Des idées qui font leur chemin ?
Voici cinq idées qui ont fait leur chemin depuis 7 mois.
1. La nationalisation temporaire des banques
On ne compte plus les organismes ou spécialistes qui pensent désormais que ce serait la meilleure solution et parmi elle le FMI et une partie de l’Administration américaine ce qui ne manque pas de sel. Lorsque nous avons fait cette suggestion, immédiatement après le krach, elle avait paru bizarre, sous la plume d’économistes pas particulièrement tentés par les idées socialistes.
2. La contestation de la banque mammouth et universelle
De très nombreuses voix aussi bien du côté des économistes que des banquiers centraux que des politiques remettent en cause ces géants « too big to fail », trop grands pour être bien gérés, trop polyvalents pour ne pas accumuler les conflits d’intérêts, trop coûteux pour les ressources des nations censées venir à leur secours et trop puissants pour garantir l’indépendance des Etats.
3. L’incapacité de la finance à trouver son chemin toute seule
Les théories basées sur l’idée qu’une finance libre, informée et sans contraintes affecterait magiquement les ressources disponibles au mieux des nécessités est morte et enterrée. C’est évidemment la question de l’information qui est au centre du fléchissement de la doctrine. On est plus dans la psychologie comportementale de foldingues gloutons et moutonniers que dans l’analyse rationnelle de faits bien analysés par des agents bien informés. Lorsque l’horizon utile de la finance descend en dessous de 8 minutes, on peut douter que la croissance durable et équilibrée à long terme soit au menu. Et que reste-t-il de la prétention de certains à noter la qualité du papier financier échangé ?
4. Le caractère trop spéculatif et « courtermiste » des comportements
Hedge funds mobilisant des sommes colossales suffisantes pour peser sur les marchés et manipuler les cours, et utilisant des techniques comme la vente à découvert pour provoquer des mouvements auto réalisateurs ; importance excessive des salles des marchés ; pression excessive des fonds de pension pour une rentabilité immédiate, la durée moyenne d’un placement n’excédant pas un an ; recherche d’un gain fiscalement avantageux sur des plus values de stocks options par des dirigeants de grandes entreprises qui ne regardent plus au-delà du prochain jackpot ; abus de chirurgie financière dépeçant des entreprises ou les portant à court terme à des fins de plus values immédiates après restructuration brutale. Recherche de la plus value de préférence au chiffre d’affaire et orientation « haut de bilan », voire hors bilan et non plus « compte d’exploitation ».
5. La nécessité d’une plus grande « stabilité financière »
Il ne manque pas une voix pour chanter les vertus de la stabilité financière « indispensable ». Du G.20 aux discours des banquiers centraux en passant par tout ce que les classes politiques comptent d’importants, partout le maître mot est « stabilité ».
Il va sans dire tous ces constats vont ensemble. Si la finance n’était pas devenue quasi exclusivement spéculative, si elle était rationnelle et bien informée, si la course à la taille n’avait pas conduit aux pires dérives, si l’instabilité n’avait nourri des stratégies ultra dangereuses mais aussi ultra lucratives, il ne serait pas nécessaire de nationaliser les banques pour restructurer le secteur.
L’ennui c’est que ce constat devenu banal ne débouche sur aucune réelle décision. Les bonnes idées font leur chemin, mais elles cheminent dans une impasse. Aucune décision n’est prise parce qu’en fait tout le monde est paralysé par la dictature de l’existant, l’inertie des habitudes, les réseaux d’intérêt et l’incapacité de se projeter dans l’avenir avec un minimum d’idée sensée. L’obligation de décisions identiques à l’échelon international ne conduit pas à fluidifier les choses.
Si le bon diagnostic est celui d’une montagne de dettes grossie indéfiniment par les déficits fabuleux des balances de paiement internationaux et provoquant une création monétaire déraisonnable qui vient juste de s’écrouler, il soulève deux questions cruciales :
- Comment minimiser les conséquences et permettre une sortie de crise rapide et pas trop coûteuse ?
- Comment éviter que cela ne recommence ?
On l’a répété mille fois (et peut être plus) sur ce blog. Si la cause des déséquilibres est dans le système de change, il ne peut y avoir de solution sans remettre en cause le système de change. Faute de l’avoir fait et même de l’avoir simplement imaginé, on a laissé le moteur de la crise tourner à plein régime. Il fallait dans l’instant abandonner le système des changes flottants et rendre les Etats responsables de leur solde de balances de paiements devant la communauté internationale. Si on chemine dans une impasse, c’est d’abord parce qu’on s’est mis un sac sur la tête et qu’on a refusé ne serait-ce que de regarder au-delà du bout de son nez . Ce n’est plus de l’aveuglement. C’est de la cécité volontaire et entretenue.
