Cynisme, insolence et mépris des grandes banques « universelles »: un exemple.
On voit se développer dans la presse un courant d’exaltation devant les performances d’une banque comme BNPPARIBAS. N’a-t-elle pas réussi à saisir à bon compte les dépôts de Fortis et à produire des résultats positifs lors de son dernier trimestre publié ?
Un article récent du Figaro s’extasie sur ses résultats. D’autres en profitent pour renouveler l’idée reçue que les banques françaises sont « moins touchées que les autres ».
Nous ne sommes pas d’accord.
Nous prétendons que la constitution de mastodontes « trop gros pour être abandonnés à la faillite » , vivant dans la consanguinité perpétuelle avec l’Etat où ils imposent leur loi, accumulant des parts excessives de la richesse nationale et en réservant une part excessive à une poignée de satrapes sans mérite, dominant la presse par leurs financements et leurs encarts publicitaires (excluant tout article autre que de flagornerie) , multipliant les métiers incompatibles et risquant de ce fait de ponctionner abusivement les épargnants, nuit à l’intérêt général.
La gloriole de voir se constituer un champion national français dans la mondialisation bancaire ne doit pas nous aveugler.
BNPPARIBAS est allé mendier de quoi survivre auprès de l’Etat et de la BCE. Comme les autres. Trois de ses fonds ont été pris dans la tourmente des subprimes et la solution choisie a été terrible pour les souscripteurs : l’impossibilité de sortir. Même l’affaire Madoff a touché la banque. Heureusement qu’AIG a été renfloué car sinon bien des prêts assurés auraient du être passés en pertes et profits. Si l’opération Fortis n’avait pas abouti il aurait fallu recapitaliser en toute urgence et pas par des petites sommes. Il n’y a rien là qui mérite l’admiration.
Pour les clients la catastrophe a été certaine.
La stratégie de BNPPARIBAS dans la partie banque de détail a été parfaitement claire :
- Repousser sur le client l’essentiel du travail de ses agents
- Taxer ce travail.
Toutes les opérations sont taxées sauf le dépôt lui-même et le chèque. Et au prix fort.
Les guichets ont été réorganisés et il n’y a plus qu’une seule employée au guichet dans nombre d’agences. Vous voulez du cash ? Do it yourself au Gab ! Vous voulez remettre des chèques ? Remplissez vous-même le bordereau SVP et revenez au guichet quand vous l’aurez fait. Vous voulez faire un retrait important ? Commandez bien à l’avance. Une opération internationale ? Allez au siège ou attendez des jours. Vous voulez fermer un compte ? Mais c’est odieux cela ! Et gare si vous avez un découvert !
L’activité de dépôt est doublement juteuse puisque à l’exploitation immédiate de la trésorerie par la banque s’ajoute le scandale ancien et jamais réglé des décalages abusifs de dates de valeur (le traitement informatique a complètement annulé la justification initiale du dispositif).
Naturellement le « client » n’a strictement aucun pouvoir contre un tel mastodonte.
Renforcer le mastodonte est-il dans l’intérêt de l’usager ? Evidemment non. Il est clair que la rentabilisation de l’achat de Fortis (à propos financé comment ?) va passer pour les usagers de la banque de détail par la généralisation des méthodes qui ont si bien marché pour la maison mère.
On dira : et la concurrence entre banques de détail ? Il n’y a pratiquement aucune concurrence entre les banques de dépôts. L’économie bancaire veut que seuls les très grands réseaux puissent amortir les coûts marketings, informatiques et règlementaires. Tous les petits réseaux disparaissent les uns après les autres. Il se crée une situation oligopolistique renforcée par la puissance des syndicats professionnels (qui datent de Pétain) et la consanguinité avec les pouvoirs administratifs et politiques (voir l’origine des dirigeants et l’affaire Pérol). Les banques étrangères ont pratiquement renoncé à créer des réseaux significatifs. On reste entre soi. Dix personnes gèrent 80% des dépôts des Français. La règle désormais c’est comme dans les mafias bien connues : touche pas au grisbi et à ma part de marché : « tous ensemble, tous ensemble … ».
