Interview au Monde de M. Giscard : quelques commentaires
M. Giscard a donné une grande interview au Monde à l’occasion des 10 ans de l’Euro. Il est toujours intéressant de commenter les textes si rares des grands décideurs.
1. « Pourquoi l'euro a-t-il fini par s'installer ?
Pour deux raisons. D'abord, c'était la monnaie d'une grande zone assez stable. Ensuite, cette zone était gérée par une culture où l'influence allemande était forte, une culture économique raisonnable. Or le socle de la monnaie, c'est la confiance. L'euro a su inspirer confiance. Wim Duisenberg, le premier président de la banque centrale européenne (BCE), était plutôt passif, et l'économie était alors assez favorable. Cela a positionné l'euro comme une monnaie stable qui méritait la confiance. »
L’Euro, une monnaie stable ? Par rapport à quoi ? Les seules références possibles sont soit les autres grandes monnaies, comme le dollar ou le Yen, ou un métal précieux extérieur ou les biens « réels ».
Qu’avons-nous constaté vis-à-vis des biens réels : ils ont formidablement augmenté en valeur exprimée en Euro. Ce qui veut dire que l’Euro globalement s’est déprécié de façon importante. Les rapports avec le dollar ont évolué du simple au double passant de 0.8 à 1.56 avant de varier à nouveau dans l’autre sens. Vis-à-vis de l’or, depuis 71 le panier de monnaies représentatif de l’euro à baissé de 96% ! L’Euro n’est pas une monnaie stable, même si l’inflation (en terme de prix de consommation) a été contenue jusqu’à maintenant depuis sa création, principalement à cause de l’ouverture à la Chine qui pèse sur les salaires et les prix.
2.« Dans cette crise, l'euro a-t-il joué un rôle protecteur pour les économies européennes ?
C'est évident. Que se serait-il passé s'il n'y avait pas eu l'euro ? Nous aurions assisté à une crise monétaire générale en Europe. La lire, la peseta auraient été dévaluées, le franc aussi, très probablement, en raison du montant élevé de nos déficits. Le mark, lui, serait resté à son niveau, ou même un peu monté. Les écarts monétaires auraient mis à mal les politiques communes et rendu impossible la gestion des politiques classiques, en particulier de la politique agricole commune. Et, au deuxième trimestre 2008, nous serions entrés dans la tourmente monétaire. »
Il est vraisemblable que les différentes monnaies nationales auraient évolué comme indiqué. Mais aurait-ce été si mal ? L’Euro est surévalué pour la France et l’Italie ainsi probablement que pour l’Espagne. La PAC a continué à fonctionner pour les pays européens n’appartenant pas à l’Euroland. Et de toute façon nous sommes bien entrés dans la tourmente monétaire. Elle a été gérée par la BCE mais c’était bien une tourmente et elle dure encore.
3. «Toute crise financière de cette ampleur débouche sur un monde nouveau. Pensez-vous qu'un jour l'euro puisse détrôner le dollar ?
En tout cas, je ne le souhaite pas. Etre la monnaie mondiale est une contrainte très forte pour les économies qui l'utilisent. Car on est obligé de tenir compte non seulement des flux de sa propre économie, mais aussi des flux mondiaux. La monnaie change de caractère. Elle devient très largement marquée par son rôle international, comme l'est le dollar à l'heure actuelle.Ce qui est souhaitable, c'est que le rapport des quelques grandes monnaies qui subsistent, c'est-à-dire le dollar, l'euro et le yen, soit activement géré, ce qui est le cas. En effet, les fluctuations de l'euro et du dollar ne sont pas très fortes et elles sont assez rationnelles. Le yen a aussi tendance à retrouver une évaluation plus exacte. Donc, le système est relativement stabilisé. Où l'euro se situera-t-il en 2009? La fourchette semble se situer à 1,35-1,45dollar pour un euro ».
C’est une manière de dire que les taux de changes doivent être stabilisés. Mais il est faux de dire qu’ils le sont. Le Yen vient de s’apprécier de façon très importante. Le Dollar lui fluctue à la hausse et la baisse sans qu’on sache très bien où l’on va et rien ne dit qu’il ne puisse s’effondrer à la suite des émissions phénoménales qui sont en cours aux Etats-Unis. On est dans le « wishful thinking ».
M. Giscard n’ose pas condamner la fluctuation généralisée des monnaies alors il fait comme si elles étaient stables. Ce n’est pas sérieux. Mieux vaudrait attaquer bille en tête le système monétaire actuel basé sur les changes flottants. M. Giscard n’a pas ce courage là car il se sait impuissant et incapable de mener une guerre doctrinale et politique sur ce point.
4.« L’euro a protégé de la dévaluation et la politique monétaire a protégé des bulles spéculatives. Mais la récession ne sera-t-elle pas le vrai test ?
