Les paradoxes du SMIC

Premier paradoxe, le SMIG, salaire minimum garanti, c'est-à-dire indexé sur les prix, est une création « de droite ». C’est George Bidault qui le met en place au début des années 50 au milieu des récriminations socialistes et surtout communistes, au Parlement ou via la CGT. Il s’agit de sortir d’une économie totalement administrée où prix et salaires sont fixés par le gouvernement. On concède un minimum garanti pour rassurer les couches populaires qui craignent, à tort, que les salaires baissent : aucun salaire n’a jamais baissé pendant les trente Glorieuses. Le contrôle des prix sera lui maintenu jusqu’à la fin des années 70 la crainte d’une flambée tout aussi fausse comme on le verra à ce moment là paralysant le jugement des politiques et confortant l’interventionnisme de l’administration.

Second paradoxe, le SMIC, salaire minimum de croissance, c'est-à-dire garanti et indexé sur les salaires, est aussi une affaire de droite. Il est créé par Chaban Delmas, premier ministre de Pompidou dans le cadre de la « nouvelle société » qu’il promet.  Comme les retraités sont en train de le découvrir, une indexation sur les prix et sur les salaires, ce n’est pas du tout la même chose. Au bout de 20 ans les écarts deviennent colossaux. La loi des accroissements composés est implacable. Quelques pour cent par ans finissent par faire une très grosse différence.  Le SMIG ne concernait plus en 72 qu’une toute petite fraction du salariat. Ce sont les salaires mimima des conventions collectives qui jouaient le rôle de promotion sociale.  Ajoutons que l’Etat avait fait disparaitre les différences entre les SMIG régionaux qui constataient simplement que le pouvoir d’achat d’un Franc n’était pas le même en province et dans les grandes villes.  Et rappelons qu’en 68 on avait éteint l’incendie social en augmentant massivement le SMIG ce qui compte tenu du peu de personnes concernée et des dévaluations ultérieures n’avaient pas eu d’effets trop graves sur l’emploi.

Le décor est en place pour une énorme sottise économique qui aura des conséquences fondamentales pour l’économie et le revenu des français notamment les plus fragiles.

Première conséquence, le paritarisme qui fixait dans les conventions collectives les salaires minima est éliminé de l’affaire qui devient politique.

Seconde conséquence, les politiques étant ce qu’ils sont et l’énarchie compassionnelle s’étant mise en place,  le « coup de pouce au SMIC », c'est-à-dire le « cadeau aux pauvres » devient un rituel.

Comme progressivement on aggrave constamment les charges pesant sur les salaires, on aboutit dès le début des années 80 au fameux « double fiscal » du salarié français.  Lorsque le smicard gagne 100 francs net, l’entreprise en  paie 200. En même temps se met en place ce que mes étudiants avaient fini par appeler à la même époque  la « marche de Dufau » tant je mettais l’accent sur ce phénomène pour démontrer les effets d’exclusion du  système : le gain pour l’Etat du retour d’un chômeur à l’emploi  représentaitr quasiment le montant du salaire du nouvel employé !  

 A la fin du vingtième siècle, la situation devient ubuesque. Le SMIC concerne plus de 25 % des salariés, ce qui est totalement démotivant. Les jeunes, les vieux, les femmes, les immigrés, les plus faibles donc,  ne peuvent plus trouver d’emploi et connaissent des taux de chômage  exagérés et sans comparaison dans les autres pays du monde.  Le smicard gagne 4000Francs/net par mois  et coûte 8000 à son entreprise.

On demande à un jeune sorti sans formation d’un système scolaire en déshérence depuis 1968 de rapporter à l’état 4000 Francs dès son premier mois d’embauche, alors qu’il ne sait rien faire :à la même époque un cosmonaute russe gagne 1000 F mensuellement ! L’immigré qui aurait gagné entre 700 et 1000 F par mois chez lui s’il avait trouvé du travail se voit assigner la tâche de fournir instantanément 8000 F par mois de valeur ajoutée.  Etc.

Evidemment  tout cela est déraisonnable et impossible.