Nous disons : d’accord la concentration est inévitable. Mais nous concluons : séparons au moins l’activité de dépôts des autres métiers. L’oligopole au détriment du client à la base ne doit pas s’accompagner de sa spoliation organisée dans les sphères du placement. La gestion des dépôts doit rester une activité de services et rendue plus concurrentielle qu’elle ne l’est actuellement. Au prétexte de « sécurisation des dépôts » (qui ne sont en danger que du fait qu’ils sont utilisés par la banque pour son compte personnel) on a accepté des encadrements et des pratiques anticoncurrentielles qui ne sont pas compensés par les quelques mesures récentes visant à obliger les banques à faire apparaître les frais qu’elles ont récupérés sur le malheureux usager. Il suffit de voir comment ces récapitulations sont faites pour qu’on imagine la grande rigolade de ceux qui les ont pondus.
Dès qu’on entre dans la sphère des placements, on constate combien le client est maltraité. Les agences étant dégagées des tâches de service traditionnelles, les équipes restantes sont là pour faire du profit à l’aide de l’information captive qu’ils ont des dépôts. Un solde gonfle un peu ? A l’attaque. Il faut placer, placer, placer. Car l’activité de placier est très rentable et pratiquement sans aucun danger quand on travaille sur les sommes en jeu.
Prenons un exemple : Wanadoo. BNPPARIBAS touche d’énormes courtages pour placer le titre lors de son introduction en bourse. Tous les excédents de dépôts sont screenés et les commerciaux lancés sur la piste. Il faut placer le plus de titres possible. L’argumentaire a été rodé par les services centraux et inculqués aux commerciaux. Des centaines de milliers de clients sont sollicités avec les arguments les plus alléchants. Des dizaines de milliers souscrivent. Le titre s’effondre. Il est racheté à 50% de sa valeur par l’émetteur, France Telecom, qui a donc récupéré des sommes colossales (au final la valeur de sa filiale, tout de même ! Madoff est un gentil garçon…et si bête) sans aucune justification. Mais BNPPARIBAS a gagné à l’aller et au retour lors de l’opération de reprise des titres ! L’épargnant a été le pigeon de cette sinistre affaire qui ne sera jamais dénoncée dans la presse : France-Telecom et BNPPARIBAS sont des annonceurs trop importants et leurs équipes trop liées à l’Etat (qui finance la presse) pour qu’on se mobilise. Les crétins n’avaient qu’à ne pas acheter (qui les forçait) et s’ils font de mauvaises affaires c’est pour leurs pieds. Les mensonges n’engagent que ceux qui y croient. Mettre les commissions gagnées en garantie pour indemniser ne serait-ce que partiellement les souscripteurs ? Vous voulez rire ! En revanche lorsque la banque fera de mauvaise affaire ce sera pour les pieds des contribuables…
Encore s’agit-il dans l’affaire Wanadoo du placement de titres extérieurs (oublions les consanguinités possibles de conseils d’administration et le fait que France Telecom soit sans doute un client du placeur). Mais la banque fabrique ses propres fonds. Qu’elle place dans les mêmes conditions. Et là pas question que les clients sachent combien la banque gagne et comment. L’argumentaire ? Toujours le même : « nous sommes gros donc votre argent n’est pas en danger. Vous n’allez pas traiter avec des officines ! ». Encore et toujours l’argument de la taille. L’activité est hyper juteuse et sans aucun danger : tous les risques sont pris par le client. La banque touche à tous les bouts de la chandelle, mais les frais sont cachés au client. L’important c’est de rester dans la moyenne des résultats du marché, ce qui, compte tenu de la taille des fonds engagés, est presqu’automatique. Les fabricants internes des fonds en question ne sont qu’une poignée rémunérés par des bonus exorbitants. Les hauts dirigeants ne s’oublient pas au passage. L’extension de la taille de la banque permet de grossir les bénéfices de ce genre d’activités sans augmenter les coûts. Les rendements sont croissants avec la taille et une poignée d’hommes sans talents particuliers va toucher les rémunérations extravagantes qui laissent sans voix le reste de la population.
L’affaire devient encore plus croustillante avec les mandats de gestion. Même plus besoin de rémunérer la cohorte des commerciaux en agence pour convaincre la clientèle captive. On prime le commercial une fois lorsque le pigeon a été rabattu de l’agence locale à la gestion de fortune. Là on fait ce qu’on veut comme on veut quand on veut.
Dans n’importe quel autre métier que la banque, le mandataire ne peut toucher d’autres rémunérations que les honoraires de son mandat. Lorsque par exemple les syndics d’immeubles s’affranchissent de cette règle, ils sont poursuivis au pénal. Si on prétendait imposer cette règle de base du Code à la banque, on entendrait sans doute jusqu’au fond de l’univers les rires inextinguibles de ces messieurs. Regardez ma main droite mais pas ma main gauche. Tous les départements ou filiales de la banque se servent sur la bête. Courtages, commissions, frais, toute la panoplie des rémunérations se met en marche sans que le client n’en voit rien. Les analystes de la banque conseillent les bons produits de la banque qui fonctionnent avec les services de la banque. Une fois encore il s’agit de faire aussi mal que les autres en sachant que même si on fait pire l’argument du poids de la banque et de la « sécurité » que la taille procure sera mis en avant.
Alors les gestionnaires font littéralement n’importe quoi pourvu que cela rapporte à la banque. Les subprimes ne seront pas intégrées dans les comptes des clients français en 2002 ou 2003. Mais généralement au premier semestre 2007 lorsque les courtages offerts par les courtiers américains pour se débarrasser de ces produits qui commencent à brûler les mains sont au plus haut. Jamais l’état français n’a exigé de connaître les rémunérations obtenues par les banques dans le cadre de ces opérations douteuses ni qu’elles soient restituées aux investisseurs lésés. Si vous avez lu dans la presse un article exigeant une telle étude ou la constitution d’une commission d’enquêtes parlementaire …
Un de nos correspondants nous a envoyé copie des placements faits par BNPPARIBAS sur un (petit) compte profil « équilibré » avec mandat de gestion. On y voit à l’été 2008 des achats surprenants de titres de banques françaises. Les titres sont BNPPARIBAS bien sûr (on n’est jamais mieux servi que par soi même) et le 9 septembre 2008, la veille même de l’effondrement général des banques, 31 actions de la Société générale, solidarité de place oblige. Tous les banquiers savent à cette date que le marché interbancaire est bloqué, que les plus grosses difficultés bancaires se préparent. Dès cette date on sait qu’il se passe quelque chose d’inhabituellement grave aux Etats-Unis. Et les cours des banques sont déjà en chute libre. La Société Générale est dans la ligne de mire depuis l’affaire Kerviel. Qu’importe : on achète dans le cadre d’un tout petit compte de profil équilibré un titre qui va perdre 70% de sa valeur et qui ne pouvait en aucun cas en gagner!
Comment justifier l’injustifiable ? Avec l’impudence la plus totale. « La part dévolue à chaque classe d’actifs, l’allocation géographique et sectorielle ainsi que le choix des valeurs relèvent de la stratégie de la banque qui est adaptée à chaque profil de gestion selon un processus rigoureux », répond la banque à son client essoré par de tels choix. « La gestion sous mandat ne peut être absente d’un secteur qui représentait environ 32% de l’indice Eurostoxx 50 en janvier 2008 et 20% de l’activité économique de la zone euro ».
Et passez votre chemin mon bon Monsieur. Le fait que le secteur représentait 32 % de la bourse est la traduction d’une phénoménale anomalie et même le signe que le système était devenu fou. Comment une activité qui normalement se rémunère de quelques pourcent sur le financement d’une part des investissements d’un pays, investissements qui ne représentent qu’une fraction du PIB peut elle atteindre le tiers de la valorisation des actifs boursiers ? On sert comme argument de bonne gestion le symbole même de l’énorme crise économique en cours ! Plus cynique, on ne peut pas. Ici encore on voit le sourire sardonique de l’apparatchik qui a pondu cette prose. A moins qu’il ne soit totalement inconscient. Ce qui est fort possible.
Et la suite du texte montre comment on exploite la taille comme argument : « les quatre valeurs dans votre portefeuilles …sont des établissements bancaires européens qui occupent une position de leader sur leur marché ». Evidemment BNPPARIBAS fait parti de la bande des quatre.
Quant aux produits pochettes surprises que BNPPARIBAS a concocté pour son bien aimé client il faut citer PARVEST AGRICULTURE, un fond très moral destiné à spéculer sur la faim dans le monde et qui a pratiquement perdu toute sa valeur (une variante de spéculation dont le film de J. Rouffio, le Sucre donne un bel exemple). BNPPARIBAS a fait souscrire à ce fonds une part considérable de sa gestion sous mandat, y compris dans le cadre de l’assurance vie ( ?!) en unités de compte. Evidemment ce fonds a été une tirelire permettant de toucher sur les toutes les opérations, la main droite cédant avec commission à la main gauche, etc. La routine. Risque pour le BNPPARIBAS : aucun. Résultat pour les épargnants : la perte d’une part très importante de leurs avoirs mis sous mandat de gestion.
Justification ? «Pour diminuer le risque de votre portefeuille nous avons acheté ce fonds dé corrélé des marchés actions et obligataires » ! Vous n’êtes pas plié de rire ? Spéculer sur les matières premières agricoles pour éviter de prendre des risques ! Il faut dire que dans le cas de notre petit épargnant le profil équilibré avait été exploité jusqu’à la limite haute permise pour les actions. Alors que tout le monde savait que la bourse se cassait la figure (le plus drôle est que la lettre du « directeur de groupe » le confirme puisqu’il a voulu « décorréler » à des fins de protection contre l’évolution mauvaise de la bourse), le portefeuille en question contenait tout de même près des deux tiers en actions alors qu’une gestion sage aurait consisté à revenir à la borne basse de 35% dès 2007.
Cette histoire du cynisme ordinaire, de l’insolence sans crainte, de l’arrogance sans limite, et du mépris d’acier des banques pour leurs petits clients lésés n’aurait qu’une importance anecdotique (sauf pour la victime) si elle ne nous révélait les méfaits de la course à la taille et la nécessité d’y mettre un terme.
Nous sommes les plus gros, nous sommes les plus forts, nous sommes les plus sûrs. Bien sûr on vous a partiellement ruiné, et on vous ponctionne par tous les moyens possibles, mais lisez la presse : nous sommes les meilleurs. On racheté Fortis (au détriment d’actionnaires ruinés) et nous faisons des bénéfices (enfin, c’est ce qu’on dit, on ne va pas vous parler de notre politique de provisions tout de même). N’est-ce pas là l’essentiel ? Cherchez mieux si vous le pouvez, bouffon ! Non, là on exagère, voici la phrase exacte: « Je peux vous assurer que la banque n’a d’autre motivation que celle de préserver vos intérêts. Votre centre de gestion privée est à votre écoute ». Cause toujours dans ma belle oreille …
La course à la taille des mastodontes ne peut qu’amplifier ces phénomènes. La course à la polyvalence aussi. L’assurance doit être séparée de la banque ; la gestion privée doit être séparée de la production de fonds de placement ; les crédits doivent être séparés des dépôts ; la gestion sur compte propre doit être faite dans des entreprises indépendantes. Il ne faut plus qu’une banque puisse donner comme justification à l’auto investissement des fonds sous mandat dans son propre titre le fait que la dite banque répond au merveilleux modèle de la banque universelle, un autre morceau de bravoure de la lettre citée.
Il va de soi que nous n’avons rien contre BNPPARIBAS en particulier. Nous ne citons cet exemple que parce qu’il nous est parvenu par le hasard des relations des documents incontestables. Mais nous savons bien que c’est partout pareil. Ce n’est pas UNE banque qui nous préoccupe mais un SYSTEME. Nous avons aussi retenu cette banque parce qu’elle symbolise ici et maintenant une certaine forme de triomphe médiatique bancaire. L’exemple serait moins probant avec une banque qui connaîtrait des pertes et qui aurait été rachetée… Que l’on prenne la reine des banques universelles américaines, Citigroup, ou même Goldman Sachs si l’on préfère (preuve parfaite de la totale consanguinité entre Wall Street et la présidence américaine) ! Les faits seraient pires mais la chanson resterait la même.
Des banques polyvalentes et hypertrophiées dans un secteur bancaire lui-même globalement hypertrophié sont, même et surtout bénéficiaires, même et surtout triomphantes dans leur stratégie personnelle, contraires à l’intérêt général de l’économie et à celui des particuliers.
La presse, muselée par ses intérêts bien compris, restera muette. L’Etat français, dont les hauts fonctionnaires vivent en symbiose avec les grandes banques nationales, ne bougera pas.
Reste l’opinion publique.
Que la crise sévère où nous sommes permette au moins les prises de conscience nécessaires.
Sylvain Dieudonné pour le Cercle des Economistes E-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Les banques généralistes sont conçues pour faire boites noires. Elles calculent leurs prix de revient comme elles veulent et appliquent la marge qu'elles veulent à qui elles veulent ; affichent bénéfices et pertes où elles veulent. La taille sert à privatiser la vérité par la masse. La plus grosse masse financière dicte l'équilibre de marché. Le client final est lié ; ses besoins réels se plient à la dictée de la banque universelle ; le régulateur ne fait pas le poids ; la puissance publique se met en faillite à ne pas suivre.
Comment peut-on encore ignorer qu'un tel système est intrinsèquement instable ?
Ci-joint le même sujet sous un autre angle :
http://sdujonchay.neufblog.com/Pdf/NavireRisqueCre...
DD