Europe entre en stagnation, comme le Japon. Il n’y a plus d’investissement industriel : la concurrence de la Chine est impossible à combattre. Alors les capitaux ne vont plus à l’industrie.
Aux Etats-Unis c’est pareil. L’industrie part en Inde et en Chine.
Les seuls placements productifs possibles sont l’investissement en Chine et en Inde. Mais ces pays n’ont pas la capacité de les absorber. Alors va pour la spéculation.
Aux Etats-Unis et partout dans le monde les taux d’intérêts très bas conduisent à une spéculation immobilière effrénée. Les crédits coulent à flots. Le Chine replace ses excédents aux Etats-Unis provoquant une accélération de la bulle. En Europe comme aux Etats-Unis on cesse d’investir dans la production. Les particuliers s’endettent et on leur vend une production fabriquée pas chère ailleurs.
Et tout se bloque en 2007 et explose en 2008.
Le dollar est si bas qu’il n’est plus possible comme en 92, comme en 2000 , de l’effondrer pour transférer aux autres le mistigri. Ruiner le créancier qui est le moyen suprême de se dégager pour un débiteur n’est plus une option. Le système bancaire anglo-saxon explose. Tous les circuits économiques s’arrêtent. Les exportations se bloquent. Crédit est mort. Une récession extrêmement brutale et rapide se met en place.
On peut désormais revenir à nos excédents chinois. Ils ont déjà servi à financer une pyramide de crédit EN CHINE et une autre aux Etats-Unis. On voudrait qu’ils soient encore disponibles pour un troisième round ! Les prêter aux Etats-Unis ? Mais c’est déjà fait !
Le crédit crunch qui a lieu en Chine est en train de dégonfler la bulle provoquée par les excès de monnaie chinoise. Si la Chine vend ses obligations du trésor américain, outre les effets directs de cette vente sur les monnaies et les changes, à quoi peuvent être employés les dollars obtenus ? A acheter des biens de consommation en Europe et aux Etats-Unis ? C’est la Chine qui les produit ! Si l’excédent est là, il a bien une cause. Et la banque centrale Chinoise voyant ses réserves fondre devrait contracter la masse monétaire en Chine alors que le pays expérimente un joli « crédit crunch » ?
Cette fantasmagorie financière s’exécuterait alors que le blocage du commerce international prive la Chine de nouvelles réserves et que les anciennes fondent à grande vitesse ?
Tout cela n’a aucun sens.
La simple évocation de ce qui s’est passé depuis 15 ans suffit à comprendre que la crise n’est pas la conséquence fortuite d’un pépin survenu sur les « subprimes » du fait de la conjonction malheureuse de la cupidité des banquiers, de la créativité des polytechniciens de la finance, de la bêtise des comptables et de l’aveuglement des agences de notation.
C’est l’ensemble du système de production, d’échange et de financement qui s’est mis en place dans les années 90, suite à a première récession d’après guerre (déjà provoquée par les mêmes mécanismes, le Japon jouant le rôle de la Chine) qui a explosé. La finance a explosé en premier suivi du commerce international et immédiatement après de la production, en trois mois.
La spéculation qui s’et développée depuis 1995 n’est pas le fruit soudain d’une nouvelle cupidité des banquiers. Mais la situation était telle que l’investissement en Europe et aux Etats-Unis n’étant plus rentable ou sans objet et les déversements de capitaux dans les pays nouvellement producteurs ne pouvant aller plus vite que la musique, la spéculation est devenue la seule issue.
On comprend peut être mieux maintenant pourquoi c’est l’architecture globale monétaire, financière et commerciale qui doit être réparée.
Le cœur de la réforme porte naturellement sur un système monétaire international dont les dysfonctionnements sont la cause principale de l’explosion qui vient de se produire.
L’occident ne peut espérer continuer à acheter en finançant à crédit des importations sans autres espoirs pour les épargnants que les promesses fallacieuses de la spéculation. Les pays émergents ne peuvent espérer devenir l’usine du monde et le détenteur des devises mondiales.