Les entreprises se débrouillent  pour faire face à cette situation : développement du travail au noir ; recours à des étrangers en situation irrégulière ;  développement de l’intérim qui permet d’externaliser certains coût s; préretraites ; temps partiel ; développement de la précarité.

Mais il faut compter aussi sur les délocalisations et surtout sur les abandons de projets (les manque à gagner ne sont JAMAIS comptabilisés).  

L’Etat est obligé de financer un chômage structurel massif là où les partenaires sociaux étaient aptes à s’occuper du chômage conjoncturel.  Le cercle vicieux est total puisque ce poids fiscal supplémentaire pèse naturellement sur l’économie, aggravant sans fin le tourbillon.  

On est entré dans ce merveilleux système où le chômage recule à 8-9% pendant la bonne phase du cycle et monte à 12-13%  pendant la mauvaise.

La conjonction d’un salaire minima aligné sur le salaire moyen, des coups de pouces démagogiques et  du chargement  du salaire d’une infinité de prélèvements supplémentaires,  a profondément abîmé la société française.  La démoralisation est partout : jeunesse qui s’insère très difficilement, surtout dans les banlieues concentrant les immigrés,  classe moyenne smicardisée,  ascenseur social en panne,  baisse relative du revenu moyen, pression fiscale excessive (près de 80% en moyenne et parfois plus de 100% pour les couches élevées avec l’ISF jusqu’à récemment). 

La fausse bonté sociale a fini par créer des désastres sociaux,  effet pervers mais classique de l’ignorance.

Il serait faux de croire que ce mécanisme n’ait  pas été dénoncé inlassablement en son temps et que personne n’avait conscience de ses méfaits.  La presse quotidienne française a certes empêché toute édition de libres opinions sur la question.  Il est vrai que gauche et droite ont mené dans l’affaire exactement la même politique et que le propos aurait frappé la clientèle des journaux toutes tendances confondues. Alors silence !  Mais des livres sont sortis, des lettres ont été envoyées de ci de là, et surtout la réalité a fini par s’imposer aux yeux de tous.

On assiste donc  dès 1990 à des tentatives de réformes.  Le SMIC jeune est la première tentative : il échoue face à la pression de la rue.  Le gouvernement Jospin prend alors une mesure radicale : il réduit très fortement les charges sur le SMIC.  Le double fiscal du smicard disparait largement.  Mais il commet une erreur terrible : les 35 heures. C’est appuyer  en même temps sur le frein et l’accélérateur.  L’emploi gonfle indiscutablement et massivement mais on sait déjà qu’il sera étranglé lorsque les mesures malthusiennes prendront leur plein effet à partir de l’an 2000.  On n’a pas réduit les charges : on les a déplacées sur l’impôt et surtout sur la dette qui augmente alors même qu’on est en pleine grâce conjoncturelle en 99 et 2000 (1000 milliards de francs de dette en plus sur 5 ans tout de même).   Il est vrai que le choc est brutal : le transfert de charges concerne  25% de la population au travail !

Là dessus la récession du cycle quasi décennal frappe. On essaie d’y faire face en prenant des mesures non pas conjoncturelles mais structurelles. Ce sont les fameuses initiatives de Villepin avec des contrats dérogatoires pour les populations fragiles. La révolte contre le CPE puis la condamnation juridique des contrats dérogatoires mettent l’édifice à bas.

On continue malheureusement la politique des coups de pouce. Le vice est trop induré pour être facilement extirpé.  Et on augmente toujours à  la liste des chargements sur les salaires.

Où en est-on aujourd’hui ?

Lors d’un débat sur la TNT où on fait rituellement s’affronter deux pseudo économistes l’un affiché  socialiste l’autre disons de droite,  on parle du SMIC.  « Il n’a jamais été moins un problème » dit l’un. « Il reste une difficulté » dit l’autre. Que les auditeurs se raccrochent à la parole qu’ils aiment.

Le paradoxe est que les deux ont raison.

