Bienvenue au Paradis des Anges.

Devant l’ampleur de la crise la question est posée de trouver des responsables et les condamnations morales se multiplient. Depuis le fond des temps on immole en cas de catastrophe pour se purifier des fautes supposées  et attendrir les Cieux.
Pour l’observateur attentif, il apparaît que les acteurs du drame ont toujours plutôt agi avec les meilleurs sentiments.

Prenons la question des « subprimes ».  Les politiques s’inquiètent aux Etats-Unis comme ailleurs des discriminations qui touchent des catégories exclues de la population.  Discrimination et exclusion ne sont pas des choses avec lesquelles on badine en démocratie.  Résultat : une loi bi-partisane  à l’initiative de Bill Clinton impose des règles plus strictes aux distributeurs de crédit.  La loi du 30 septembre 1996 impose de facto aux banques de prêter à des personnes  qui jusqu’ici n’étaient pas considérées comme éligibles.  Simultanément l’Etat apporte sa garantie à deux grandes institutions de régulation  du marché des prêts immobiliers.  Il est intéressant de lire le credo  de l’une d’entre elle, Fanny Mae :
“Fannie Mae provides stability, liquidity, and affordability to the nation's housing finance system under all economic conditions. We exist to expand affordable housing and bring global capital to local communities in order to serve the U.S. housing market. Fannie Mae has a federal charter and operates in America's secondary mortgage market to ensure that mortgage bankers and other lenders have enough funds to lend to home buyers at low rates. Our job is to help those who house America ».
Les mots clé sont évidemment « under all economic conditions », « low rates », « affordability ».  

Les banques ont donc le DEVOIR de servir la communauté, devoir contrôlé par la loi pénale, puissante aux Etats unis.

Voici en place le marché des prêts dits « subprimes ». Les analystes  bancaires ne sont pas trop inquiets. Les prix de l’immobilier ont monté régulièrement depuis la guerre sans JAMAIS redescendre.  Si un client est individuellement potentiellement dangereux, la collectivité des clients difficiles montre un taux à peu près fixe de défaillances. Il suffit d’augmenter les taux en conséquence.  C’est mathématique. Et on se fixera sur le prix du bien plus que sur les caractéristiques de la personne.  Le gage ne perd pas de valeur. Le système est sain.  Et s’il dérape on sait que la garantie de l’Etat est là.

Ce n’est pas la folie furieuse de banquiers irresponsables qui crée le marché des subprimes mais la volonté de bien faire impulsée par le politique et mise en musique avec sérieux par les organismes  de crédit.  On notera qu’il n’y a pas qu’aux Etats-Unis que la volonté de "démocratiser" le crédit et les conditions de logement sont dominantes dans l’action des gouvernements.

En France Nicolas Sarkozy donne une prime fiscale à l’emprunt immobilier et facilite l’accès à la location en généralisant la garantie de l’Etat sur les cautions.  Il le fait en 2008, alors que la crise des subprimes est déjà en plein essor et qu’il fustige les vilains intermédiaires  qui ont fait des affaires douteuses avec les pauvres aux Etats-Unis ! Pendant sa campagne présidentielle un discours énergique montre que la vraie solution c'est le crédit hypothécaire et que lui président il substituera le prêt sur gage au prêt qui dépends des ressources de la personne. Les Français y ont le droit et on ne laissera pas des idées anciennes se mettre en travers de la modernité.  Pas étonnant que ce morceau de choix passe en boucle sur le WEB :

http://www.dailymotion.com/relevance/search/sarkozy%2Bsubprimes/video/x73o4s_crise-quand-nicolas-sarkozy-vantait_news

La courbe des ventes de maisons se met à monter dès 1997 et est à peine touchée par la crise générale du début des années 2000. Pourquoi ? Parce que la bulle qui vient d’exploser s’est formée en bourse  et principalement sur les valeurs technologiques. L’immobilier parait  bien plus sûr. Se placer sur ce marché là n’est pas la marque d’un quelconque accès de cupidité diabolique, mais un exemple de sagesse.

Les autorités monétaires au même moment font descendre les taux d’intérêt extrêmement bas.  Ils y sont encouragés par le monde entier qui place son épargne massivement aux Etats-Unis au lieu d’investir ailleurs dans l’industrie. En 2002, on en arrive à 1%, soit moins que l’inflation.  Pour les emprunteurs immobiliers la situation est idéale. Elle l’est beaucoup moins pour les prêteurs qui gagnent leur vie sur la différence entre le coût de l’argent qu’ils empruntent et le taux de leurs prêts.  La solution unique et rationnelle est  d’agir sur  le nombre des prêts : un peu moins de marges mais sur une masse plus grande de chiffre d’affaire, et on s’en sort !  Mais élargir la clientèle, c’est augmenter les risques en attaquant des franges de la clientèle potentiellement insolvables.  Pas dans l’immobilier où la garantie de l’Etat et l’organisation du marché limite le risque pour le banquier.   
Un obstacle tout de même : les ratios prudentiels !

