Une crise de l’intelligence ?
La construction d’une camisole de force pour financier fou et cupide est le projet politique du jour. Le mot « régulation » envahit les pages des journaux et autres blogs. Jusqu’à ces derniers temps le terme n’avait qu’une acception maritime. On effectuait la régulation d’un compas, opération qui consistait à annuler la déviation par une observation directe du soleil.
On voit donc une multitude d’esprits politiques bien intentionnés scrutant avidement le soleil et s’en trouvant légèrement éblouis.
Les commentaires vengeurs les plus subtils commencent à fleurir un peu partout dont la caractéristique principale est d’être si loin des faits qu’ils en deviennent drôles.
« La pire des erreurs est d’avoir introduit des polytechniciens dans les salles de marché » fait dire à « un banquier parisien » le Figaro magazine du 4 octobre. Voilà la finance classée X. En 1988 après un choc boursier sévère un autre banquier affirmait : « La pire des erreurs est d’avoir introduit des informaticiens dans les salles de marché ». Le diable a toujours un aspect technique marqué, les jours de crise. Le même journal cite la recommandation de George Soros : « Il ne faut pas que les autorités de contrôle autorisent les produits qu’ils ne comprennent pas ». Mais qui assurera la formation sinon des mathématiciens sélectionnés et que faire si personne ne comprend ?
Jerôme Kerviel , le « trader » de la société générale n’était pourtant pas de la corporation des matheux, pas plus que le fameux Nick Leeson qui avait tué Baring il y a peu, ni Michael Milken le génie des « obligations pourris » (junks bonds) qui ont tué la banque Dexel Burhnam Lambert, ni Jeffrey Skilling, le PDG d’Enron, ni pratiquement aucun des centaines de traders de Wall Street qui faisaient le commerce massif de CDS et de CDO et des milliers de conseillers financiers qui les intégraient dans des portefeuilles d’épargnants. Bien sûr il y a Merton, le prix Nobel derrière la faillite de LTCM. Mais c’était un faux Nobel, celui de l’économie…
Mettre en cause les savants pour conjurer une crise est une attitude récurrente depuis quelques millénaires. Bruler des sorcières aussi.
L’innovation est nécessaire et personne n’aura le pouvoir de l’arrêter. Dans le domaine financier comme dans n’importe quel autre.
Une autre recommandation « consensuelle » est de limiter les prises de risques excessives. Qui sera le juge de l’excès ? Prenons par exemple les opérations sur « options mono titre ». C’est un exercice extrêmement dangereux. Elles étaient interdites aux Etats-Unis. Résultat : ce sont les marchés d’Afriques du Sud et de l’Inde qui se sont développés massivement. En 2000 la législation prohibitive est supprimée aux Etats-Unis : les « hedge funds » utilisaient le bon argent américain pour investir ailleurs ! On a décidé de rapatrier cette activité aux Etats-Unis. Elle n’a d’ailleurs pas été en cause dans la crise actuelle. Alors ? Aucune prohibition ne fonctionne à l’échelon mondial. On verra qu’on n’aboutira à rien de sérieux.
Lors de la crise de 29, on a séparé les banques d’affaires et les banques de dépôts parce que les opérations spéculatives des financiers d’affaire avaient provoqué une panique des déposants et tout le monde s’était trouvé ruiné. Toutes les législations nationales ont suivi. Aujourd’hui les bons esprits affirment que les banques d’affaires qui ne sont pas liées à des dépôts sont plus vulnérables car ils doivent utiliser de l’argent cher. Qui croire ?
Les agences de notation sont sur la sellette. Mais que propose-t-on ? Qu’elles ne soient plus payées par les banques et qu’elles ne soient plus américaines ! Ce se serait donc au contribuable français de financer l’appréciation par de bons Dupont-Lajoie nationaux (non polytechniciens) la valeur de CDS signés de par le monde ? Cela vous rassure vraiment ?
Et il y a ces sacrés comptables (« un con derrière une table » disait André Citroën) ! Ils ne sont pas polytechniciens mais ils ne comprennent rien à la « vraie vie ». Bâle 2, dit-on, est une sottise qui force les banques à recapitaliser dès qu’il y a une perte potentielle mais inconnue sur un placement. L’ennui c’est que les Etats-Unis ne suivaient pas Bâle 2 ! Alors ? Les règles prudentielles sont toujours tournées quand nécessité fait loi. Aucune banque ne peut survivre avec des taux d’intérêt à 1%. Les règles prudentielles ne concernaient pas le hors bilan. Va pour les opérations hors bilan !
Les « Hedge funds » sont également en ligne de mire : cachés dans des paradis fiscaux, « ils se livrent à des opérations maléfiques hors de tout contrôle ». L’ennui c’est qu’ils sont très marginalement concernés par l’effondrement du marché immobilier qui est une crise de la banque- assurance pas des Hedge Funds. Si on analyse l’innovation des Hedge Funds, on s’aperçoit qu’il s’agit d’abord d’un progrès d’organisation. Les banques se sont aperçues que leurs services internes étaient incontrôlables. Mieux valait laisser les meilleurs se lancer à leur compte et choisir dans l’offre mondiale les produits les plus avantageux du moment. On répartissait mieux les risques et on n’était plus l’otage de services se comportant comme des Etats dans l’Etat. Cette innovation a été mal maîtrisée comme toutes les innovations. L’affaire LTCM a servi de leçon. Les HF sont mis en concurrence. Les risques sont divisés en répartissant les sommes placées entre une multitude de HF. On se couvre avec de fonds de fonds qui évite l’exposition à un fonds unique. Bref, les HF ne sont pour rien dans la crise actuelle. Bon courage aux nouveaux législateurs !
Reste la cupidité ! A part la religion, on n’a jamais rien trouvé pour juguler le péché de gourmandise. Mais on peut toujours essayer. On aura les mêmes résultats que dans toutes les luttes du même type (contre la prostitution, l’alcool, l’excès de bouffe, les jeux vidéo etc.). Les fonds de retraite vont-ils cesser de réclamer des bons résultats aux sociétés cotées ? Les dirigeants vont-ils cesser d’aller aussi loin qu’ils le peuvent dans l’extension de leurs avantages ? Les banquiers vont-ils cesser de faire percoler leurs commissions aux étages où se jouent les décisions ? On s’amusera avec tout ça, mais cela ne changera rien à l’affaire : les sommes concernées sont très faibles par rapport aux mouvements en cause et n’ont aucun impact réel sur les problèmes gravissimes qui nous assaillent.
Reste l’effet magique de la conférence internationale de type Bretton Woods. Bretton Woods avait pour but d’organiser le système international de change. Ici on appelle à une conférence mais dont l’objet n’est pas d’organiser les changes ! Mettre fin aux changes flottants ? Pas un mot la dessus. Alors pourquoi faire ce « néo Bretton Woods » qui est plutôt un « grenelle mondial de la finance » : « refonder les règles de la finance mondiale », sachant que déjà à la Commission de Bruxelles on prépare une Directive communautaire sur les fonds propres. On est sauvé !
Evidemment tous les désordres actuels ont une cause monétaire strictement associée au système des changes flottants. Et c’est la seule question qui ne sera pas posée.
Le désordre n’est pas seulement sur les marchés financiers. Il l’est surtout dans les esprits.
La crise actuelle est d’abord une crise de l’intelligence. Il n’en faudrait pas moins mais beaucoup, beaucoup plus !
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
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