Lagarde et Kouchner, futurs prix Nobel d'économie ?
M. Kouchner et Mme Lagarde ont signé conjointement une libre opinion dans le journal le Monde (daté du 1er décembre 2009). Les interventions de ministres en exercice sont déjà exceptionnelles, mais signées en duo, elles sont rarissimes. Le sujet devait donc être d'importance et mériter le détour, même si le titre, bien trop long, était en lui même plutôt inquiétant :
"Des financements innovants pour aider au développement, l'idée fait son chemin ; pour une taxe sur le secteur financier mondial".
On apprend donc que "ces derniers temps la notion de financement innovants, stables, prévisibles" complémentaires de ceux qu'on connait "flottait dans l'air".
Tiens, se dit le lecteur, nos Ministres captent l'air du temps, maintenant. Comme c'est bien ! Désormais toutes les semaines un ou deux ministres écriront aux journaux pour dire ce qu'ils ont trouvé dans l'air du temps. Comme cela, pour le plaisir de causer bagatelles et fanfreluches qui passent dans le ciel des bonnes idées aériennes et mobiles. "Ici l'ombre : voici quelques messages personnels".
Des ministres medium de l'air du temps, vraiment cela nous manquait grave !
L'article nous rassure tout de suite : l'air du temps qu'ils ont capté à deux avec leurs petites antennes magiques, ils l'ont mis "à l'agenda international au printemps 2009". Au nom de la France. C'est formidable un ministre français : cela capte l'air du temps, le met à l'agenda international et l'indique six mois plus tard aux Français ébaubis. Par voie de presse.
On sait que Mme Lagarde parle anglais et que cette capacité lui a fait atteindre les sommets de crédit auprès des anglo-saxons justement lors des sommets (là où circule l'air du temps). C'est sans doute pour cela qu'elle ne craint aucun anglicisme : ce sont en effet les anglo-américains qui "mettent à l'agenda". Exiger des ministres français innovants qu'ils écrivent en bon français serait sans doute outrecuidant et de mauvais goût. Surtout quand on complète les anglicismes de charabia administratif de compétition : "Cette idée s'inscrit au confluent des problématiques" lit-on un peu plus bas. Qui saurait mieux dire ?
Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Le charabia technocratique cache généralement une grande misère de la pensée ou de vilaines intentions. Parfois les deux. Faisons taire le mauvais esprit qui souffle des idées aussi négatives.
L'air du temps, nouvel ange Gabriel, a révélé à nos deux Ministres qu'une taxe de 5 centimes pour 1000 euros sur le système financier mondial apporterait au monde 35 milliards d'euros de recettes annuelles régulières (autant que le grand emprunt, c'est dire) ce qui permettrait de régler d'un coup de baguette magique tous les problèmes qui se posent : la soif et la faim (calmées avec des produits purs et accessibles), l'accès à l'énergie et à l'économie propre, et même, cerise sur ce gâteau magique, la sécurité financière. Les budgets des Etats n'auraient plus à se préoccuper de cautionner les bilans des banques.
Vous vous rendez-compte Mme Michu ! C'est bien l'ange Gabriel, en grandes pompes, missionné par Dieu le Père et le Saint esprit réunis (et le fils ne devait pas être très loin) qui ont introduit l'air du temps dans les neurones de nos deux ministres.
Ils en ont été tellement éblouis que l'article ne cesse de nous faire part de leur enthousiasme de catéchumènes : la solution est évidente ! Et on n'hésite pas à marteler cette évidence.
"Les financements innovants sont donc une évidence. Défi majeur du nouveau siècle, les financements innovants ne sont pas une simple option, ils sont devenus une évidence. Cette évidence, la France...".
Les règles du beau style suggèrent d'éviter de répéter deux fois la même chose à la suite. Alors trois ! Mais il s'agit des règles du nouveau siècle portées par l'air du temps. Alors les plus lourdes répétitions ne sauraient poser problème. Les auteurs ont été timides en nous indiquant que "l'argent doit contribuer à la satisfaction des besoins primaires". Ils auraient du énoncer : "l'argent doit contribuer d'abord et en premier à la satisfaction évidente des besoins primaires de ceux qui sont évidemment prioritaires". Les lecteurs du Monde ont l'esprit si volage qu'il aurait mieux valu prendre toutes les précautions.
En classe de quatrième des collèges, lors des premières dissertations, on vous invite à ne pas employer des termes comme "c'est évident" qui ressortissent du bourrage de crâne le plus primaire et de la position d'autorité un peu injurieuse (si tu ne vois pas l'évidence c'est donc que tu es un abruti) et de développer un argumentaire un minimum rationnel et convaincant. Peut être que "le nouveau siècle" a changé tout cela.
On reste toujours songeur lorsqu'on entend des phrases du genre :"C'est-y pas malheureux de voir cela en l'an 2000". Ces temps nouveaux sont si exigeants ! On ne voit pas que la faim dans le monde, l'accès à l'eau potable, le recul de la pauvreté, l'égalité devant la maladie soient des thèmes particuliers à notre siècle. Déjà en 1999...
Mais bon ! N'insistons pas. L'air du temps du 21ème siècle semble avoir une texture particulière propre à imposer les évidences dans le style tautologique.