Il faut évidemment des évolutions équilibrées qui passent par une maîtrise des déséquilibres des balances extérieures, dans un sens comme dans un autre. C’est impossible à faire dans un système de changes flottants qui au contraire provoque un gonflement incontrôlable des difficultés.
Déficits monstrueux et excédents monstrueux ne se compensent pas ! Ils se cumulent pour désorganiser le monde. L’inénarrable Wolf, de FT, devenu le gourou économique du journal le Monde au moment où la fausseté de ses analyses est devenue la plus voyante, aura beau s’égosiller à défendre la thèse américaine : « tout cela vient du fait que la Chine ne nous achète pas assez », thèse qu’on avait déjà entendu à la fin des années 80, puis 90, en citant le Japon, la réalité est incontournable.
Il faut supprimer le privilège monétaire des Etats-Unis et le système des changes flottants. Cela passe par la mise en place d’un système monétaire international de type Bretton Woods mais sans les faiblesses de cet accord qui étaient entièrement liées à la situation privilégiée des Etats-Unis.
Il faut que l’Europe et les Etats-Unis se remettent à produire. Il y a aura nécessairement un rattrapage des pays en voie de développement. Nul n’est besoin de le rendre artificiellement destructif pour le monde entier.
Une croissance raisonnable universelle et coordonnée passe nécessairement par un système monétaire international équilibré et coordonné. Le plus vite on le comprendra, le plus vite on réformera le système monétaire international, le plus vite on sortira de la crise actuelle.
Pas de solution autre que la dépression si on n’abandonne pas immédiatement les changes flottants !
Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Votre analyse est encore une fois miraculeusement lumineuse. Je voudrais comprendre pourquoi les évidences que vous présentez ne sont pas comprises et ne débouchent pas sur la construction d'un vrai ordre monétaire international.
Faisons une hypothèse. La valeur économique n'est pas une simple quantité de quelque chose mesurée en unité monétaire. C'est aussi du crédit, c'est à dire quelque chose de proprement humain qui vient du cœur de la personne. Le crédit est l'expression de la foi d'une personne ; elle croit au bénéfice de la relation à l'autre et à la satisfaction que lui apporte cette relation dans la durée. Le crédit est l'enrichissement interpersonnel réciproque qui vient de la relation avec l'autre dans la durée.
Dans la vraie vie que le calcul économique cherche à modéliser, le crédit est une promesse de valeur faite à une personne par une autre personne. C'est un échange de valeur dans le temps. Le prêteur met à disposition de l'emprunteur de la valeur présente qui sera transformée par l'emprunteur en valeur dans le futur. Le prêteur échange la valeur présente dont il dispose avec la valeur future que l'emprunteur lui promet. Un tel échange existe par la foi du prêteur dans la personne de l'emprunteur.
Le système financier mondial s'effondre du fait que cette réalité n'a jamais été intégrée dans les relations financières internationales. Les changes flottants sont le signe de cette lacune tout autant que l'étalon or jusqu'au 15 août 1971. Le monde n'a jamais disposé d'un instrument universel de mesure de la valeur. Keynes l'avait réclamé à Bretton Woods mais n'a pas été entendu.
La valeur économique est du crédit et la théorie économique s'arrête à la quantité. Elle ne parvient pas à intégrer la foi de l'homme ni son existence dans la durée. Notre atrophie mentale, que vous dénoncez si bien, se cristalise sur la monnaie. Quand nous échangeons de la valeur contre un signe monétaire, la théorie économique oublie d'y voir le crédit. Nous renonçons pourtant à l'utilité immédiate du bien cédé contre la promesse d'utilité future représentée par le signe monétaire. La promesse vient d'un système monétaire. Le système existe par la Loi d'un territoire. La Loi d'un territoire est l'engagement des citoyens qui y vivent.
