Les changes flottants et la crise mondiale actuelle : une question fondamentale !
Beaucoup ne comprennent pas le lien entre la crise actuelle et les changes flottants. Ce petit memo est pour eux.
Jusqu’en 1971 nous avons vécu sous les règles des accords de Bretton-Woods : les changes étaient fixes et ajustables après négociation. Le FMI observait les politiques des Etats pour éviter qu’ils ne créent trop de déséquilibres extérieurs. En cas de crise il intervenait pour éviter que des politiques trop restrictives dans les pays en faute ne fassent tâche d’huile. Ce système correspond à ce qu’on a appelé « les trente glorieuses », de 44 à 74.
Les Etats-Unis avaient un rôle disproportionné : le dollar devenait la monnaie de référence ; les Etats-Unis seuls disposaient d’un droit de veto au FMI. D’autres solutions avaient été abordées lors de la conférence comme la proposition de John Maynard Keynes d’un Bancor, monnaie non nationale de référence et, compte tenu des rapports de force de l’époque, abandonnées.
Le Dollar était défini par rapport à l’or. C’était un « Gold Exchange Standard», une monnaie de substitution de l’or mais « qui valait de l’or ». Il était dangereux de donner à un seul pays la responsabilité de la monnaie mondiale, même si son économie était la première du monde (surtout en 44 après les pertes de la guerre en Europe et en Asie). Mais la référence par rapport à un élément extérieur apportait des garanties.
L’ennui c’est qu’à partir de 1958 les Etats-Unis ne souhaitent plus s’occuper de la valeur de leur monnaie. Les déficits s’accumulent aggravés par la guerre du Vietnam et la course à l’espace. Cette création monétaire permanente entraîne une hausse de l’inflation chez les partenaires principaux des Etats-Unis, notamment l’Allemagne. Les Etats-Unis deviennent une source d’inflation monétaire gigantesque. Les Allemands traumatisés par l’hyper inflation des années 20 cassent le protocole de Bretton Woods : ils ne veulent plus créer des DM en contrepartie des dollars en excédent. Les demandes de remboursements en or s’organisent et Fort Knox commence à se vider.
Les Etats-Unis ne peuvent pas l’admettre. Ils cessent d’assurer la convertibilité du Dollar en or. Techniquement le système de Bretton Woods est mort. Le FMI ne sert plus à rien. Les monnaies se mettent de facto « à flotter ».
L’ennui des changes flottants, c’est qu’ils flottent. Ils ne sont pas équilibrants mais déséquilibrants, un peu comme une passerelle en caoutchouc. Les amplitudes sont très fortes. L’avantage pour les Etats-Unis est qu’ils commercent dans leur propre monnaie. L’instabilité des changes ne les touchent pas en apparence directement : un dollar est toujours un dollar. Ils laissent donc filer tous les déficits sans trop se préoccuper du reste du monde. On appellera cette politique : le Benign neglect.
Les inondations monétaires entrainent les inondations de crédits et des décalages de plus en plus forts entre les mouvements financiers et l’économie réelle avec de brusques retours à la réalité. La crise de 1974 est très dure ; la plus dure depuis la guerre. Le dollar ne vaut plus que 3.75 F au lieu des 5-6 habituels. Les pétroliers voient leurs recettes chuter. Ils réagissent violemment. Ce sera la hausse massive des prix du pétrole avec ses conséquences.
Pour sortir de la crise de 74 les gouvernements ouvrent partout les vannes du crédit et inondent un peu plus la planète. Ce sera la « stagflation » ! Jusqu’à ce que les gouvernements autres que les Etats-Unis s’aperçoivent qu’en changes flottants les relances keynésiennes ne marchent pas. Elles provoquent aussitôt le désordre sur le marché des changes et l’attaque des monnaies « faibles ». Toutes les tentatives de stabilisation des monnaies échouent. On se rappelle des difficultés de M. Giscard d’Estaing avec son « serpent monétaire ». Les gouvernements ont perdu la main sur leur conjoncture.
Les changes flottants vont provoquer une série continue de crises monétaires : crises des crédits aux pays d’Afrique dans les années 70 ; pendant les années 80 : crise des junks bonds ; crises monétaires au Mexique et dans divers autres pays émergents ; crise des programmes informatiques boursiers de 87 et 89 ; Puis : crise générale de 91-93 ; crise dite des pays émergents en 98 avec les faillites de Baring et plus tard Enron ; crise des NTIC au début des années 2000 et crise actuelle des subprimes.
