Deux histoires très révélatrices
Nous autres, « anglo-saxons », comme on dit en Europe continentale, il faudrait sans doute utiliser les supplices de haut degré du moyen âge pour nous faire avouer que les changes flottants posent quelques problèmes que ce soit et qu’ils ont permis des dérives financières désastreuses .
La variabilité des cours de change est vue à l’image des fluctuations de la météorologie. On peut penser que certaines forces sous jacentes agissent et qu’elles soient sous la responsabilité de quelques dérèglements de la conduite humaine. Mais nous sommes bien convaincus que nous n’y pouvons rien sauf à invoquer la bienveillance des Dieux comme nos ancêtres le faisaient lorsqu’un nuage de sauterelles se révélait particulièrement désastreux.
Mais nos journalistes aiment les cas concrets et livrent des exemples qui peuvent faire réfléchir même un « anglo-saxon ».
Le New York Times nous livrait il y a quelques jours la navrante histoire de ce milliardaire chinois créé de toute pièce par la finance « internationale », en fait un groupe de hedge funds et de banques d’investissements, selon le scénario suivant. Le but ultime : engranger une formidable plus value sur la bourse de Shanghai représentant sans doute 100 ou 200% du capital investi. Ce que nous appelons du « big business ». On trouve un jeune chinois capable d’incarner les triomphes du capitalisme. On lui prête des sommes astronomiques. On lui fait acheter des milliers d’hectares de terrains et on soutient son entreprise de promotion dans la construction de villes entières. On multiplie les reportages sur le jeune « tycoon » si représentatif d’une Chine triomphante. On attend que les premières barres d’immeubles soient commercialisées pour mettre en bourse l’immense société entièrement montée à crédit et on fait une gentille culbute. On rembourse les prêts et on a gagné quelques milliards de dollars bien venus.
Cette histoire nous change des idées habituelles sur l’industrieux chinois dont la sagacité commerciale et les bas salaires permettent de damner le pion aux industries occidentales. Depuis 2003 la bourse de Shanghai a connu une telle envolée qu’elle ne pouvait que durer éternellement. La finance mondiale se devait d’être là et de ratisser vite et bien les plus values qui s’offraient. Les milliards de dollars se retrouvaient dans la poche du gouvernement chinois qui ne savait guère qu’en faire. Alors il le plaçait en bons du trésor américain. Où ils étaient immédiatement remis dans le circuit et servaient à d’autres opérations miraculeuses en Chine du même tabac que celle qui vient d’être racontée.
Naturellement la bulle explosa en septembre 2008. Les énormes constructions construites sont vides et les autres sont arrêtées là où elles en étaient. Les ouvriers sont rentrés par millions dans leurs campagnes. Les énormes containers qui apportaient de quoi fabriquer ces villes nouvelles restent vides. Les bateaux qui les transportaient s’accumulent à l’entrée des ports.
Les plans de relance chinois sont totalement incapables de faire face à ce genre de situation. Les hedge-funds lèchent leurs plaies et tentent de rembourser avec ce qu’ils peuvent encore rassembler les investisseurs traumatisés qui leur avaient fait confiance. Les banques américaines tentent d’expliquer à la FED que leurs actifs chinois sont de merveilleux actifs qui pourraient faire l’objet de refinancement « non conventionnels ». Les banques européennes qui se sont syndiquées avec ces belles opérations font de même auprès de la BCE. Bonne chance ! Le contribuable américain commence à devenir nerveux, comme le contribuable européen. Le gouvernement chinois aussi avec ces milliards de dollars créés sur du vide dont il craint qu’ils ne lui glissent entre les doigts. Le G.20 met l’Uruguay sur liste noire avant de tenter le gris, soulevant l’enthousiasme absolu de tous les media.
Bref nous sommes sauvés.
Pourquoi raconter cette historiette ? Peut-être pour faire comprendre que la crise n’est pas seulement et peut être même pas principalement celle des crédits hypothécaires bonifiés et « subprimes ». Absolument tous les circuits économiques étaient pervertis. Le dérèglement du système monétaire international avait généré des bulles prêtes à exploser absolument partout et dans tous les compartiments de la finance.
Quand les premiers craquements se produisirent, ce sont des explosions en série qui se succédèrent ruinant et paralysant tous les circuits internationaux de financement et tout le commerce international. Par milliers les opérations du même type en Chine et ailleurs s’effondrèrent faisant disparaître le capital des banques mêlées à ces « juteuses » spéculations.
Elles le firent en une seconde, car en une seconde les promesses de la bourse de Shanghai s’envolèrent à jamais. Elles s’envolèrent partout. Tous les salariés qui un peu partout dans le monde fournissaient la matière réelle de ces constructions psychédéliques sont au chômage, sans aucun espoir de revoir leur poste de travail avant quelques décennies. On comprend mieux pourquoi en moins de trois mois toute l’économie monde s’est recroquevillée.
Pendant ce temps dans le même exemplaire du NYT le journaliste économique récemment nobélisé, Krugman, se moque du gouvernement chinois qui n’a pas su quoi faire de ces dollars prêtés à pertes par la banque occidentale à des entrepreneurs faillis. Cela ne sort pas de la crise mais cela détend.
L’autre histoire est racontée avec malice par The Economist qui se moque gentiment des difficultés du gouvernement japonais. Il suffit de traduire :
« Les exportations du Japon ont connu un boom lorsque le Yen était sous évalué (« super cheap »), et la dépense américaine en plein délire (« consumer binge »). Le Japon n’a connu ni bulle immobilière, ni bulle de crédit. Mais le Yen faible a permis aux exportateurs japonais d’étendre leurs capacités de production dans l’espoir que ces conditions perdureraient. Il en a résulté un défaut majeur d’allocation des ressources. Quand le Yen s’est envolé l’année dernière et la demande étrangère s’est arrêtée, la bulle de fabrication japonaise a explosé. En 2008 les exportations ont été divisées par deux. »
N’importe qui en conclurait que les changes flottants sont décidemment une catastrophe qui entraînent des erreurs de vision et qu’il faut rapidement faire quelque chose sur cette question.
Mais non. C’est le fruit particulier de l’idéologie que les faits peuvent être éclairés avec la lumière la plus intense sans déclencher la moindre réflexion. Ces deux historiettes montrent bien que les déséquilibres financiers colossaux et les fluctuations aberrantes de changes sont à la source des difficultés gravissimes actuelles. Mais il est inutile de chercher la moindre ligne en ce sens. Les flots tumultueux de la finance libre dans un monde sans digue donnent à écrire mais pas à penser encore moins à panser.
Les esprits audacieux pourront essayer de jauger l’efficacité des mesures prises par le G.20 en les appliquant à nos deux histoires.
Lewis Holden pour le Cercle des Economistes E-toile
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
" Le Japon ne pourra pas repartir de ses propres forces" dit un interviewé. La main invisible de la finance libre et mondialisée est bien invisible. On et loin des subprimes et des solutions du G.20.
Ne cherchez pas une condamnation des changes flottants dans l'article. Là on touche au tabou !