La monnaie vient de la Loi ; la monnaie est une loi. La loi d'une société d'accord sur un même étalon de la valeur afin de régir les échanges qu'elle développe en son sein. La monnaie est la loi de transformation de la confiance en quantité. Transformation nécessaire à la maîtrise de la rareté. Les ressources terrestres nécessaires à la satisfaction de l'homme sont quantitativement limitées. Il est définitivement utopique d'imaginer que la vie terrestre nous dispense de compter... et d'avoir foi en l'autre.
Le 15 août 1971 est l'une des plus grandes révolutions que nous n'ayons jamais connues. La monnaie n'a plus été définie comme une quantité fixe de matière, 35 dollars pour une once d'or, mais comme la contrepartie d'un système de crédit. Révolution inachevée par la limitation de l'adossement monétaire à la seule économie des États-Unis. La décision de Richard Nixon a rapprochée la définition de la monnaie de ce qu'elle est en soi : du crédit.
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Une unité monétaire est un pouvoir d'achat arbitrairement délimité comme une fraction de toute valeur achetable sur un territoire donné. Une unité monétaire est un crédit de un à échéance indéfinie, remboursable pour un contre n'importe quelle valeur réelle de un. Une unité de pouvoir d'achat de valeur invariable dans le temps.
L'unité monétaire n'a pas de substance physique en soi ; c'est un effort de foi et de pensée pour quantifier la satisfaction des besoins humains. Satisfaction par des objets dont l'existence est partiellement physique donc quantifiable. Tout objet délimitable même totalement immatériel auquel on attribue la valeur d'une unité monétaire lors d'une vente représente une unité de satisfaction humaine. La monnaie est une pure invention de la subjectivité humaine pour réaliser des échanges économiques entre personnes qui veulent augmenter leur satisfaction.
La substantification de la monnaie par le crédit se lit dans le bilan comptables des institutions financières. En face des dépôts à vue et de l'épargne monétaire se trouvent pour le même montant monétaire des crédits. En face des dépôts et titres de créance en dollars dans le bilan consolidé des Etats-Unis se trouvent les crédits à l'économie américaine et au reste du monde ainsi que les titres de propriété et de créance libellés en dollars. Comme le dollar reste la première monnaie de réserve et de règlement international, les Etats-Unis se dispensent d'introduire dans leur bilan consolidé des actifs ou des passifs libellés en devise.
Ils laissent le reste du monde libeller à sa convenance dettes, créances et titres dans la monnaie de son choix dont le dollar. La puissance étasunienne inspire confiance : une part substantielle de l'épargne mondiale est placée en dollar, dépôts ou titres. La foi dans la valeur achetable par le dollar est plus forte que dans n'importe quelle autre monnaie. Cela équivaut à mettre son pouvoir d'achat sous la protection de la Loi étasunienne pour le meilleur et pour le pire.
Qu'ils le veuillent ou non, les Etats-Unis sont engagés à recycler l'épargne qu'ils attirent. S'ils le font bien, la confiance est entretenue, les capitaux s'accumulent en dollar, la valeur du dollar se maintient et les Américains n'ont pas de mal à acheter à l'étranger ce qu'ils ne produisent plus chez eux. S'ils échouent, le dollar s'effondre, les épargnants en dollars sont ruinés, les Américains cessent d'importer, le commerce mondial s'affaissent et les étrangers ne peuvent plus utiliser le dollar pour commercer entre eux.
Le dilemme de la Chine est exemplaire, incompris et absolu. Les Chinois n'ont pas encore de système bancaire fiable. Ils construisent leur croissance sur leur commerce extérieur. Ils ont placé une énorme partie de leurs épargne aux Etats-Unis pour se prémunir de l'avenir et stimuler les importations américaines. La valeur du yuan repose quasi fixement sur la valeur du dollar. L'inflation en yuan s'est nourrie de l'accumulation de créances sur les Etats-Unis.