Jamais le coût d’un salarié au SMIC n’a été plus bas du fait de la quasi-disparition  du « double fiscal » du smicard.  Bien sûr on n’a pas gagné 100%. On a augmenté politiquement le SMIC qui a lui-même augmenté par son mécanisme même.  Mais on n’est pas revenu à la situation antérieure.  Le SMIC, comme coût, est bien au plus bas.  Mais rien ne serait pire que de le faire revenir à son coût antérieur.

Pendant longtemps les commentateurs socialistes ont nié la baisse du chômage qui s’est produite  entre 85 et 88, du fait principal de l’entrée dans la phase de haute conjoncture du cycle.  Pendant trois ans les chiffres ont été à la baisse et pour la première fois  on est descendu à un taux de chômage inférieur à 8%  (au meilleur de la conjoncture tout de même).  Naturellement on a attribué ce résultat à la mauvaise cause : il était politiquement plus neutre d’affirmer que c’était du au « papy boom », donc à quelque chose dont personne ne peut se prévaloir. C’est totalement faux.

Il est clair que la baisse massive  du coût global du SMIC a eu un effet important  sur l’emploi. Il suffit de regarder les chiffres : près d’un million d’emplois marchands gagnés !

Mais ce résultat a été obtenu de façon totalement artificiel et au prix d’un gonflement massif de l’endettement et il est contrarié par mille autres mesures, notamment l’aggravement de la pression fiscale globale.  Au moment où on entre dans la phase de récession  du cycle, tous ces résultats risquent d’être remis en cause et leur interprétation politicienne et médiatique brouillée.

Concluons :

-          Un Smig par branche et par région actualisé périodiquement par les partenaires sociaux  est favorable à la santé sociale d’un pays et sans conséquence économique grave. Le Smig n’a pas empêché les Trente Glorieuses ni le bon fonctionnement de  l’ascenseur social. 

-          Un Smic national politique qui prive les partenaires sociaux de tout grain à moudre et qui connait spontanément des dérives démagogiques est  une catastrophe. Cette dernière  a bien eu lieu et la pratique d’un  SMIC politique a largement détruit la société française, notamment la plus fragile, en association avec le gonflement permanent des prélèvements sur le fiche de paie et sur l’ensemble des patrimoines et revenus.

-          Les exonérations massives sur le SMIC  ont bien eu un effet important sur l’emploi. Mais cet effet a été largement gommé par les mesures malthusiennes qui les ont accompagnées.

-          En ne baissant pas les charges pesant sur l’ensemble des salaires et en ne jouant que sur le SMIC  on rate la cible.

-          Transférer les charges n’est pas baisser les charges.  Au total on finit par accroitre l’endettement et geler encore plus la situation.

-          Lorsque ces politiques sont menées dans un cadre de développement continue de la dépense publique,  leurs résultats sont noyés  dans les effets pervers et leur bilan  global, sans être nul, devient trop faible, même si les mesures prises ont  été massives.

-          La baisse des charges sur le SMIC étant liée aux trente cinq heures, on a ligoté le frein et l’accélérateur avec le même texte ce qui était de la pure démagogie politique et une sottise incompréhensible en terme économique.  

-          Les énormes gesticulations politiques auraient pu être évitées si on avait évité le grignotage démagogique  des quarante années « d’énarchie compassionnelle »  et de socialisme larvé qui ont suivi mai 68.

Longueur et patience de temps valent mieux que force et que rage. Mieux aurait valu juguler à la source les fuites apparues  dans la coque du voilier France plutôt que d’y ouvrir de multiples brèches puis de baisser la voilure et de couper un mat pour trouver la matière des rustines.

Commentaire
Métaxas's Gravatar Une belle page d'histoire économique ! Je me demande combien de Français savent et combien de politiques.

Et combien de journalistes. Je n'ai littéralement jamais entendu parler de tout cela dans la presse sinon pour entendre des porte-parole de droite dire que le SMIC crée du chômage ( mais en le mettant en oeuvre) et le camp adverse dire que tout va bien avec le SMIC (en le réduisant). Ce n'est plus du paradoxe mais du grand n'importe quoi.

Question : que faire ?
# Posté par Métaxas | 27/08/08 20:33
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