Crise mondiale : ce que l’on sait ; ce qu’il faudrait faire.
En accidentologie, on sait qu’un drame est rarement le fruit d’une seule cause et que plusieurs facteurs se conjuguent pour faire céder les précautions qui entourent la plupart de nos comportements. On trouve le plus souvent : un terrain favorable, une innovation qui trouble la routine de la normalité et une ou plusieurs imprudences simultanées qui lient l’ensemble et provoquent la catastrophe.
La crise mondiale qui nous frappe relève du même type d’analyse. La conjoncture est le fruit de conjonctions. On peut dès maintenant en établir le tableau.
Le terrain était favorable à une crise économique. Pourquoi ? D’abord parce qu’on sait qu’une crise à caractère de ralentissement ou de récession frappe l’économie mondiale tous les 8 à 10 ans. On sait aussi que le dernier épisode de ce type a été particulièrement aigu au moins sur le plan boursier. En France le Cac a atteint près de 7000 points avant de redescendre à 2500, imitant la bourse américaine. Les Etats-Unis ont été obligés après des lustres de déficits ahurissants d’aggraver encore la fuite en avant en inondant le monde de liquidités, en faisant descendre les taux d’intérêt extrêmement bas tout en laissant plonger le dollar. Des taux d’intérêt inférieurs à l’inflation, donc négatifs, ne peuvent guère être considérés comme normaux. Un dollar dévalué de 97% par rapport à l’or en 30 ans, ne peut pas être vu comme une monnaie sans problème.
Une première question, macro économique est de savoir pourquoi on a pu en arriver là. Les théories genre « exubérance des marchés » sont évidemment un peu courtes. C’est toute la question des changes flottants et des possibilités offertes aux Etats-Unis de laisser filer leurs déficits pendant des années. L’observateur ne peut manquer de remarquer que cela fait trente ans que cela dure avec des crises financières de plus en plus graves. La question se pose de réformer cet environnement macro économique qui s’avère inégalitaire, instable et dangereux.
Y-a-t-il une innovation particulièrement importante dont la nouveauté aurait pu troubler les équilibres et le jeu des précautions habituelles ?
Oui : la banque assurance et les produits techniques sophistiqués.
Une grande partie de la montée des hedge funds dans les années 1990 est liée à la mise en place de nouveaux liens entre organismes d’assurances et banquiers. Ce sont les détenteurs des gros stocks d’actions qui peuvent les prêter et permettre de jouer sur les « futures », en un mot toutes les formes d’options et d’opérations à fort levier. Les assureurs ont des actuaires, rompus aux mathématiques. Dans le fourneau de la « banque assurance » des experts vont voir se dessiner des possibilités nouvelles d’abord expérimentées par les hedge funds puis repris dans la banque d’affaire. Les experts de l’assurance sont passés maître dans l’art de modéliser à long terme les flux de trésorerie. L’ingénierie financière prend son essor avec des produits largement incompréhensibles pour le commun des banquiers. Mais ils sont tentants, car ils sont hors bilan, hors bourse et hors de portée des régulateurs. Or justement les banquiers peuvent faire du chiffre car les taux d’intérêt sont bas ce qui stimulent opportunément les demandeurs. Et les assureurs sont prêts à assurer les crédits et les opérations un peu compliquées, qui leur font gagner beaucoup d’argent sans peser sur leur trésorerie. Les agences de notation sont totalement dépassées par les technologies mises en œuvre et raisonnent à la papa comme s’il s’agissait de crédits classiques.
Quelles auront été les imprudences ?
Le marché immobilier des particuliers stagnant depuis la crise de 1974, malgré un net rebond à la fin des années 80, est reparti à la hausse selon son rythme propre. C’est vrai partout dans le monde. Aux Etats-Unis l’administration Clinton commet une première imprudence : elle fait passer une législation « politiquement correcte » imposant les crédits aux minorités tout en donnant une garantie aux deux instances de régulation du marché des hypothèques, Fanny Mae et Freddy Mac. La baisse des taux d’intérêt aidant un énorme marché des prêts immobiliers à primes de risque se met en place. Une seconde imprudence provient des acteurs de la « banque-assurance » qui plongent dans la fabrication de produits dérivés de ces crédits avec la garantie apparente de la technicité et de l’énormité des réserves des assurances, plus celle de l’Etat américain.
A partir de 2002 le marché s’emballe. Les produits complexes font le tour de la terre, générant de gras courtages et finissant dans le bas de laine d’épargnants incapables de savoir ce que les gérants de portefeuille peuvent bien mettre dans leur compte. Au lieu de s’inquiéter sur la montée des encours en produits complexes, la complaisance domine et on s'extasie. Lehman Brothers, en pointe sur la confection et la distribution de ces produits est primée pour son audace, sa technicité et ses résultats brillants. Les ambitieux se lancent un peu partout dans la danse, y compris des européens comme le suisse UBS ou le français Crédit Agricole. L’inconscience est générale, l’imprudence devient universelle. La valeur de l’en cours global des CDS et des CDO croît à partir de 2002 de plus de 100% par an, grégarisme bancaire oblige !