C’est un grand sujet. La récession n’a pas été causée par la monnaie, mais par le dérèglement des grands équilibres économiques. »
Mais qu’est-ce qui a déréglé les grands équilibres économiques ? Le système des changes flottants a permis une création monétaire exagérée aux Etats-Unis et l’inondation monétaire a gagné partout. L’inondation de crédits est une inondation de dettes. L’empilage des dettes s’est effondré. Si la cause n’est pas monétaire alors les poules ont des dents.
5. « On l'a observé l'an dernier de façon spectaculaire avec la flambée des cours des matières premières, du pétrole, des produits alimentaires. Ces évolutions n'ont rien à voir avec la monnaie. »
La spéculation internationale sur les biens réels a été alimentée par une crainte sur les monnaies et peut s’apparenter à une fuite devant la monnaie alors que des inquiétudes pesaient sur les bourses. L’effondrement de Lehman Brothers a pris à revers toutes ces spéculations qui se sont dénouées dans l’urgence et la terreur. C’est donc bien une crise monétaire et bancaire (la banque étant le principal créateur de monnaie) ave comme effet un « credit crunch » et une destruction massive de monnaie que les banques centrales sont obligées de compenser par une création aussi phénoménale qu’artificielle.
6. « Tout juste peut-elle les contrarier. L'euro nous a protégés de la crise monétaire. Il fait partie des instruments qui permettront à l'Europe d'éviter non seulement la récession mais la dépression ».
On voit bien que la crise n’est pas freinée par la politique de la BCE. Les banques ont été sauvées par la garantie des Etats et la recapitalisation par les mêmes. La BCE est incapable d’empêcher une récession et encore moins le passage à une dépression ou alors que M. Giscard nous dise comment.
7. « Car c'est cela le grand danger. Une récession d'un ou deux points est supportable. Si nous avons une croissance zéro, cela veut dire que nous vivrons avec les mêmes revenus qu'en 2008. Rien de tragique. »
Une croissance zéro n’est pas une récession d’un ou deux points. La seule récession que nous ayons eu depuis la guerre est celle de 93 avec un recul du PIB de 0.6% entièrement supporté par le secteur privé (qui avait reculé de près de 1%). Un recul du PIB de 2% serait une vraie catastrophe avec un recul de plus de 3% par le secteur privé (le secteur public continue sa route de façon imperturbable). M. Giscard s’embrouille.
8. « La situation devient réellement préoccupante lorsque l'on passe de la récession à la dépression, c'est-à-dire que la machine économique s'arrête, avec de lourdes conséquences sur l'emploi ».
C’est exactement le processus en cours depuis le début 2008 avec une brusque accélération depuis septembre 2008. La machine est arrêtée.
9. « A quel moment franchit-on ce stade ? Aux Etats-Unis, c'est probablement lorsque le taux de chômage dépasse les 10%, ce qu'on ne peut exclure. En Europe, le chômage a commencé à augmenter dans les grandes économies, en Allemagne, en France. On est encore dans la zone des 7 % à 8 %. Au-delà, on tomberait dans le cadre de la dépression, avec des rendez-vous sociaux difficiles. La période de danger, l'échéance politique et psychologique, ce sera le printemps 2009. Soit la récession se poursuit, mais reste contenue dans des limites qui ne changent pas trop la vie quotidienne, soit nous glissons sur un toboggan et il faudra savoir quels freins utiliser ».
Nous sommes passés déjà trois fois au dessus des 10% de taux de chômage lors des trois derniers retournements de conjoncture. Il est vrai qu’en phase haute la France ne parvient pas à passer en dessous de 8% du fait des mesures de construction d’un chômage structurel qui ont été prises sous Giscard et sous Mitterrand et constamment renforcées depuis (RMI devenu RSA, subventions généralisées au non travail etc.).
Il est vrai que la diminution de la population active par effet de vieillissement entraîne un gain d’environ 1% sur la statistique du chômage. La dépression ce serait en France à partir de 11%. Et on y va tout droit.
La période critique ce ne sera pas le printemps 2009 mais 2010 car il faut au moins deux ans pour que les effets sur le chômage atteignent leur maximum et les entreprises réaliseront qu’elles n’ont plus de choix sur les résultats de 2009 donc au printemps 2010.
Nous sommes déjà sur un toboggan et on aimerait bien savoir les freins auxquels songent M. Giscard qui ne soit pas ce qu’on connaît déjà : la relance keynésienne de 26 Milliards d’Euros en France et la recapitalisation des banques.
