Le faux précédent de 1929 ou comment gagner la guerre d’avant et perdre la guerre en cours.

L’économie a cela de commun avec la chose militaire qu’on gagne toujours la guerre d’avant. Il faut se colleter avec les réalités nouvelles pour comprendre tout à coup que les rationalisations a posteriori qui vous font gagner à tout coup les anciennes  batailles ne sont que d’un intérêt modeste  dans les affrontements du jour.

Nous sommes en train de gagner  la bataille contre la dépression de 1929 ! On est bien content. Mais la situation actuelle a-t-elle un quelconque rapport avec celle de l’époque ?

Sans entrer dans un cours d’histoire trop approfondie, il apparaît vite que notre situation de moment n’a que très peu de rapport avec la situation de l’époque.

En 1929 on sortait à peine d’une guerre mondiale « industrielle » comme on n’en avait jamais vu et qui avait provoqué des pertes immenses en Europe tout en déstabilisant le monde entier.   Nous sortons d’une phase de croissance presqu’ininterrompue de 65 ans sans aucune guerre mondiale !

En 1929 le système monétaire était en reconstruction après l’abandon obligé de l’étalon or du fait de la guerre. C’était un Gold Exchange standard à deux têtes : seuls la Livre britannique et le dollar étaient convertibles en or, malgré les tentatives de revenir au statu quo ante bellum avec notamment la grande erreur de Churchill tentant de ramener la Livre à une valeur de change impossible et provoquant une récession dans le RU. La France en 28 avait remis en place le Franc Poincaré, lui aussi légèrement surévalué.  C'est-à-dire que le système monétaire était bancal et en reconstruction.   Nous vivons aujourd’hui sous un système de changes flottants établi il y a plus de 35 ans qui fonctionne selon des règles totalement différentes.

En 1929 le niveau de vie et l’organisation sociale n’avaient rien à voir avec ce qu’on connaît aujourd’hui.  L’Europe était ruinée et se relevait tout doucement. Les filets de sauvegarde sociale n’existaient pas ou peu.  On mourait avant l’âge légal de la retraite quand un système de retraite était en place. La sécurité sociale était balbutiante.  Aujourd’hui le niveau de vie est sans comparaison et l’organisation sociale plus que développée partout même si les systèmes sont très différents d’un pays à l’autre.

En 1929 l’essentiel de l’activité était agricole.  En France près de 60% de la population active était occupée aux champs.  C’était moins aux Etats-Unis et beaucoup moins au RU mais le cœur de l’économie était là et pas ailleurs même si l’industrie était en plein développement.  Aujourd’hui l’agriculture ne représente qu’une part mineure de l’activité et nous sommes dans un âge d’économie de services et d’information qui n’a plus aucun rapport.

En 1929 le commerce international était fort limité.  Les empires coloniaux étaient fermés sur eux-mêmes et les barrières douanières, monétaires, règlementaires très élevées et considérées comme indispensables à une bonne gestion nationale.  Aujourd’hui tout est ouvert avec des zones  comme l’Euroland  où toutes les frontières économiques ont pratiquement été arasées.

En 1929 la richesse mondiale était concentrée en occident.  L’orient et l’extrême orient, comme l’Afrique étaient presque totalement sous développés. Certains pays d’Amérique du sud étaient riches de leurs exportations de matières premières  mais sinon vivaient mal.  Aujourd’hui le Japon et les dragons extrême-orientaux sont au même niveau de développement que les pays occidentaux. L’Inde et la Chine   sont en plein rattrapage économique.  Le développement est partout même si les guerres et révolutions ont créé des disparités importantes.

En 1929 l’argent ne quittait pas les espaces nationaux.  Les mouvements de capitaux étaient extrêmement limités. Les changes étaient presque partout étroitement contrôlés. Aujourd’hui les mouvements de capitaux sont quasiment libres à travers le monde.

En 1929 les Etats n’avaient qu’une influence faible sur la plupart des économies capitalistes.  Les prélèvements ne dépassaient pas  15 à 20% du PIB chez les plus administrés.  Aujourd’hui la dépense publique en France dépasse la valeur ajoutée du secteur marchand !  Même si cette situation est extrême, les prélèvements sont partout supérieurs à 35% et le plus souvent entre 40 et 45% du PIB.

En 1929, les salaires étaient versés en liquide et n’allaient pas majoritairement dans les banques. L’énorme extension des banques de dépôts et de l’emploi du chèque se fera dans les années soixante ; celle de la carte de crédit dans les années quatre vingt.  Les banques étaient petites et n’avaient pas de très grosses parts de marché.    Le crédit à la consommation était faible. Celui à la construction encore plus faible.  Le développement massif des succursales et  la concentration bancaire se feront à la fin du XXième siècle.