Même si les Etats-Unis n’ont pas voulu admettre les disciplines de Bâle 2, les banques ne peuvent pas prêter de façon illimitée ? Il  existe une solution : titriser les crédits et les revendre aux sociétés d’assurances ou à des intermédiaires financiers qui en feront des actifs commercialisables aux épargnants ou aux trésoriers d’entreprise.  Tout cela se fait hors bilan et donc hors ratio prudentiel.

La titrisation n’est pas une discipline immonde conçue par le diable dans son fourneau maléfique. Les CDS et les CDO sont un peu plus complexes mais en aucun cas mal intentionnés.  Ceux qui les conçoivent ne se jugent pas comme d’immondes spéculateurs mais comme d’excellents techniciens et innovateurs. Ils sont d’ailleurs considérés comme tels.  Les petits génies des meilleurs grandes écoles scientifiques sont sollicités pour donner à l’ingénierie financière cette substance scientifique qui fait la réputation globale des produits mis sur le marché.  Les méthodes de valorisation ne sont pas le fruit d’un bricolage sur une table de bistrot : ce sont des prix Nobel qui s’y sont collés.  Lehman Brothers qui est en pointe sur ces techniques est considérée comme la banque la plus dynamique et la plus créative. Elle est primée pour cela.

C’est alors que le marché décolle vraiment : de 2003 à 2005 les croissances dépassent 100% par an. Des dizaines de millions de foyers pauvres entrent dans leur maison.   On cite en exemple un Etat qui sait vraiment s’attaquer à la pauvreté.  Tout le monde se congratule et pleure sur l’extrême sagesse et bonté d’un système qui allie générosité et efficacité.

Du côté des épargnants et des trésoriers d’entreprise une bonne nouvelle se fait jour : malgré les taux d’intérêt très bas il est possible de doper un peu les rendements et pratiquement sans risque grâce aux produits « dynamiques ».  La diffusion des dérivés adossés au marché des subprimes devient mondiale. Sans qu’aucun intermédiaire n’ait l’impression de commettre une mauvaise action : les agences de notation  ont mis de bonnes notes aux produits considérés !

La bulle devient  tellement énorme que les autorités montent les taux d’intérêt pour la freiner. En vain et  lorsque le retournement décennal de la conjoncture se produit, non seulement le marché immobilier américain  se grippe mais les prix se retournent pour la première fois depuis  soixante ans. Le bel édifice s’écroule entraînant tout sur son passage.

Qui est fautif ? Les politiciens qui par esprit compassionnel et démocratique ont décidé de forcer le crédit aux pauvres ? Les autorités monétaires américaines qui ont inondé le monde de monnaie ? Les autres pays qui ont choisi de replacer cet argent aux Etats-Unis ? Les techniciens qui ont créé les produits dérivés  complexes ? Les dirigeants des banques qui ont largement travaillé hors bilan ? Les agences de notation qui  ont donné des notes trompeuses ?  Les intermédiaires qui ont diffusés les crédits puis les produits dérivés de ces crédits ?  Les comptables qui ont édicté des normes de comptabilisation favorisant le court terme ?

Tous ont eu l’impression de faire le bien et d’agir au mieux.

Les libéraux pourront dire : ce sont les interventions démagogiques des politiciens t sur les prêts immobiliers  et sur les taux d’intérêt qui sont les moteurs de la crise.
Les socialistes  pourront affirmer que Wall Street, son argent facile  et ses dérégulations, c’était  décidemment pas possible et qu’il faut revenir à plus de régulation.  

La vérité, éternelle, c’est que l’enfer est pavé des meilleures intentions.

Didier Dufau, pour le Cercle des Economistes E-toile.



Commentaire
Lewis Holden's Gravatar Voici un court extrait du texte d'un "congressman", un certain Barney, très révélateur de l'esprit des politiques concernant Fanny Mae et Freddy Mac : il n'y a aucun risque et tous ceux qui parlent de risque empêche ces institutions de jouer leur rôle social de fournisseur des conditions d'un crédit pas cher pour tous les américains. www.taxfoundation.org/blog/show/23617.html pour le discours complet.

Now, we have got a system that I think has worked very well to help housing. The high cost of housing is one of the great social bombs of this country. I would rank it second to the inadequacy of our health delivery system as a problem that afflicts many, many Americans. We have gotten recent reports about the difficulty here.

Fannie Mae and Freddie Mac have played a very useful role in helping make housing more affordable, both in general through leveraging the mortgage market, and in particular, they have a mission that this Congress has given them in return for some of the arrangements which are of some benefit to them to focus on affordable housing, and that is what I am concerned about here. I believe that we, as the Federal Government, have probably done too little rather than too much to push them to meet the goals of affordable housing and to set reasonable goals. I worry frankly that there is a tension here.

The more people, in my judgment, exaggerate a threat of safety and soundness, the more people conjure up the possibility of serious financial losses to the Treasury, which I do not see. I think we see entities that are fundamentally sound financially and withstand some of the disastrous scenarios. And even if there were a problem, the Federal Government doesn't bail them out. But the more pressure there is there, then the less I think we see in terms of affordable housing.
# Posté par Lewis Holden | 04/10/08 00:51
Gloups's Gravatar Le plus drôle : Bush présenté comme le grand dérégulateur exige des mesures de régulation de FMae et FMac que les démocrates refusent !