D’autre part si on assiste à l’effondrement mondial d’une montagne de dettes, on devrait concevoir que ce n’est pas l’endroit où se trouve la dette en défaut qui compte d’un point de vue macroéconomique, mais qui doit payer les pertes. En toute logique ce sont les émetteurs de ces dettes et ceux qui les ont fabriquées et diffusées qui doivent trinquer en premier, alors que l’idée qui prévaut est de ruiner le créancier et de répartir le reste de la charge sur les contribuables d’aujourd’hui et de demain. La meilleure recette pour avoir une crise dure et interminable.
On prétend sauver les dépôts en sauvant les banques coupables. Mais pourquoi diable les dépôts doivent-ils être en danger quand les banques de crédit font des sottises ? La réforme mille fois envisagée dans l’histoire du système des dépôts qui voudrait que les dépôts en soient vraiment et qu’ils ne puissent être utilisés dans la trésorerie des banques pour leurs besoins de crédit provoquerait certes un changement radical des habitudes. Les banques de crédit seraient obligées de trouver leurs ressources sur le marché monétaire, l’épargne des particuliers et des entreprises étant sollicités EXPLICITEMENT en ce sens et non pas IMPLICITEMENT ET AUTOMATIQUEMENT comme actuellement.
La gestion des dépôts et des systèmes de paiements est une activité de service à peu près sans risque. Elle ne demande pas des qualités de banquiers mais de prestataires de services : bonne organisation, excellente informatique, politique marketing adaptée. Si les dépôts en sont vraiement et non des prêts masqués, Il ne peut plus y avoir de ruée sur les dépôts et les agents économiques sont à peut près sûr que leur épargne liquide n’est pas menacée. Cela éviterait de nombreux comportements paniquards désastreux et serait de nature à ne pas miner la confiance générale. La question structurelle deviendrait simplement d’éviter les concentrations de réseaux excessives et les atteintes à la concurrence. Le développement international de ces sociétés de service pourrait être envisagé sans difficultés. Après tout, qu’un bon gestionnaire parvienne à obtenir des parts de marché partout où il est excellent n’a pas d’inconvénient. Cela permettrait de faire sauter les obstacles structurels à la concurrence comme la complicité en France des hauts fonctionnaires et des banquiers (ils baignent dans le même vivier) et les syndicats professionnels abusifs qui au nom de la « sécurité » des dépôts multiplient les entraves à la concurrence et les opérations conjointes à tarifs excessifs.
Quand le débat existe sur ce projet, c'est-à-dire pratiquement jamais, et dans des lieux non publics, l’argument employé par les tenants du statu quo est « le risque d’assèchement des liquidités » et sa variante : « la montée de la thésaurisation ». En gros l’argument c’est qu’en trompant les déposants qui en général ne savent pas qu’en réalité ils ont fait un prêt gratuit à leur banque quand ils y déposent des sommes, on assure le financement de l’économie. C’est une hypothèse intéressée et très aventurée. D’ores et déjà les agents économiques gèrent le mieux possible leur trésorerie. Les moins négligents parviennent à maintenir un solde non placé le plus faible possible. Ce qui serait théoriquement perdu serait ce simple solde « de négligence ». Mais en fait, les agents seraient encouragés à prendre des décisions de placement liquide pour leur propre compte et en faisant jouer la concurrence. Les banques de crédit seraient obligées de faire quelques efforts pour leur proposer des produits attractifs. Au total un client autonome et prenant des décisions en fonction d’une offre plus attrayante serait certainement plus motivé et globalement économiquement plus utile qu’un client enchaîné et privé de choix. Les banques de crédit s’alimenteraient sur les marchés monétaires et financiers : c’est à la banque centrale de régler la liquidité générale. Et s’il manquait de monnaie il ne serait pas très difficile de faire face.
