Le grand dilemme
La crise qui développe ses effets à grande échelle pose à l’observateur un défi intellectuel considérable qui se résume au grand dilemme suivant :
- S’agit-il d’une crise immobilière américaine aggravée par de mauvaises pratiques bancaires pesant finalement sur le système financier global
- Ou s’agit-il d’un épisode de plus de la saga des crises financières générées par le système dévoyé des changes flottants ?
La crise immobilière américaine est évidente. Mais il faudrait comprendre pourquoi il y a eu une telle expansion de ce marché à partir de 97 et surtout de 2002. Et tenir compte du fait que le phénomène a été international. Les explications manquent cruellement.
Les mauvaises pratiques de prêts immobiliers aux Etats-Unis sont évidentes : on n’a pas assez tenu compte de la solvabilité des clients en s’attachant exclusivement à la valeur du bien. Dès le repli des prix, le château de cartes s’est écroulé. Mais il faut expliquer pourquoi se système s’est imposé malgré ses risques et ne pas oublier que des crises de liquidité bancaire se sont produites au RU et en Espagne, pas seulement aux Etats-Unis.
Les mauvaises pratiques financières américaines sont avérées. En ne tenant aucun compte des avertissements de l’affaire LTCM, les financiers américains ont développés des produits structurés qui ont permis de développer une énorme bulle de financement hors bourses et hors bilan, loin de tous les systèmes de contrôles existants. La vente de tranches de crédits titrisés douteux à l’ensemble du monde a généralisé la crise. Mais il faudrait expliquer pourquoi les banques ont TOUTES eu recours à ces subterfuges ultra-dangereux.
La première théorie a donc pour elle l’évidence des faits mais pèchent par une absence totale d’explication des phénomènes, sinon par des considérations moralisatrices qui apaisent l’âme mais ne font pas avancer la compréhension.
Critiquer le banquier stupide qui a surendetté ses clients, le mathématicien fou qui a monté des produits d’ingénierie financière incompréhensible sur des bases fausses, le courtier cupide qui a vendu n’importe quoi, le spéculateur déchaîné qui a pris des positions délirantes, le législateur ignorant qui a vu toutes ses règles tournées, les instances de contrôle borgnes qui ont tout laissé faire sans piper, les comptables extrémistes qui ont mis en place des règles abusives de valorisation des actifs, tout cela fait beaucoup de chaleur mais pas beaucoup de lumière. La recherche de boucs émissaires n’est pas celle de la vérité.
Le diagnostic ne peut être fait qu’en s’élevant un peu au dessus de l’histoire immédiate. Les retournements arrivent régulièrement depuis des lustres tous les 8 à 10 ans. Mais leur gravité et leur forme dépendent étroitement des conditions économiques du moment et des politiques menées. Depuis 1971 nous vivons dans un système de change flottant. Il a été imposé par les Etats-Unis qui ne voulaient pas mettre de l’ordre dans leurs déficits et ont considéré que le cours du dollar n’était pas leur affaire. On a appelé cela le « benign neglect ». Le résultat a été l’injection récurrente de flots de monnaie et le développement de bulles financières à répétition.
A chaque retournement conjoncturel ces bulles ont explosé avec de graves conséquences. En 1974 le dollar flottant s’effondre provoquant la ré action des pays producteurs de pétrole qui augmentent massivement leur prix. Le résultat : une crise très grave dont on ne sort que par la « stagflation » et la création d’une nouvelle bulle financière. Elle se manifeste par des prêts délirants à tous les pays pauvres de la planète.
La bulle explose au début des années 80 avec des crises de change gigantesques et des pertes effroyables des banques. C’est l’époque où il faut constamment veiller à ce que des pays entiers n’entrent en cirse structurelle de change. L’Afrique est ruinée et une bonne partie des pays de l’est dont l’Urss qui ne s’en relèvera pas !
On entre dans une nouvelle phase avec l’aggravation sans fin des déficits américains à partir de 2005 qui débouche sur un premier avertissement : le krach boursier de 1988, attribué par des plaisantins à un problème de programmes informatiques mal réglés et qui en vérité alerte sur les bulles en train de se former notamment dans le domaine de l’immobilier d’entreprise. Elles explosent en 91-93 laissant les banques mondiales exsangues.
Les Etats-Unis réussissent à faire porter le chapeau aux autres en dévaluant fortement le dollar et en ruinant ses créanciers. Rapidement une nouvelle bulle se développe. A la suite du tremblement de terre de Kobé, les positions spéculatives sur les pays d’extrême orient se trouvent à découvert. Les fonds refluent vers les Etats-Unis. Le dollar double de valeur en quelques mois : tout craque en 1998. Cette crise du dollar est maquillée sous le nom de « crise des pays émergents ». La bulle se transfère alors sur les bourses américaines avec une double spéculation : sur le dollar et sur les actions (notamment des NTIC).
La bulle craque lors du renversement de conjoncture global. Les Etats-Unis exportent à nouveau la crise aux autres via la dévaluation massive du dollar et l’inondation du marché monétaire.
A chaque crise depuis 74 les Etats-Unis sont obligés d’aller plus fort dans la licence monétaire pour contrer la crise. C’est le drogué qui augmente ses doses.
Les taux d’intérêt sont alors si bas que les banques ne peuvent plus gagner d’argent sauf à créer une activité hors bilan et à faire des crédits immenses à des débiteurs de plus en plus nombreux, donc de moins en moins solvables. C’est à cette occasion que la bulle immobilière enfle, amplifiée par le recours à des instruments hors bourses et hors bilan.
Le retournement conjoncturel habituel fait exploser tout ce système. Mais là les Etats-Unis ne peuvent plus exporter la crise et sont obligés d’en prendre à leur charge l’essentiel !
C’est sur la foi de cette analyse que le cercle des économistes E-toile prétend que la crise n’est pas micro économique mais un effet du système monétaire international mis en place de facto depuis 1971, et qu’il suggère que la solution ne peut pas être technique et localisée, mais globale.
On n’empêchera pas les cycles mais il faut éviter que le cadre financier et monétaire global ne les rende de plus en plus grave. La réforme globale est nécessaire MAINTENANT !
Didier Dufau
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
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