L'effondrement du système financier américain est cataclysmique pour les Chinois. Parce que la foi chinoise n'est de fait qu'une extension de la foi américaine. Comme les Chinois ne sont pas les Américains, leur doute est infiniment plus profond que celui des Américains. Les exportations chinoises s'effondrent, les investissements s'arrêtent, le crédit disparaît, la valeur du yuan fond, le commerce intérieur s'effondre. La Chine retourne au communisme. Les chiffres ne sont plus la mesure de la réalité mais les déclarations du Parti Communiste Chinois.
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L'effondrement du crédit aux Etats-Unis est l'effondrement de la monnaie dans le monde entier. A cause des changes flottants. Ou plus précisément de l'absence de système international de crédit.
La valeur d'une monnaie est définie par une loi. Elle dépend du crédit qu'on accorde à toute personne qui obéit à cette loi, qu'elle y soit contrainte ou non. La valeur du dollar dépend du crédit que le monde accorde à toute personne qui contracte en dollar. Même si le dollar se définit légalement comme un pouvoir d'achat sur le territoire des Etats-Unis, sa valeur est en réalité déterminée par toute personne, ressortissante ou non des Etats-Unis, qui choisit d'utiliser le dollar.
L'internationalisation du dollar distord son utilisation réelle de sa définition. Le premier préjudice est pour les Etats-Unis eux-mêmes. La Réserve Fédérale est expropriée du dollar et dans l'incapacité d'en réguler la valeur. Soit elle cherche à stabiliser le pouvoir d'achat du dollar et le crédit en dollar se renchérit à l'excès. Soit elle alimente suffisamment en liquidités le système de crédit et elle produit de l'inflation. Le juste milieu est inaccessible.
L'inaccessibilité de l'équilibre est au cœur du couple crédit-monnaie. La création monétaire repose sur le crédit. Le crédit repose sur l'anticipation de la valeur future. L'anticipation de la valeur future est l'engagement d'une personne qui finance un projet par de l'emprunt et des fonds propres. La réalité du crédit, c'est à dire la certitude que la valeur restituée à l'échéance égale en montant la valeur empruntée, repose sur la suffisance des fonds propres engagés pour pallier tout aléa du futur.
Au pire, le crédit sûr reste un crédit si la valeur produite à l'échéance avec consommation de tous les fonds propres engagés est au moins égale à la valeur du crédit. Pour qu'un crédit soit sûr il faut suffisamment de fonds propres pour que la part en risque de la valeur future soit dans le pire des cas entièrement couverte par des fonds propres. Comme réserve de valeur appartenant à des personnes identifiables, les fonds propres sont la garantie qu'une promesse de valeur future, dont le montant est annoncé à l'avance, sera sûrement tenue.
L'insuffisance de fonds propres égale la perte latente sur les crédits, égale la dévaluation de la monnaie, égale la disparition du calcul économique, égale la non-croissance de la production de valeur. Quand les Etats-Unis attirent vers eux l'épargne mondiale, le monde leur fait crédit. Pour préserver la valeur du dollar, ils doivent mobiliser beaucoup plus de fonds propres, c'est à dire de l'épargne financière, que ce qui serait nécessaire à une utilisation du dollar limitée aux ressortissants américains. Plus le poids relatif de l'économie américaine diminue dans le monde, plus la valeur en risque issue de la masse monétaire en dollars représente une proportion élevée de la valeur disponible aux Etats-Unis. Absolument intenable.
Pour ne pas limiter la disponibilité du crédit nécessaire au refinancement de l'économie américaine à l'enveloppe de fonds propres que les américains réservent à la couverture de leur masse monétaire, la Fed fait de l'inflation. Elle dévalue le dollar. Jusque dans la décennie soixante-dix, l'inflation était explicite dans les prix à la consommation aux États-Unis. A partir des années quatre-vingt, la Fed casse la croissance en resserrant le crédit puis profite de la concurrence instaurée par la dérégulation pour relancer le crédit.
