Réserver les stock-options aux « start- up » !

A l’époque où le Cercle des Economistes E-toile poursuivait une politique de participation publique dans des forums, notamment celui du Monde.fr,  beaucoup de nos interlocuteurs  favorables avaient été profondément choqués de nous voir condamner fortement l’extension des stock-options et proposer une réglementation restrictive.   A l’époque, en 1999, il y avait une sorte d’unanimité gauche-droite en faveur de cette pratique.  MM. Jospin et Allègre avait fait passer une loi favorisant les stocks options. La droite n’avait pas critiqué. Nous avions protesté, soulignant que cette unanimité ne résisterait pas et que cette affaire prendrait tôt ou tard la tournure d’un scandale.  Bien que nos raisons soient plus évidentes aujourd’hui qu’à l’époque, il convient de rappeler ce que nous contestons fortement dans la mécanique des stock-options (SO).
Depuis l’instauration des changes flottants, on a assisté à une inondation permanente de monnaie qui a d’abord provoqué la stagflation puis, après  l’ouverture à  la Chine et à  l’Inde qui bloquait les salaires en Occident, à la montée continue et bourgeonnante des actifs, notamment boursiers.  Couplée avec l’ouverture de la bourse aux fonds de pensions, cette hausse continue des actions, aux crises périodiques près,  et ce freinage des salaires, a provoqué la ruée vers les SO.
D’abord les fonds de pension voulaient que les dirigeants aient une vision boursière plus dynamique. Ils avaient raison. Pendant des années l’indifférence des directions d’entreprise vis-à-vis de leur cours de bourse avait été proverbiale.  On se souvient qu’Unilever, une des plus grandes entreprises européennes du moment,  maintenait jusque dans les années 70 une rentabilité globale inférieure à 2% !  Les fonds de pension  firent valoir leurs exigences : un cours de bourse constamment en hausse avec une rentabilité de 20 à 30%. Il y eût une sorte de choc culturel.  Pour faire passer le message, ils adoucirent le « deal » en promettant des rémunérations adjacentes au salaire et directement liées au cours de bourse : les stock-options.  Pourquoi  ce système plutôt qu’une bonne prime en cas de réalisation d’objectifs boursiers ?  Pour des raisons purement fiscales et comptables.  Les options étant considérés comme des engagements hors bilan, n’entraient pas dans les comptabilités.  Leur exercice étant assimilé à une plus value sur titre,  la fiscalité était largement celle des plus values.  Beaucoup de pays ne taxant pas les plus values, on pouvait arriver à une taxation nulle. Surtout les charges sociales n’étaient pas assises sur les plus values.   Des sommes gigantesques pouvaient être accordées sans que cela touche le compte d’exploitation  pour le donateur  et souvent quasiment hors impôt pour le bénéficiaire.
La mondialisation et l’ouverture totale des marchés financiers imposaient des contraintes et offraient de nouvelles opportunités. Il fallait devenir un acteur « global », si possible leader sur ces marchés. Cela imposait de disposer d’énormes quantités de capital. Le titre pouvait être déprécié fortement en quelques minutes si   « le marché » perdait confiance dans les dirigeants et l’avenir d’une entreprise.
On ne parla bientôt plus de croissance, de dynamisme, de bonne gestion,  mais de « création de valeur pour l’actionnaire » qui devient le mantra de toute la presse et de tout le petit monde de l’entreprise.
 On connaît le résultat : toutes les grandes entreprises mirent en place un plan d’intéressement des cadres dirigeants (et parfois du seul groupe des très hauts dirigeants)  par SO.  La rémunération des PDG prit l’ascenseur pendant que celle des salariés prenait l’escalier.  Au point qu’en 20 ans, l’écart entre salaire moyen et rémunération moyenne des dirigeants passa  de 10 fois à plus de 300 fois.  Partout éclata le scandale de rémunérations délirantes des dirigeants alors que leurs entreprises finalement décrochaient en bourse. Jusqu’à ce que l’effondrement général des bourses laissant comprendre que ce système délirant avait trouvé ses limites.
Aujourd’hui les SO sont enfin sur la sellette.  Pour beaucoup, elles sont assimilées au vol pur et simple. Leur pratique est trop liée aux déviances qui ont marqué l’explosion du système financier pour qu’un changement profond de législation ne soit pas indispensable.
Le nœud de l’affaire c’est que la valeur de l’action en bourse est très rarement liée  aux performances  de la direction.  La bourse est cyclique et son niveau dépends de considérations financières plus macro économiques que micro économiques.  En cas d’inondations monétaires, les bourses montent automatiquement.   Les emballements boursiers sont en général indifférenciés : toutes les valeurs montent. Lors de la folie spéculative de 1999-2000 une double spéculation sur la hausse du dollar (permis par les changes flottants) et sur les bourses américaines les plus risquées (ce qu’on a appelé improprement la bulle Internet), les hausses sont prodigieuses sans que la performance  des dirigeants en soit la cause.  Les stocks options permettent de capter l’épargne publique à des niveaux inouïs.  On vit donc des patrons dont les salaires restaient souvent dans des limites acceptables se gaver  de gains en capital  gigantesques : 5 millions  puis 10 puis 40 millions d’euros en France ; dix fois plus aux Etats-Unis.   Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limite.
Mille affaires prouvèrent bientôt l’arbitraire du système.  Tel vendait sa société parce qu’il y avait un  gain personnel en capital énorme associé à l’opération  (vente de Elf à Total par Jaffré, alors que Total était beaucoup plus petit que Elf) ; tel autre exerçait ses options la veille de l’effondrement des cours suite à leur incapacité à gérer correctement leur production (Forgeard et toute la haute direction d’EADS)   ; tel autre le faisait alors même que ses erreurs avaient fait chuter lourdement le titre en bourse (Bouton, le PDG de la Société Générale après avoir présidé à l’achat à pertes de CDO gagés sur les subprimes et au développement spéculatif excessif qui a abouti à l’affaire dite Kerviel).
Au total les stocks-options ont accéléré la crise systémique que nous vivons tout en perdant de réputation un capitalisme  devenu inique.   Un beau résultat… que nous avions annoncé il y a quasiment dix ans !
Le mécanisme des stocks options est légitime dans un cas et un seul : les « start-up ».  Pour séduire des cadres compétents alors qu’il leur est impossible de verser de gros salaires, les entreprises naissantes doivent pouvoir les rémunérer sur les perspectives d’avenir.  Que l’introduction en bourse d’un petite entreprise permette à ceux qui ont été à l’origine de son succès des gains en capital importants, rien de choquant, même si les sommes sont astronomiques.   Cela correspond à plusieurs  avantages sociaux importants : la création d’entreprises et le dynamisme entrepreneurial, l’augmentation de la concurrence et l’attaque des rentes des sociétés installées, la rémunération du risque. 
La législation doit donc purement et simplement interdire les SO hors du cadre des start-up.  La rémunération des dirigeants doit se faire sur les flux de bénéfices et non sur l’augmentation de la valeur des titres. C’est une affaire de compte d’exploitation et non de haut de bilans. Si des cadeaux en titres doivent être faits, ils doivent l’être  à la valeur du jour et être taxés comme les primes.  
Le risque ? Des délocalisations de sièges sociaux, les dirigeants se déplaçant vers les lieux où les SO seraient possibles ! Il est facile à conjurer.  Pour l’Europe, la législation doit être évidemment commune avec interdiction de la possession  et le négoce de titres d’entreprises pratiquant de telles rémunérations où que ce soit dans le monde,  et blocage aux frontières de leurs produits. 

On verra alors que les SO entreront au musée de la folie des hommes et que personne n’exigera jamais qu’on les en sorte.

Cercle des économistes e-toile

Commentaire
VZ's Gravatar Un article dans le monde de ce jour donne des compléments statistiques intéressants : depuis 88 le CAC est passé de 1000 à 6900 au haut de la bulle internet. En même temps le PIB par habitant français a progressé de 35%. On ne peut illustrer la déconnexion de la valeur des actifs de celle de l'activité... et l'urgence que certains ont trouvé à brancher la rémunération des patrons sur les premiers et non sur les résultats. Mais l'auteur ne donne aucune explication sur cet écart d'évolution sinon en dénonçant la "démesure de la finance spéculative".
# Posté par VZ | 13/10/08 18:11
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