Encore un livre de banquier sur la crise !
Dans la collection Tribune Libre chez Plon, M. Matthieu Pigasse, vice président de la Banque Lazard, et donc caution bourgeoise du livre, assisté d’un certain Fichelstein, porte plume, se livre à l’exercice littéraire à la mode : commenter la crise. Après tout, que les banquiers, après avoir nourri la crise, veuillent gagner un peu d’argent en la commentant, pourquoi pas ? La cupidité ne saurait disparaître en un instant !
Comme la floppée de livres du même type qui emplissent les rayons aujourd’hui, l’essentiel du livre est la compilation des événements qui ont marqué ces derniers mois avec l’inévitable plongée dans la dérive des crédits immobiliers, la saga des banques d’affaire américaines, la distribution des risques par la titrisation, puis l’enflure des formes de crédits incompréhensibles, la défaillance des agences de notation, les effets pervers de certaines normes comptables, etc.
Le lecteur fidèle à ce site ne trouvera exactement rien de plus de ce que nous avons déjà décrit en temps réel depuis de longs mois.
La véritable interrogation lorsqu’on lit ce genre de livre est de savoir s’il mettra à jour des faits sus du sérail et qui ne seraient pas encore connus et si les analyses sur les causes justifient des solutions intéressantes.
Première déception : il n’y a aucun fait nouveau. Tout ce qui est dit s’étale dans les journaux depuis des semaines et est connu de ceux qui ont suivi l’actualité avec attention. Bien la peine de faire appel à un banquier international dirigeant d’une grande banque normalement au cœur des affaires ! C’est une simple compilation de choses connues.
Seconde déception : il n’y a aucun effort de diagnostic particulier. Au départ il ya le vilain Greenspan (qu’on a adoré sans limite et sans une seule critique pendant 20 ans) qui dévergonde le crédit, qui permet la bulle immobilière, que les banques amplifient avec des moyens techniques sophistiqués, que les agences de notation ne comprennent pas, que les régulateurs ne regardent pas, et quand tout casse, les règles comptables viennent aggraver les choses. Air connu.
Troisième déception : faute de diagnostic il n’y a aucun début de commencement de préconisation utile. On reste dans les généralités et le « wishful thinking » parfois très loin des problèmes concrets qui se posent.
Au début on y croit encore un peu : au moins les auteurs font remonter la crise à 1988-89 et ne se contentent pas de partir de 2003 ! On se dit : la dynamique des évènements depuis trente ans va être éclairée. Et bien non.
Le schéma des auteurs : La crise boursière de cette époque est traitée par Greenspan par une inondation de crédits. On stigmatise Greenspan pour cette faute. Et on passe directement à la bulle internet vue comme précurseur de la bulle immobilière qui est déclarée comme commençant en 2003 (elle commence en 97).
Pourquoi y a –t-il eu crise en 88-89 ? Les années 70 et 80 n’ont-elles pas été marquées par des crises financières à répétition ? N’y a-t-il pas eu un changement radical de paradigme des politiques économiques et financières à cette époque ? La politique Volcker qui avait provoqué la récession assez dure du début des années 80 n’est-elle pas en partie l’explication de l’attitude de Greenspan ?
N’espérez rien sur ces sujets. Ils ne sont même pas abordés. Alan Greenspan est un démon né par magie et qui va envoyer le monde dans le mur. Alors on le montre dans ses premières décisions. Point stop. On citera la crise du Japon pour simplement avertir qu’on pourrait entrer dans un mécanisme de ce genre. Les causes et la nature de cette crise, qui va s’étaler dans les années 80, ne sont même pas abordées.
Les deux crises majeures que sont la récession de 91-93 qui frappe le monde entier et la crise de 1998 qui désarticule l’économie des nombreux pays sous développés sont totalement ignorées. Pourtant il s’agit pour l’une de la première récession depuis la guerre, un sacré avertissement ! Et la seconde montre bien l’ampleur des désordres financiers et monétaires qui affectent la croissance mondiale.
On n’en dit pas un mot pour une raison simple : elles n’apportent aucune eau au moulin de la thèse des auteurs qui est la chanson générale : trop de crédits à cause de Greenspan, bulles, gestion dérégulée des finances, explosion.
Du coup on ne comprend rien. D’accord l’Islande s’est endettée au-delà des possibilités de son PIB. Mais pourquoi et comment est-ce que cela a été possible ? Greenspan ? Evidemment non. D’accord les Etats-Unis ont débridé les crédits. Mais pourquoi est-ce que cela fut possible ? Les déficits de balances de paiements perpétuels n’ont joué aucun rôle ? Si oui comment ont-ils été possibles ? Des crédits complexes ont été mis en œuvre mais pourquoi fallait-il une telle complexité et pourquoi ont-ils connus cette diffusion mondiale ? Vous ne trouverez aucune réponse dans le livre.