L'inflation migre des salaires et des prix vers les actifs financiers. Au lieu de faire monter les prix pour dévaluer le dollar, la sur-liquidité s'évacue vers des bulles financières de plus en plus grosses. Leur éclatement permet de solder l'excès de crédit par un prélèvement sur la valeur nominale de l'épargne financière placée aux Etats-Unis. Les fonds d'épargne de toute origine sont désormais tellement épuisés que les fonds propres nécessaires au redémarrage de l'économie américaine ne sont plus prêts d'être mobilisés.
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Dans le reste du monde, l'instabilité monétaire du dollar se démultiplie. Le système financier en dollar est la base monétaire du monde. A chaque zone monétaire sa politique de gestion de l'instabilité. Les zones commercialement excédentaires ont le choix entre laisser s'apprécier leur monnaie ou importer l'inflation américaine. Les zones commercialement déficitaires ont le choix entre rester en marge du commerce international ou vivre du crédit international libellé en monnaie des autres.
Toutes les zones monétaires sont également expropriées de leur monnaie. La balance des paiements est en conflit permanent avec l'équilibre interne de la liquidité. Plus une zone monétaire a une base économique étroite plus l'appréciation de l'étranger sur la valeur de sa monnaie détermine le crédit consenti à la zone monétaire. Le crédit extérieur détermine le crédit intérieur indépendamment de toute action de la banque centrale. A chaque instant, plusieurs équilibres sont possibles entre prix interne de la liquidité et prix du change.
A l'inverse plus une zone monétaire a une base économique large plus elle est auto-suffisante et susceptible d'attirer des capitaux internationaux en quête de sécurité monétaire. Plus alors le poids du dollar est proportionnellement faible et l'incertitude du prix relatif des monnaies de réserve élevée. Les masses de crédit propres à chaque zone monétaire sont naturellement instables par le seul fait de l'ouverture aux échanges extérieurs. Les flux commerciaux et les flux financiers se déstabilisent réciproquement. L'économie financière s'auto-alimente de sa propre instabilité.
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Connaitriez-vous l'argumentaire sino-américain de refus de dépôt des réserves chinoises au FMI ?
Nous avons prêté des sommes d'argent tellement grosses aux Etats-Unis que nous nous soucions naturellement de la sécurité de nos avoirs et, sincèrement, je suis un peu inquiet," a déclaré le chef du gouvernement chinois.
Il a appelé le gouvernement américain à tenir ses engagements et à garantir la sécurité des avoirs chinois aux Etats-Unis.
"La Chine est effectivement le premier créancier des Etats-Unis, qui sont la plus grande puissance économique du monde. Nous suivons de près le développement de l'économie américaine," a souligné Wen Jiabao."
Conclusion : la Chine veut que les EU protègent leurs avoirs et ne feront rien au FMi pour les contrarier ! CQFD !
Merci de vos précisions. Et les Etats-Unis : quel intérêt ont-ils au tête à tête avec la Chine ? Un accord multi-latéral de change sur le dollar auquel tout le monde serait intéressé du fait du rôle directeur du dollar dans la régulation de la liquidité internationale ne serait-il pas plus solide ? Comment raisonnent les Américains ?
Votre article est très intéressant, mais j'aimerais des précisions sur la comparaison de ce qui se passe en Chine et de ce qui s'est passé au Japon au sujet des réserves de change.
J'ai lu que la Banque centrale chinoise stérilisait ses réserves, en émettant des obligations afin d'éviter l'emballement de la masse monétaire que vous semblez d'écrire à propos du Japon.
En outre, toujours par comparaison au Japon, vous parlez d'une bulle de crédits en Chine liée à ces réserves, alors qu'il me semblait avoir lu que l'épargne privée chinoise était énorme.
Enfin, étant marié à une Chinoise, je sais que les taux d'intérêt en Chine sont assez élevés, ce qui ne semble pas correspondre au mécanisme que vous décrivez à propos du Japon.