"A September 11, 2003 New York Times article shows that President Bush proposed “the most significant regulatory overhaul in the housing finance industry since the savings and loan crisis a decade ago.” His proposal: An agency within the Treasury Department to supervise mortgage giants Fannie Mae and Freddie Mac.

Fearing that mortgages would no longer be available to people who were unable to pay them back, Democrats eventually killed the proposal. The current meltdown in the mortgage industry is a direct result of giving mortgages to people who could not pay them back, a practice protected by Congressional Democrats".
# Posté par Gloups | 04/10/08 01:08
Gloups's Gravatar j'ai également trouvé cela :

17 September 2008
Fannie Mae, Freddie Mac problems predicted... in 2003
Ron Paul in the House Financial Services Committee, September 10, 2003

Mr. Chairman, thank you for holding this hearing on the Treasury Department's views regarding government sponsored enterprises (GSEs)... Today, I will introduce the Free Housing Market Enhancement Act, which removes government subsidies from the Federal National Mortgage Association (Fannie Mae), the Federal Home Loan Mortgage Corporation (Freddie Mac), and the National Home Loan Bank Board...

One of the major government privileges granted to GSEs is a line of credit with the United States Treasury... This explicit promise by the Treasury to bail out GSEs in times of economic difficulty helps the GSEs attract investors who are willing to settle for lower yields than they would demand in the absence of the subsidy. Thus, the line of credit distorts the allocation of capital. More importantly, the line of credit is a promise on behalf of the government to engage in a huge unconstitutional and immoral income transfer from working Americans to holders of GSE debt...

The connection between the GSEs and the government helps isolate the GSE management from market discipline. This isolation from market discipline is the root cause of the recent reports of mismanagement occurring at Fannie and Freddie. After all, if Fannie and Freddie were not underwritten by the federal government, investors would demand Fannie and Freddie provide assurance that they follow accepted management and accounting practices...

Ironically, by transferring the risk of a widespread mortgage default, the government increases the likelihood of a painful crash in the housing market. This is because the special privileges granted to Fannie and Freddie have distorted the housing market by allowing them to attract capital they could not attract under pure market conditions...

Despite the long-term damage to the economy inflicted by the government's interference in the housing market, the government's policy of diverting capital to other uses creates a short-term boom in housing. Like all artificially-created bubbles, the boom in housing prices cannot last forever. When housing prices fall, homeowners will experience difficulty as their equity is wiped out. Furthermore, the holders of the mortgage debt will also have a loss. These losses will be greater than they would have otherwise been had government policy not actively encouraged over-investment in housing...

Perhaps the Federal Reserve can stave off the day of reckoning by purchasing GSE debt and pumping liquidity into the housing market, but this cannot hold off the inevitable drop in the housing market forever. In fact, postponing the necessary, but painful market corrections will only deepen the inevitable fall. The more people invested in the market, the greater the effects across the economy when the bubble bursts.
# Posté par Gloups | 04/10/08 01:13
Lewis Holden's Gravatar Je signale aux amateurs le livre : Finance computationnelle et gestion des risques
De François-Eric Racicot, Raymond Théoret

Une partie du contenu est lisible à l'adresse :

http://books.google.fr/books?id=uiD9cZABiZUC&p...

Celui qui croit que ces braves garçons se considèrent comme des diables a perdu !
# Posté par Lewis Holden | 04/10/08 01:36
Lewis Holden's Gravatar ou :

http://www.informs-cs.org/wsc03papers/044.pdf

Imaginez simplement la tête des administrateurs des comité de crédits des banques traditionnelles en lisant ce genre de prose ! Certains ont dit "je ne comprends pas j'y vais pas". Les autres ont pensé : "c'est sérieux on y va". Personne n'a cru mal faire.

On verra que les régulations ne changeront pas grand chose à ces techniques.
# Posté par Lewis Holden | 04/10/08 01:42
DD's Gravatar « Nous sommes du côté des anges ; dans toutes les affaires que nous avons conduites, nous sommes les bons gars », expliqua M. Jeff Skilling, ancien directeur général d’Enron, au magazine Business Week.

Je ne connaissais pas cette phrase prononcée par l'ancien patron de Enron quelques années avant la chute de ce géant des produits financiers dérivés mêlant pétrole et météo. Elle montre bien que même dans les pires faillites, les responsables ont l'impression d'être des anges.
# Posté par DD | 04/10/08 17:59
Fred's Gravatar Parmi les anges il faut ajouter Nicolas Sarkozy qui pendant sa campagne électorale présidentielle, en septembre 2006, a tenu, de retour des Etats-Unis, de farouches propos en faveur des "subprimes" et exigé que l'on tienne compte de la valeur du bien et non de la solvabilité de la personne pour les prêts au logement. Il a fait son Clinton avec les dix ans de retard réglementaire entre la France et les Etats Unis. Et avec quelle force : "je n'admettrais JAMAIS...", etc.
# Posté par Fred | 18/10/08 10:49
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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