10. L'euro fête ses dix ans. Quel bilan tirez-vous depuis sa création ?
« L'euro, en réalité, a 30 ans d'âge. Sa naissance a eu lieu à Brême, en 1978, avec l'accord monétaire européen et la création de l'ECU. On a alors lancé le mouvement qui allait aboutir, il y a dix ans, à l'entrée en service de l'euro. C'était une réponse réfléchie à la situation économique et monétaire de l'Europe : économique, parce que nous étions en train de bâtir un marché unique et que la multiplicité des monnaies désorganisait ce marché; monétaire, parce que nous sortions de la longue période des taux de change fixes et que nous devions avoir, en Europe, un système monétaire solide ».
Il est clair qu’un marché unique avec notamment des prix d’intervention communs en matière agricoles ne supportent pas facilement des mouvements erratiques de monnaies. Mais ils le peuvent. Techniquement ce n’est tout de même pas un argument dirimant : la Grande Bretagne est dans le marché commun et suit la PAC. Elle n’est pas dans l’Euro. La dernière phrase a un contenu explicatif nul mais donne une indication psychologique : la stabilité des monnaies est associée à la solidité d’un système monétaire. Question dans ces conditions : pourquoi M. Giscard ne condamne-t-il pas le système global des changes flottants ?
11. « Mais revenons à l'euro. Il faut bien se rendre compte qu'il y a dix ans, le monde monétaire était sceptique. En 1999, envoyé par la Commission européenne, j'ai rencontré Alan Greenspan , qui a souri et m'a dit : "Vous ne le ferez pas ! Et, de toute façon, si vous le faites, vous échouerez." Puis, je suis allé à Chicago voir les Prix Nobel d'économie : aucun ne croyait à la possibilité de l'euro. Les Américains pensaient que l'idée qui nous animait, c'était d'attaquer le dollar. Alors que, dans l'esprit de ceux qui ont créé l'euro, cela n'a jamais été une opération d'agression contre le dollar! Cela ne nous intéressait pas ».
Intéressant parce que factuel. Milton Friedman a en effet déclarer que l’Euro ne se ferait pas et si, par malheur, il se faisait, il éclaterait aussitôt. Cela dit la question n’est pas encore totalement tranchée. Les conditions prévalant dans chaque pays européens sont très différentes. Entre l’Espagne dont la note de crédit est en passe d’être dégradée, l’Italie dont l’industrie est en chute libre à cause de l’Euro fort, la France ou la Belgique qui sont en état permanent de déficit budgétaire et en endettement croissant, et l’Allemagne qui est habituée à une monnaie forte mais qui subit de plein fouet la crise du commerce international, les économies sont différentes. Il n’est pas sûr que l’Italie se résolve complètement à la disparition de son industrie ou que l’Allemagne accepte de cohabiter avec des pays à déficits permanents. L’Euro peut encore éclater.
12. « Récemment, l'expertise de l'actuel président de la BCE, Jean-Claude Trichet, l'a conforté. La première crise qui s'est déclenchée, en août 2007, était celle des subprimes, c'était une crise du crédit. C'est la BCE qui, alors, a le mieux réagi. Mieux que la banque d'Angleterre et que la FED. »
La crise économique commence aux Etats-Unis en …2006. Elle n’est pas comprise par la BCE qui ne voit rien. La montée des subprimes commencent en 2002. Elle tourne à l’inondation en 2005, 2006. La BCE le constate et ne conteste rien. Elle se contente par la voie de M. Noyer de dire que des nouveaux produits rendent plus complexe l’interprétation de M3, qui est abandonnée par la FED. La BCE ne dit rien sur l’aggravation du danger systémique de certaines pratiques bancaires alors qu’elle a conjointement avec les banques centrales nationales un rôle de supervision des opérations monétaires et des banques.
En guise de conclusion
Nous n’avons pas relevé la pique de M. Giscard contre M. Sarkozy qui « n’est pas un économiste ». Il ne l’est pas plus et commet des erreurs d’interprétation plus que sérieuses. La partie intéressante de cette interview tient entièrement dans le témoignage qu’il donne de la phobie des changes flottants qui anime les dirigeants européens et leur absolue incapacité de se déclarer ouvertement contre. M. Giscard comme pratiquement toute la classe politique européenne n’ose pas affronter cette question de face. La question : s’ils ne le font pas, qui le fera ?
La seconde partie intéressante est naturellement celle restée « ab imo pectore », celle qui regroupe les omissions très significatives du discours giscardien sur l’Euro. Il oublie que la construction de l’Euro s’est faite en aggravant les effets du cycle et au prix d’un massacre fiscal (celui dont s’est rendu coupable Juppé pour appliquer les accords de Maastricht) dont nous ne nous sommes toujours pas remis. Le résultat aura été une croissance plus faible en Europe que partout ailleurs et pour la France l’apparition d’un pays surfiscalisé et surendetté qui ne peut pas faire face correctement à la crise mondiale en cours.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |