Deux agents-secrets du fisc : la croissance et le cycle. Première partie : la croissance
Nous entrons dans la phase de préparation du budget 2009 qui sera marqué par l’installation du pays dans la partie récessive du cycle économique de 8-10 ans. A cette occasion il est intéressant de détailler quelques mécanismes fondamentaux de notre société qui sont en général totalement inconnus des « citoyens » et superbement ignorés par les médias.
En France le système fiscal global est « progressif ». C'est-à-dire qu’en période de croissance, le taux d’augmentation des impôts est supérieur à celui du PIB. On comprend très bien le mécanisme de la progressivité en observant l’impôt sur le revenu : on voit que l’impôt n’augmente pas de façon proportionnelle avec le revenu mais bien plus vite. Les premiers 100 F ne paient pas d’impôt et sur la dernière tranche, on va atteindre quasiment un prélèvement de 50%. La progressivité ne concerne pas seulement l’Impôt sur le revenu. L’ISF est très fortement progressif. La TVA est aussi progressive : l’existence de taux différents selon la nature des produits et le déplacement de la consommation vers les produits plus taxés du fait de la croissance implique une croissance des recettes de TVA plus rapide que celle du PIB. La création de taxes spécifiques sur les produits nouveaux les plus demandés aggravent évidemment les choses. On l’a vu avec l’automobile, vache à lait fiscale inouïe, et aujourd’hui avec le téléphone portable et l’informatique familiale, support d’un nombre de taxes constamment plus nombreuses.
La bonne question est la suivante : est-il normal qu’un mécanisme dit « de justice sociale » se transforme à l’échelon de la nation toute entière en système de transfert vers l’Etat d’une part croissante du revenu national ?
Rassurez- vous, vous ne la verrez jamais posée par la presse ou par les politiques. Chut !
Les esprits précis diront : d’accord, ce détournement existe, mais il faut le quantifier et il n’est peut être pas aussi important que vous le laissez penser. Le problème est que « l’élasticité du prélèvement fiscal en fonction de la croissance » n’est pas une donnée publiée par l’INSEE ! On est donc obligé de s’en tenir aux observations les plus globales. Tous les pays qui ont une part de progressivité dans leur fiscalité vont vu leur taux de prélèvement croître. Au point qu’après la longue période de croissance de l’après guerre, pratiquement tous les pays se sont trouvés à partir de 1974 avec des taux de prélèvements étouffants, atteignant 40 à 46% du PIB ! Mécaniquement, sans que personne ne l’ait formellement décidé. Le résultat a été des réactions comme le Reaganisme aux Etats Unis, le Thatchérisme au RU, la réaction antifiscale au Canada, le retournement de la politique fiscale des pays nordiques etc. Au-delà des considérations politiques, ces pays ont compris qu’il fallait restituer aux citoyens le trop perçu fiscal né de la progressivité de l’impôt, sinon ce mécanisme pervers et silencieux aurait tué leur économie.
Un pays ne l’a pas compris, la France, où le « vive l’impôt » a remplacé le « cocorico » habituel et dont les pouvoirs publics continuent à exploiter le filon de la progressivité dans l’ignorance générale des citoyens et l’insouciance des médias. On a vu (lire dans ce blog le billet : «taux de prélèvement, une formidable performance ») que contrairement au discours dominant le taux de prélèvement a AUGEMENTE ces dernières années, alors qu’on ne parle que de cadeaux fiscaux.
On constatera que la préparation du budget, en ce moment même, INTEGRE l’accaparement de la plus-value de la progressivité de façon systématique. Par quel moyen ? Simplement en considérant comme « normale » la recette calculée en fonction du taux de croissance. On discutera dans la presse le plus ou moins grand réalisme du taux choisi mais on ne contestera pas le choix de cet indicateur qui est doublement biaiseux : on prend en effet souvent un taux trop élevé ; la prévision de recettes tient compte de la plus value de la progressivité.
La procédure normale devrait être la suivante : on prévoit un taux de croissance de l’économie ; on l’applique aux recettes et aux dépenses.
Si le taux de croissance est supérieur, et a donc fourni mécaniquement des recettes supplémentaires, plus que proportionnelles on restitue ces recettes aux contribuables. Actuellement la presse et le monde politique « se félicitent de la bonne performance fiscale de l’économie qui permettra de réduire notre dette excessive», adoptant de façon inconsciente la position des hauts fonctionnaires de la DGI. Il est vrai que depuis Marx on n’ignore plus que le dominant sait faire chanter sa chanson au dominé…
Notre inconscience collective (mais tout le monde n’est pas ignorant…) nous met dans la situation tellement intelligente du serpent qui se mange la queue.
Nous verrons dans un second billet, que ce mécanisme fondamental est aggravé par les effets du cycle.
Pour le Cercles des économistes e-toile, Didier dufau
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
La situation est encore pire que vous le pensez. Les chiffres donnés sont toujours des estimations. Il faut attendre environ deux ans après la fin d'un exercice pour connaître les statistiques réelles. Si vous avez le courage de regarder ces chiffres corrigés, ce que personne ne fait jamais, naturellement, vous vous apercevez que tous les débats budgétaires ont été faits à partir de chiffres faux et que l'erreur est toujours dans le même sens.
DD