Jusqu’à ce que le cycle reprenne ses droits et que le retournement global de la conjoncture s’annonce. On commence à s’aviser que certaines positions sont très aventurées. Le marché immobilier américain tousse puis se retourne. Pour la première fois les prix baissent. Les flux de trésorerie à la base de toutes les titrisations s’inversent. Les marchés interbancaires de gré à gré sur ces produits se bloquent en juillet 2007. La comptabilisation devient impossible. Des pertes apparaissent dans des bilans qu’on croyait vierge de tout problème. Les attaques de banques commencent, et les assureurs sont pris d’assaut. Ils ont donné leur garantie. Le château de cartes s’effondre et avec lui les bourses mondiales. La crise de confiance finit par bloquer partout le système bancaire et comprime l’économie dite « réelle ».
Nous en sommes là.
Il y a bien eu conjonction d’un terrain dangereux, d’innovations incontrôlées et d’imprudences caractérisées.
La sagesse serait d’agir pour l’avenir sur ces trois aspects.
Il faut évidemment revoir un système qui permet aux Etats-Unis d’alimenter par ses déficits des crises financières de plus en plus graves. C’est la question des changes flottants et de la régulation des politiques des Etats par un système égalitaire sans superpuissance à privilèges et avec une organisation globale différente de celle qui existe. C’est la question la moins débattue car à la fois la plus technique et la plus politique. Les économistes sont taiseux et les Etats-Unis ne lâcheront pas facilement leur statut d’hyper puissance.
Il faut maîtriser l’innovation financière, c’est à dire contrôler mondialement la création et la diffusion des produits dérivés et structurés. Vers ce monde compliqué il faut voguer avec des idées simples : rentrer les « futures » partiellement dans le bilan et faire en sorte qu’un créateur de produits dangereux en conserve une bonne partie comme gage de sa validité. Mais la magnitude de complexité doit être aussi réduite. On retrouve nos changes flottants qui imposent, pour que la diffusion mondiale de ces produits soit possible, des hedgings sophistiqués et eux même complexes, rendant le tout parfaitement non maîtrisable. Et la combinaison de produits complexes dans des produits complexes ad infinitum doit certainement faire l’objet d’un traitement prudentiel un peu plus sévère. A l’échelon mondial.
Quant à l’imprudence, on touche à la condition humaine. On pourra toujours règlementer la rémunération des « traders », on ne changera rien durablement. Les politiques feront toujours du « politiquement correct » et prendront des mesures démagogiques et potentiellement dangereuses, les banquiers seront toujours des moutons, les ambitieux enfourcheront toujours le dernier dada à la mode, les épargnants chercheront toujours à « battre la moyenne du marché ». Il faudrait surtout mettre en place des procédures d’alerte quand un marché dérape de façon trop « exubérante ». Mais il faut que cela soit une fois encore une organisation mondiale qui parle et qu'elle puisse le faire sans la pression d'un bailleur principal !
Le FMI, seule institution de surveillance existante a totalement failli à sa mission. Impuissante vis-à-vis des Etats-Unis son principal bailleur qui dispose en outre, seul, d’un droit de veto, elle n’a rien compris à ce qui se passait dans la sphère des innovations de la banque assurance, contrairement à la Banque des Règlements internationaux qui, elle, a bien vu la bulle des produits dérivés et structurés. Elle est de plus présidée par un président sans crédit et sans réelles compétences : erreur d'un choix politique pour une institution déboussolée depuis longtemps, sans importance pratique et dont la présidence est vue comme une sinécure pour satrape en attente de poste encore plus honorifique.
Les Etats-Unis sont évidemment au cœur de la tourmente. Ils sont actuellement sans pilote et avant que le nouvel élu soit réellement en place il se passera encore quelques mois. Rien dans les propos actuels des candidats ne laissent penser qu’ils veulent le moins du monde revenir sur leurs privilèges et leur rôle de leader de l’occident et de maîtres du monde. L’ennui c’est que les changes flottants, c’est eux ; les déséquilibres pesant sur le monde entier, c’est encore eux ; les innovations financières dangereuses, c’est toujours eux ; le blocage de toute régulation financière et comptable universelle, c’est aussi eux ; les banquiers qui ont créé le marasme général, ce sont les leurs ; les plus lents à réagir, c’est encore, toujours, aussi, eux. Autant dire qu’ils ne céderont rien facilement et que les autres iront à la discussion en marchant sur des œufs.
On ne s’accordera que sur les points les plus faciles : les normes comptables, les agences de notations, la régulation internationale de la banque assurance, peut être le système de rémunérations des banquiers et un petit peu les « hedge-funds ». Mais on peut craindre qu’on n’aille pas plus loin.
Si on aime les analogies routières : on mettra des air-bags, quelques gendarmes et on fera souffler les conducteurs dans le ballon. Mais on ne touchera pas à la route défoncée et dangereuse.
C'est trop peu et trop tard.
On est déjà passé du ralentissement à la récession. Tout est en place pour qu’on passe à la récession sévère puis à la dépression.
Sauf miracle...
…politique !
Didier Dufau, pour le Cercle des économistes e-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Ce qui n'est pas un mal en soi.
Toutefois, pour la plupart, ils manquent de recul, dans le temps et dans l'espace.
Ils n'ont pas connu de crises et n'ont pas bourlingué.
Ca n'aide pas leur sens critique!
Une enquête montre par ailleurs que les banques dirigées par des femmes prennent moions de risques et sont moins touchées par la crise.
D'ici à ce que la refondation du capitalisme s'appuie sur la banquière de moins de 55 ans et de plus de 50, il n'y a pas loin.