Pendant trente ans le Dollar fait le yoyo avec des variations du simple au double de sa valeur contre les principales monnaies et perd 97% de sa valeur en or !
Inutile de chercher ailleurs la source de l’instabilité financière générale qui a pesé sur la croissance des trente dernières années.
Certains diront : tout cela est un peu trop global et on ne voit pas le lien entre le système des changes flottants et la crise des « subprimes ». C’est pourtant tout simple. Les gouvernements n’ont plus trop à se préoccuper de la valeur de leur monnaie : elle est décidée par les « marchés financiers ». En Europe l’Euro est abandonné à la seule BCE. Comment faire face à l’instabilité foncière du système ?
Par les instruments financiers de couverture, c'est-à-dire par des produits financiers complexes. L’énorme développement des techniques d’arbitrage provient de l’ouverture d’opportunités innombrables d’arbitrage. Si quelque part un flux financier en monnaie x se traite à un taux y et ailleurs un autre en monnaie z à un taux t, je peux faire un arbitrage facile si le taux de change des monnaies est d’une proportion différente. Les flux financiers d’arbitrages prennent donc une ampleur gigantesque et n’ont plus grand-chose à voir avec les biens échangés entre les pays.
Les banques sont les principales gagnantes dans ce jeu et interdiront qu’on ne revienne jamais à des changes fixes qui tueraient ces mouvements radicalement. D’autant que les commerçants doivent couvrir en permanence leurs opérations, une source de produits faciles et perpétuels.
L’inconvénient est la montée de complexité. Tous les marchés sont interconnectés : marchés monétaires, marchés d’actions, marché d’obligations, marchés de « futures » , marchés de « commodities »… les techniques de produits dérivés permettent de tout mélanger.
L’épargnant qui cherche un placement sûr en trésorerie se voit proposé en Franc Suisse des parts de sicav contenant des produits dérivés provenant de partout. Et notamment des CDO en dollars. Plus personne ne sait ce que contiennent les produits financiers et comment les liens s’effectuent entre touts les pays, toutes les monnaies, tous les marchés. Le calcul du risque devient impossible. Un flux de trésorerie correspondant à des remboursements escomptés sur le marché des crédits hypothécaires à risques aux Etats-Unis est adossé à une différence de cours de monnaies qui elle-même est adossée à une différence de taux en extrême orient, qui elle-même est adossée à une variation climatique (Enron vendait des produits dérivés assis sur la météo !).
On accuse la complexité des modèles mathématiques sans voir qu’ils correspondent à la complexité d’une économie mondialisée en changes flottants. L’organisme qui a fait en Corée un prêt en dollar à une collectivité locale n’a pas les dollars. L’emprunteur se dépêche d’ailleurs de se débarrasser des dollars s’il les voit jamais. Et pendant 10 ou 20 ans il va falloir faire son affaire des taux de changes qui peuvent varier du simple au double ! Qui peut croire que cela soit simple ?
Les produits dérivés complexes ont été créés pour faire face à la complexité et ont eu l’inconvénient avec le temps, de la cacher. Mais le vrai problème est la complexité sous jacente.
Le cumul de déficits américains gigantesques permis par les changes flottants et de la complexité des outils financiers imposés par les changes flottants fait un cocktail détonnant. A chaque crise depuis 1974 les solutions ont été d’aggraver un peu plus les inondations financières comme le drogué augmente ses doses. Jusqu’à ce la fuite devant les monnaies s’enclenche et entraîne une perte de confiance généralisée et la paralysie bancaire, plus aucune banque n’étant très sûr de ses actifs.
Maurice Allais qui a été un des rares contempteurs (avec le cercle des Economistes e-toile) de ce système pervers a écrit : « ce qui doit arriver arrive ». La crise de type 29 qu’il entrevoyait ne s’est pas produite en 86 comme il l’a cru (suite à l’affaire mexicaine), ni en 98 (suite à la crise dite des pays émergents). Elle est là !
Sans doute comprendra-t-on un peu mieux pourquoi la crise actuelle ne peut se résoudre comme nous le clamons inlassablement sans la disparition du système des changes flottants. Oui il faut un « Bretton Woods » mais pour redéfinir le système monétaire international sur une base beaucoup plus stable et solide en abandonnant le flottement des monnaies, pas pour faire la causette.
Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |