Crises de confiance, morale et efficacité.
L’économiste peut prévoir le cycle ; il peut indiquer les risques d’une politique économique aventurée ; il ne peut pas déterminer quand et où une crise de confiance bancaire se mettra en place de façon irréversible.
Nous, au cercle des économiste e-toile, nous avons toujours évité d’évoquer de façon lancinante le spectre d’une crise de type 1929, considérant que les conditions de l’époque n’ont strictement rien à voir avec celles qui prévalent aujourd’hui. La seule courbe qui rappelle celle de 1929 est celle de l’envolée de la masse monétaire mondiale. Nous l’avions signalé dès 1998. L’immense masse de liquidités posait visiblement une menace sur le système global. A telle point que votre prix Nobel d’économie, Maurice Allais en avait tiré un livre sur l’imminente crise générale. Ce livre fit ricaner notamment au Monde et Didier Dufau dut écrire une réfutation de cet article dans les colonnes du forum du monde.fr. La crise de 98, qui n’était pas la récession du cycle de 10 ans, fut en effet très courte et finalement assez localisée. Seule l’Argentine et son système monétaire exotique et aventurée connurent une grave dépression.
Les mécanismes d’une crise plus importante furent évidents lorsqu’on vit les moyens employés par lmes Etats-Unis pour sortir du ralentissement du début des années 2000 : 500 milliards de dollars dans le plan de relance, le dollar fondant, les intérêts au plus bas avec inondation monétaire. Les arguments mis en avant par Maurice Allais prenaient plus d’actualité. Fallait-il crier au loup ? Dès l’accident boursier du second semestre 2006, nous l’avons pensé. La récession viendrait plus tôt et serait plus forte qu’anticipée.
Mais aujourd’hui nous sommes passés d’une crise cyclique à un phénomène tout à fait différent : la crise de confiance majeure et généralisée. Ce ne sont plus les pertes sur des investissements aventurées qui mènent la danse mais le comportement de panique des déposants et des épargnants. Un système bancaire ne peut fonctionner que sur la confiance. La défiance généralisée le tue sans que la faute des gestionnaires puissent être invoquée : ils n’y peuvent plus rien ! Seul l’Etat peut intervenir. Le système de Law était excellent... si et seulement si l’Etat imposait le cours forcé du papier monnaie !
Nous sommes entrés dans ce processus. Il ne s’agit plus de savoir si les plans de secours sauvent de vilains cupides inconscients, mais d’éviter un arrêt du système entraînant immédiatement une paralysie de l’économie. Prière de laisser les leçons de morale au vestiaire !
Depuis l’été 2007 les banques refusaient de se prêter les unes aux autres. La crise de confiance était localisée aux intermédiaires bancaires. Elle s’étend désormais aux épargnants et aux déposants. La chanson est autrement grave. Ces comportements de foule ne peuvent jamais être prévus complètement. En 1991-93 le système bancaire européen avait été pratiquement ruiné par les folies de crédits dans l’immobilier de bureau. Des banques avaient été très menacées notamment en Suède. Mais il n’y avait pas eu de panique générale. Les autorités des pays où le système bancaire donnait de la bande avaient rapidement cantonné les actifs douteux, changé le management des banques touchées, et évité d’intervenir lourdement sur la gestion des établissements concernés. Tout était revenu à la normale assez vite. Le scénario le plus probable en 2007 après la faillite de Bear Stearns n’était pas celui d’une crise de confiance des épargnants.
C’est la faillite de Lehman Brothers bien des mois plus tard qui a déclenché la panique. Les produits structurés de Lehman Brothers ont été vendus par les plus grands établissements bancaires à de tout petits épargnants et ils peuplent les bilans de pratiquement toutes les banques à travers le monde. Contrairement à ce que j'ai pensé un temps, il aurait sans doute été sage d’organiser un sauvetage de cette banque par le trésor américain plutôt que de laisser filer tout en suggérant que l’ensemble de Wall Street était en faillite. Les banques centrales sont impuissantes à sauver des banques d’affaires qui font face à des pertes et pas à des retraits de déposants. Seuls les gouvernements peuvent agir.
Le Secrétaire au Trésor américain a joué avec le feu : laisser filer Lehman Brothers, sauver AIG et ces 80 milliards de dollars de dettes pourries, puis annoncer presqu’aussitôt 700 milliards de dépenses publiques pour sauver le système était incohérent. On pouvait sauver Lehman Brothers pour beaucoup moins que cela. Du coup personne n’a rien compris et tout le monde a pensé qu’ il y avait des dizaines de Lehman Brothers dans le corridor de la mort. La panique s’en est suivie.
Désormais tout le système bancaire mondial est figé dans les glaces. Aucune banque ne peut plus prêter à une autre banque. Chacune sent le volcan sous ses coffres, et voit fuir l’argent déposé chez elle avec les plus grandes alarmes, en même temps que sa valorisation boursière d’effondre.
On se retrouve à l’échelon mondial dans la situation des Argentins cherchant à récupérer leur épargne et trouvant porte close. On a vu le résultat : un hiver économique de type légèrement nucléaire.
La solution est connue : pas seulement assurer la liquidité du système mais cantonner partout où il le faut les actifs douteux à l’aide de recettes fiscales afin de mettre fin aux diverses paniques, éliminer les équipes dirigeantes fautives et laisser aux nouveaux responsables nommés toute la latitude nécessaire pour faire ce qu’il faut. Plus la perte sera constatée vite, plus vite viendra la guérison. En économie une jambe gangrénée et coupée à temps sauve le malade et parfois même elle repousse.
Acter les pertes est nécessaire partout et pas seulement aux Etats -Unis où le vote du parlement américain est sans échappatoire possible. Sur les 1500 milliards d’actifs douteux courant le monde, on récupérera plus tard entre 30 et 40% de la valeur. Que le monde perde mille milliards de dollars ce n’est pas rien mais ce n’est pas gravissime. C’est totalement immoral puisque des contribuables innocents vont payer pour des spéculateurs impénitents. Mais quelques années de croissance retrouvées adouciront la note.
A-t-on jamais vu l’efficacité faire bon ménage avec la morale dans les grands moments de trouble ?
Lewis Holden
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Le FT du 6 octobre confirme votre analyse : il prouve qu'on a refusé à Lehman ce qu'on allait accepter pour tous les suivants et que donc il n'y avait pas de bonnes raisons de laisser filer cette banque ce qui a enclencher la crise de confiance générale (banquier et public).
En tout cas merci à ce site qui sur la crise aura été constamment en avance dans ses analyses sur la presse internationale. Et qui le reste. C'est amusant de voir chaque semaine des thèmes que vous avez abordés passer sur le devant de l'actualité !