Pour cela il aurait fallu remonter un peu plus tôt avec la disparition des règles de Bretton Woods et l’introduction de facto d’un système de changes flottants et de liberté totale des mouvements de capitaux. Les américains ont fait sauter le système de Bretton Woods parce qu’ils ne voulaient en aucun cas mettre fin à leurs déficits insensés de balances des paiements.
Ce sont ces déficits qui sont à l’origine de l’immense création monétaire qui a permis aux banques américaines de se goberger pendant des années. Les changes flottants devaient avoir deux effets : réduire le spreads des taux d’intérêt à travers le monde grâce à la libre circulation des capitaux et aboutir à une certaine stabilité automatique des taux de change. Dans la pratique on a vu exactement le contraire. C’est la liberté des mouvements de capitaux et le déséquilibres des taux d’intérêt qui a permis à l’Islande la politique bancaire qu’elle a connue. Greenspan n’y est pour rien.
Si Greenspan a pu élargir les déficits et les rendre incontrôlables, c’est que le système des changes flottants le permettait.
Périodiquement on ruinait les créanciers. Si le Japon est entré en récession longue c’est d’abord à cause de la masse de dollars dévalués qu’elle a du absorber en tant que gentil allié des américains. Si la Suède voit ses banques ruinées en 1992 (en vérité l’ensemble du système bancaire mondial est passé à deux doigts de l’explosion) ce n’est pas à cause d’une politique nationale particulière. Mais de la bulle née aux Etats-Unis permise par les changes flottants qui a fini par exploser là où l’économie était passagèrement la plus faible.
Non le FMI n’a rien vu venir. Rogoff son économiste en chef en dépit de la réalité explique que les crises sont de moins en moins graves et donc que les changes flottants jouent leur rôle : ils harmonisent les conjonctures, les taux d’intérêt etc. Du vent ! Si les économies des pays en voie de développement ont lâché en 1998 c’est parce que le dollar après avoir été effondré par Greenspan est reparti à la hausse de façon verticale mettant en danger tous les circuits d’emprunt en dollar et déréglant les changes.
A force d’écarter les faits qui ne rentrent pas dans la démonstration et d’oublier les évènements les plus significatifs, le livre perd tout intérêt explicatif. Les solutions apportées, appuyées sur un diagnostic partiel voire inexistant, sont évidemment totalement à côté de la plaque. Faire entrer la Livre dans l’Euro est un vœu pieu. Fusionner la France et l’Allemagne est très chic et très « grande géo politique ». Mais tout cela est un peu distancié par rapport aux urgences. Tout le reste est classique : contrôler les hedge funds, refonder les agences de notations, changer les règles comptables etc. La broutille habituelle.
En fin de livre on aborde la question du FMI et d’un nouveau Bretton Woods (une page) . Oui mais sans remettre en cause les changes flottants. On évoque la mise en œuvre des DTS (droits de tirage spéciaux) mais on omet de dire qu’ils existent depuis le début des années 70 et que les changes flottants leur ont fait perdre la totalité de leur rôle ! On ne peut évoquer Keynes et son Bancor en conservant les changes flottants. Or pour un banquier remettre en cause les changes flottants ce serait comme remettre en cause le prêt à intérêt ! IM-POS-SIBLE ! Il y a trop de bon business derrière pour les banques. Et la libre circulation des capitaux ferait du mal à Lazard !
N’y-a-t-il rien à garder de ce livre ? Si bien sûr : la condamnation radicale et définitive de la « banque universelle ». Comme c’est un de nos dadas nous somme heureux de voir qu’une voix autorisée de la haute banque s’accorde à le penser. C’est de l’intérieur que Matthieu Pigasse peut dénoncer les innombrables conflits d’intérêt qu’offre la banque universelle. Et son danger systémique.
On trouve aussi une jolie formule sur les banques américaines en crise de solvabilité et les banques européennes en crise de liquidité. C’est évidemment faux mais arbitrer ainsi de façon distributive la querelle entre ceux qui pensent que la crise bancaire est partout une crise de solvabilité ou qu’elle est partout une crise de liquidité, est une astucieuse façon de dédouaner la banque européenne de toute faute. UBS, Fortis, Royal Bank of Scotland, Natixis et une flopée de banques allemandes apprécieront. Quand on est banquier européen il faut aussi être diplomate ! En vérité les banques sont partout à la fois en crise de solvabilité et en crise de liquidité…
On s’amusera également de la dernière phrase ciselée pour la pose : « l’urgence est de retrouver le temps long ». Les entreprises et les particuliers frappés par la crise risquent en effet de trouver le temps long si on en reste à ces analyses croupions et à moitié aveugles. Elles peuvent même finir au tombeau et ce n’est pas Lazard qui les ressuscitera !
Il faut supprimer les changes flottants : il y a urgence ! C’est le B.A. BA de cette crise. Le reste est du blablabla.
Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
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