Restons en là : il est parfaitement clair que le contexte des années 20 et 30 n’a strictement RIEN à voir  avec la situation actuelle.

Si l’environnement est différent peut être les mécanismes et les attitudes  présentent-ils des parentés  qui pourraient être exploitées utilement.

En matière boursière  la période d’emballement qui précède le krach de 1929 est très significative. Les banques prêtaient en masse aux agioteurs et les banques spéculaient à tout va. Les Etats-Unis ont connu une période d’euphorie après avoir été les principaux bénéficiaires de la guerre en Europe  et connu une des phases d’innovation industrielle les plus actives qu’on ait jamais vu. 

Rien de tel en 2007-2008.  Depuis 1974 le monde n’est plus dans la phase « glorieuse » de la croissance. Il ya des cycles bien sûr avec des hausses et des baisses boursières, mais depuis l’éclatement de la bulle boursière et monétaire de 1999-2000,  il n’y avait plus d’euphorie. L’épargne au contraire cherchait à rester liquide et le coup de torchon de 2001-2002 avait rendu l’épargnant plus que frileux.  En 2007 la bourse n’avait même pas retrouvée ses niveaux de 2000. L’euphorie était en orient. Mais la crise de 1998 avait porté en partie sa leçon. Le boom touchait la Chine de régime communiste et encore très pauvre, pas la première économie de monde.  L’économie chinoise ne représente en 2008 qu’une part infime de l’économie monde.


En matière de pensée et de politique économiques, l’écart est tout aussi important. Bien que comme l’a écrit Didier Dufau la crise de 1929 n’a en fait jamais été totalement expliquée,  elle a provoqué des changements d’attitudes très importants. Le livre de Keynes a été publié trop tard pour être utile à la résolution de la crise de 1929  mais l’état d’esprit général n’est plus à l’abstention  face à une crise et plus personne ne pense qu’elle se résoudra toute seule et qu’il suffit de l’attendre comme on attendait Godot.  Pousser la demande globale par tout moyen est l’état d’esprit qui prévaut depuis la guerre de 40. 

De même si un Milton Friedman a parfaitement décrit comment la FED, toute jeune en 1929 (elle date de 1913),   avait aggravé la crise par des initiatives scabreuses,  elle a compris depuis longtemps la leçon et les trois  relances monétaires d’Alan Greenspan sont là pour en témoigner. Cela fait 40 ans que l’on cherche à appliquer les leçons de la crise de 29 avec des succès divers.

Nous nous retrouvons à nouveau avec des différences telles que tout rapport entre la situation de 1929 et la nôtre  est introuvable.
Cet examen nous montre que la crise actuelle est sui generis et que les recettes anti dépression imaginées après 1929, appliquées déjà à plusieurs reprises avec pour seuls effets de provoquer une crise encore plus importante lors de la récession suivante, sont pour le moins émoussées.

Le seul point  de convergence est l’immense création monétaire qui a précédé la crise de 1929 et celle de 2008 et la transformation des banques en usines à spéculer phénoménales.   La crise de 1929 était bancaire et centrée sur les Etats-Unis où 10.000 banques disparaitront entre 1929 et 1935 !  La crise actuelle est bancaire et si son épicentre est bien aux Etats-Unis, l’habileté de Wall Street a été de la répandre à travers le monde.

L’ennui des crises bancaires c’est qu’elles arrêtent pile l’économie.  L’arrêt actuel est du au  blocage bancaire et à l’énormité des pertes subies par ce secteur du fait de l’explosion du système spéculatif qui s’était mis en place.   Les chutes verticales des ventes dans l’immobilier, la vente de voiture, l’équipement de maison,  les exportations, les investissements ne s’expliquent que par l’arrêt cardiaque des banques et les AVC qui se sont produits dans les marchés de changes.

Il est donc parfaitement inutile de s’écarter de ce sujet là : les relations monétaires nationales et internationales sont bloquées, à des niveaux historiquement jamais vu et après des débordements techniques eux-mêmes parfaitement nouveaux.  C’est là et seulement là qu’il faut agir en s’attachant aux réalités du moment.  Les recettes de 1929 sont inopérantes et on voit bien que depuis 2006, date réelle du renversement, elles le sont et elles le restent.

Menons la guerre d’aujourd’hui avec les armes de demain. Au lieu d’essayer de gagner la guerre économique de 1929 avec les armes dont on pense (sans preuve et avec de graves complaisances)  qu’elles auraient été efficaces d’hier.  
Premier champ de bataille : les changes flottants.  Première constatation : Grouchy est ailleurs !

Lewis Holden pour le cercle des économistes e-toile



Commentaire
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