Bref, si je suis bien persuadé que les réserves de change chinoises ne "peuvent pas sauver le monde", ni être d'un grand bénéfice pour la Chine, là-dessus je n'ai jamais pensé le contraire,
j'avoue être perplexe sur la comparaison que j'ai lue (aussi sur le blog de monsieur Birolli du Nouvel Obs) avec le Japon, car les éléments que je viens de mentionner, que j'ai vus ou lus par ailleurs, semblent assez contradictoires avec ce qui est décrit sur la base de l'exemple japonais.
Pourriez-vous m'éclairer ? Merci d'avance.
Je comprends votre perplexité devant la gestion financière chinoise qui est entièrement orientée vers l'extérieur et pas du tout vers l'intérieur. Le but est de maintenir le lien entre Dollar et Yuan en toutes circonstances quitte à jouer des jeux monétaire bizarres. La vente récente de bons du trésor par la Banque centrale de Chine avait uniquement pour but de faire pièce à la hausse du dollar.
Le Japon a pris la succession de l'Allemagne comme principal détenteur de titres du trésor américain dans les années 70. La Chine vient tout juste de supplanter le Japon comme leader de la dette américaine : 652 M$, contre 585M$. Elle le fait parce qu'en vérité elle n'a pas le choix. Les ratés du fond souverain qui a perdu beaucoup d'argent l'ont un peu refroidi.
Les dollars accumulés et placés au EU permet à la Chine d'investir par exemple en Amérique du SUD et en Afrique quand le besoin s'en fait sentir.
Le risque c'est évidemment ce qu'ont fait les Etats-Unis en 71, en 82; en 93, en 2002 : dévaluer massivement le dollar et ruiner le créancier ! La communauté internationale n'acceptera jamais ce scénario noir. Le dollar est si bas que cette option s'avérerait dangereuse pour tout le monde.
Mais les dirigeants chinois serrent les fesses, si j'ose dire. .
Jusqu'à l'explosion finale. Le moteur de la crise est là. Pas dans les 600.000 milliards de subprimes : le rapport de puissance est de 1 à 20 ! Pas de solution sans arrêter le mécanisme fondamental : il faut réformer le système monétaire international. "Delenda sunt" les changes flottants.
KP
Delenda sunt les changes flottants. Donc on met en place un système international de crédit pour réguler les changes.
Que pensez-vous de la banque centrale mondiale proposée par Keynes à Bretton Woods émettant des crédits en bancor pour financer les accords internationaux de change ?
- Egalitaire
- Qui pousse à éliminer progressivement les déséquilibres de balance de paiement quels qu'ils soient
- Qui engage donc la responsabilité des Etats et pas seulement des agents économiques, la majorité des déséquilibres étant liés à la politique des Etats.
Keynes était surtout soucieux d'éviter des coups de frein trop brusques pour revenir à l'équilibre donc proposait d'ouvrir un crédit en monnaie internationale PROVISOIRE au pays en difficulté (du fait de déficits). Il était inflationniste en monnaie internationale. Son rejet de l'or lui était suggéré par le fait que la production ne suivrait pas les besoins de la croissance globale ou qu'il était irrationnel de compter sur une ressource physique aléatoire pour équilibrer un système en croissance.
Là les appréciations bifurquent entre ceux qui pensent que si les Etats sont responsables de revenir à l'équilibre le besoin de crédit en monnaie collective s'ajustera assez vite et ceux qui vont plus loin et pensent qu'il faut permettre aux agents internationaux d'utiliser la monnaie d'ajustement pour leurs propres besoins.
On entre ici dans des débats techniques ardus. Mon avis personnel est que la monnaie est un droit garanti par un Etat ou un groupe d'Etats et que cette garantie doit être exercée. La possibilité de voir un flot de monnaie créée à partir d'une double expansion monétaire basée sur des déficits de balance extérieure venir en compétition avec une monnaie contrôlée et en changer la valeur est à mon sens une erreur.
Je préfère la philosophie : pousser à la croissance mais en restant raisonnable sur la création monétaire sous contrôle étatique L'impuissance des Etats en système de changes flottants est une contradiction avec l'idée même de monnaie, concept COLLECTIF. C'est pour cela que je parle de "fausse monnaie".
"I believe that exchange rate volatility is a major threat to prosperity in the world today. It is volatility of exchange rates that causes unnecessary volatility in capital markets. "
Quelque soit la méthode, il faut mettre fin à cela.
Les monnaies nationales doivent elles être exprimées internationalement par leur rapport avec une monnaie composite comme le bancor, (panier de monnaie), à l'or, ou quoi que soit d'autres ? Faut-il créer des zones monétaires régionales sur le modèle de l'euro avec un Asio, une Monetas en amérique du sud et centrale, un Africo ? Faut-il songer à un Mondio circulant entre les agents internationaux ? Cela est relativement inimportant aujourd'hui et dépend des conditions politiques.
La stabilisation elle est vitale.
L'article de R Mundell peut être consulté ici :
http://www.cbe.csueastbay.edu/~lkahane/4705-6705/M...
Sa critique des changes flottants est entièrement et unanimement reprise par le Cercle des Économistes E-toile (qui l'a exprimée des années avant lui, otamment en 1997 sur le site du Monde.fr à l'époque sous Compuserve...).
@kikionyx
Nous faisons vérifier cela dès lundi par nos techniciens.
Le système actuel ne comprend aucune régulation ni coordination internationale. Le marché des changes reflète l'équilibre instantanné des paiements et des crédits que les opérateurs internationaux négocient à leur discrétion entre eux. On constate notamment qu'un Etat peut susciter à son échelle et avec ses moyens une politique de change. La Chine par exemple soutient le dollar contre le yuan en consentant des crédits au Trésor américain.
Si l'on extrapolle un système global de régulation des changes à partir des instruments actuels, il reposera sur un instrument de crédit international. Comme vous le soulignez, il sera égalitaire au sens où prêteur et emprunteur ont le même poids dans la négociation indépendamment de la puissance ou de l'histoire. Il poussera à éliminer les déséquilibres ; aucun acteur ne sera obligé de s'appauvrir ou de se mettre en danger ; les efforts pour produire de la richesse sans compromettre les intérêts de quiconque sont récompensés. In fine les Etats sont rétablis dans leur double responsabilité de protéger un juste état de droit interne et de respecter les intérêts externes.
L'or n'est effectivement pas le bon instrument de crédit. Les volumes disponibles ne sont pas en rapport avec les besoins de crédit ; on ne voit pas pourquoi la valeur des crédits serait indéxée sur cette matière plutôt qu'une autre. Une monnaie de crédit international ne paraît pas devoir être de nature différente d'une monnaie nationale. C'est à dire un pouvoir d'achat garanti par une loi dont l'exercice est réalisé par un système bancaire régulé sous la surveillance d'un ou plusieurs Etats.
Pourquoi alors une monnaie internationale régulée par une organisation étatique internationale ne serait pas viable ? Une banque centrale internationale émettant des crédits dans une monnaie à pouvoir d'achat constant sur n'importe quel territoire serait-elle moins bien outillée que la BCE à la tête d'une zone monétaire multi-nationale ? Y a-t-il une vraie menace inflationniste si une BCI calibre sa politique monétaire sur un panier de biens dont la valeur doit rester stable ? Si les prix internationaux sont poussés à la hausse par la sur-liquidité mondiale, la BCI restreint ses refinancements. Les opérateurs internationaux sont obligés de se refinancer en devises qu'ils vendent pour couvrir leur positions internationales. Les masses monétaires en devises se rétractent ou les zones monétaires acceptent la dévaluation. La liquidité internationale revient à la stabilité des prix et les zones monétaires assument les conséquences de leur politique interne.