La France peut s'enorgueillir de disposer de Ministres aussi doués à capter l'air du temps. "La France est à l'avant garde". Elle a porté la bonne parole "dès le premier jour" Son "activisme n'a pas cessé de porter". "La France sera alors parvenue une nouvelle fois à faire bouger les lignes". Même "la communauté des grands argentiers"(probablement un avatar très "nouveau siècle" des gnomes de Zurich) est d'accord. C'est dire. Et si bien dire : porter une parole qui porte, c'est le summum. Surtout sur une portée dont les lignes bougent. Même si cela fait un peu escargot qui porte un autre escargot sur sa coquille en montant sur une partition de musique crayonnée un peu vite.
Quelle lecture réconfortante pour un Français, lecteur du Monde de surcroit , et appartenant au nouveau siècle : deux ministres français font bouger les lignes avec des évidences que même les sectes les plus saugrenues reconnaissent ! En ces temps de centralisme présidentiel extrême, savoir qu'il laisse ceux de ses chevau-légers les plus sensibles aux courants d'airs (purs) courir si loin en tête des communautés internationales, sans lui même capitaliser sur cet héroïsme mondialiste d'avant garde est bien sympathique et de nature à corriger une image trompeuse.
5 pour mille, c'est 0.5 pour cent. les financiers qui n'aiment pas manipuler les fractions appellent 0.01% un "point de base". 0.50% = 50 points de base.
L'article prend bien soin de nous indiquer que la taxe "sur le secteur financier" (admirez la précision ! ) n'est pas une matérialisation de feu la Taxe Tobin. On sait que ce financier subtil décidé à empêcher les mouvements spéculatifs à court terme sur les marchés des changes avait imaginé un énorme mur anti spéculation : une taxe de 5 points de base. Soit dix fois plus petite que la Taxe Lagarde-Kouchner.
Il faut savoir que le taux de l'argent pour un jour est en ce moment autour de 0.25 points de base. La Taxe Tobin était 20 fois plus élevée. Sachant qu'il faut pour une opération de spéculation dénouée quotidiennement au moins deux opérations, il aurait fallu avec la taxe Tobin que le spéculateur trouve des rendements quotidiens supérieurs à 40 fois le taux de l'argent emprunté le matin. Impossible. Aucune opération spéculative d 'horizon inférieur à deux trois mois n'était plus possible.
Mme Lagarde, toute auréolée de ses titres de meilleure ministre des finances cosmoplanétaire (Mme Ceaucescu est battue), est bien plus forte que cet idiot de Tobin. Avec une taxe de 50 points de base, on arrive à une pénalité de 400 fois le taux de rendement de l'argent emprunté. Toute spéculation à moins de deux ans est totalement éliminée. Il fallait se mettre au moins à deux pour atteindre un tel résultat !
Notre couple de super-économistes précisent bien : "il ne s'agit pas de réguler les changes trop erratiques" ! Un peu plus haut il est pourtant écrit : "cette contribution serait assise sur les changes". Mais "sans perturber les marchés financiers".
Comprenne qui pourra.
Peut-être la main gauche de M. Kouchner n'avait-elle pas connaissance de ce que la main droite de Mme Lagarde voulait écrire, et réciproquement. Le résultat est fameux : il est "évident" qu'une taxe "non Tobin" de type Tobin de dix fois le poids de la taxe Tobin n'aura aucune influence sur les changes tout en s'appliquant au marché des changes.
Faut-il en rire ? Faut-il en pleurer ?
Nous laisserons le lecteur en juger.
Grand moment de solitude garanti...
Peut-être que "l'esprit-sain-de-l'air-du-temps-du-nouveau-siècle" le prémunira-t-il contre l'évidence que l'article de nos deux interprètes avant-gardistes est un tissu de sottises ahurissantes et, compte tenu des postes tenus par les auteurs, impardonnables.
Cercle des Economistes E-toile
PS : quelle honte tout de même !
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Pour évoquer la taxe Tobin, il faudrait d'abord dire quels sont les effets souhaités par Tobin, indiquer les critiques sur la solution proposée, voir les alternatives. On ne parle ni du problème, ni de la solution , ni des alternatives. On est sûr que les gens comprendront !
Les journalistes : la seule question qu'ils posent : vous reprenez les thèses d'Attac, ah ah ah ! Encore un exemple d'ouverture à l'extrême gauche ?
Et que dire du langage moralisateur pour débile qui consiste à dire : les banques ont péché, elles doivent payer pour l'écologie.
Et toutes ces associations qui veulent de l'argent, de l'argent, de l'argent ! De l'argent facile ; de l'argent sans limite, comme si cet argent ne serait payé par personne.
Où la taxe tobin est une mesure financière à caractère technique et il faut dire ce qu'on compte en faire. Où l'idée est simplement de prélever des impôts indolores et il faut dire où seront les conséquences.
On voit comment la politique marche en France : façon pochette surprise avec des mesures d'extrême gauche reprises par la dropite de rupture.
On voit aussi à quel point les journalistes sont à découvert dès qu'une question un peu technique se pose. Ils retombent automatiquement dans le préchi précha et le politicien.
Quel charlatanisme démagogique !
Ils ont besoin d'argent, c'est clair. Mais maintenant c'est pour sauver l'Euroland. Jamais une taxe n'aura servi à tant de missions.