La masse du commerce et des échanges financiers internationaux est désormais suffisante pour qu'un consensus international fasse prévaloir sa demande de stabilité sur l'incontinence d'une zone monétaire. Nous sommes bien d'accord qu'il faut une demande mondiale de stabilité et un processus international d'identification du bon niveau de liquidité. L'expérience accumulée par les grandes banques centrales locales n'est-elle pas suffisante ? Un accord au niveau du G20 est-il si introuvable pour rejouer Bretton Woods avec les propositions de Keynes ?
Nous voyons bien actuellement qu'une demande de monnaie internationale non satisfaite est catastrophique. Un petit pays très engagé sur le plan international se retrouve facilement dans une situation de défiance monétaire. Il ne peut pas résister sans crédit international pour répondre aux ventes de sa devise sur le marché. Comme il n'existe que des monnaies nationales, même les grandes zones monétaires sont réticentes à risquer leur garantie légale interne dans le soutien de non-ressortissants. Le FMI reste impuissant par sa dépendance aux refinancements en monnaie nationale. Le DTS n'est pas une monnaie internationale mais un panier de monnaies nationales.
Je ne suis pas sûr de comprendre les arguments contre une monnaie internationale. Je crois que nous avons encore une vision trop matérialiste de la monnaie. Il nous est encore difficile de comprendre que la monnaie est essentiellement du crédit. Nous ne voyons que le mauvais aspect du crédit par la possibilité donnée à un emprunteur de gruger son prêteur. N'est il pas possible d'adopter une loi et une morale minimales où la confiance naît de la prise en compte honnête et sincère des intérêts de l'autre ? A l'intérieur des frontières étatiques et au-dessus ?
Qu'en pensez-vous ?
Vous dénoncez fort justement l'immoralité du système des changes flottants dans un contexte de liberté internationale du commerce et de circulation des capitaux. L'absence de définition internationale de la monnaie masque à l'épargnant de base qu'un placement à l'étranger le soumet à une loi et une politique monétaire complètement arbitraires pour lui. Tout actif dont la valeur dépend d'une définition nationale de la monnaie dans laquelle il est libellé, a une valeur arbitraire pour ses détenteurs étrangers.
Les Etats-Unis, le Royaume Uni ont décidé de solder la crise de la dette par l'inflation et la dévaluation de leur monnaie. Les Chinois devant qui les autorités américaines n'ont pas d'engagements légaux paieront par la dépréciation de leurs réserves le surendettement des contribuables américains qui contrôlent leur gouvernement. Les changes flottants sont le non-droit international. Donc une invitation au protectionnisme et la négation de la mondialisation. Au minimum une escroquerie intellectuelle compte tenu des bénéfices que la finance a tiré de l'instabilité institutionnalisée.
La thèse de Robert Mundell dans <i>The case for a world currency</i> m'ont redonné espoir sur notre faculté à comprendre la déroute actuelle. J'ai rêvé de ce que pourraient décider les prochains G20. Auriez-vous l'amabilité d'ausculter ce rève pour apprécier ses chances de réalisation ?
http://sdujonchay.neufblog.com/Pdf/ReformeSMI.pdf
Cette citation de Ronald Reagan est certainement drôle mais au second degré : "Nos déficits extérieurs de balance de paiement sont désormais devenus assez grands pour se débrouiller tout seul".
Cela rejoint le cynisme des autorités américaines qui expliquent constamment que les vilains sont hors des Etats Unis, qu'ils s'agissent des Japonais, des Chinois ou encore de la faible Europe qui ne relance pas assez. Je n'ai jamais aimé Krugman qui a eu un prix "Nobel" pour je en sais quelle raison, probablement son anti bushisme sommaire. Mais son dernier article du NYT vilipendant la faiblesse des plans de relance européens a quelque chose d'indécent.
Bulle immobilière, surcapacité industrielle, inflation et coûts de main-d’œuvre en hausse – après 30 années de croissance ininterrompue, le rêve économique chinois tournerait-il peu à peu au cauchemar?"
Chapeau d'un article du journal le Temps de Genève le 12 janvier 2012.
Les lois simples de l'économie s'appliquent à tout le monde, y compris à la Chine !