La nationalisation temporaire des banques aurait un sens dans cette perspective. Les activités de banque succursaliste de gestion des dépots et des paiements pourraient être immédiatement détachées : elles sont saines par nature. Et ont une valeur propre importante. Mettre aux enchères les réseaux permettrait immédiatement de lever les fonds nécessaire à l’amortissement des pertes sur dettes. Personne n’a cherché à valoriser ce que représentent en valeur patrimoniale les réseaux de succursales des grandes banques anciennement de dépôts. C’est une lacune gigantesque. A notre sens elle montrerait que cette valeur est supérieure à la valeur boursière actuelle des banques considérées ! On imagine le levier pour renflouer ce qui peut l’être !
Cet acte fondateur étant fait, la question devient beaucoup plus simple : on interdit les liens dangereux entre banques et assurances (une banque de crédit ne peut faire assurer les risques, sa rémunération ayant pour seule justification les dits risques !). On sépare les activités de crédit des opérations de spéculation pour compte propre. Le scandale d’une Société Générale qui met les dépôts à risque en faisant fonctionner à plein ses salles de marché (c’est un exemple : c’est presque partout le cas) serait définitivement réglé. La séparation radicale entre les émetteurs de produits financiers et les gestionnaires de fortune, associée à la transparence des rémunérations de ceux qui exécutent des mandats, l’interdiction de certaines pratiques dangereuses comme les ventes à découverts en certaines circonstances et sur certains marchés financiers, l’obligation pour les banques d’affaires de fonctionner dans le cadre d’une commandite, l’impossibilité d’intervenir sur les marchés à partir de centres non régulés, formerait alors un cadre complémentaire logique de nature à éviter les principales défectuosités du système financier mondial sans remettre en cause la création de sociétés transversales et concurrentielles à travers le monde. Il n’est pas nécessaire dans un tel cadre de localiser les banques sur un territoire fermé.
On voit que ces restructurations ne sont pas si difficiles que cela. Et qu’on peut aboutir vite à une organisation nouvelle parfaitement opérationnelle. En vendant les parties utiles des banques nationalisées temporairement, on diminuerait de façon drastique l’encours de fonds à faire garantir par les Etats ou à faire payer au contribuable.
Il va de soi que les changes n’étant plus flottants et les Etats responsables de leur balance des paiements, les occasions de spéculation diminueront de plusieurs magnitudes comme on dit dans les congrès pédants. Touts les crédits pochettes surprise pourraient être restructurés pour limiter les causes de nouvelles pertes. Le calcul économique des entreprises redeviendrait possible sachant que désormais les flux de marchandises reprendront le pas sur les flux monétaires.
On s’extasie à penser que ces mesures auraient pu être prises dès le printemps 2007, quand il est devenu évident que le système allait sauter. Ou même encore comme nous l’avons immédiatement conseillé, dès septembre 2008 ou au moins lors du G.20 de Washington. Au lieu de cela on n’a pensé qu’à déverser des milliers de milliards d’Euros ou de dollars pour éviter une crise systémique du système des dépôts qui pouvait être sauver à bien moindre frais ! En ne faisant aucune réforme de structure.
Et en se réjouissant lorsqu’un mammouth national comme la BNP a réussi à piquer les dépôts d’un diplodocus plus en difficulté comme Fortis, sans se rendre compte qu’on a ainsi créé les conditions de nouveaux pouvoirs excessifs, de nouvelles rémunérations aberrantes, et de nouveaux risques majeurs, car les dépôts récurrents du réseau Fortis n’ont qu’une seule destination : éviter la crise de liquidité à la BNP pour sauver la peau des dirigeants de cette banque et leurs divers plans de constitution de fortune personnelle. C’est la même chose aux Etats-Unis ou au RU où on a pensé trouver des solutions en concentrant les réseaux de banques : l’inverse exact de ce qu’il fallait faire. Les rêves de puissance ont continué à l’emporter sur l’intérêt général bien compris.
Nous sommes dans l’impasse. On y pense parfois juste. Mais on n’agit pas. La dichotomie entre la pensée et l’action est absolument totale. Le cerveau n’est plus connecté aux membres. On est dans le songe. Tout le monde rêve que cela s’arrangera avec un peu de patience sans rien faire d’autre qu’aligner l’argent des contribuables d’aujourd’hui et de demain. L’histoire sera dure avec l’aveuglement des dirigeants de cette tragique époque.
Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Quelle issue alternative les économistes et financiers à qui vous avez parlé voient-ils à vos propositions ? Croient-ils vraiment que la planche à billets réamorcera la pompe économique et financière ? Où voient-ils les moteurs financiers de la croissance future ?
@Didier Dufaud
De quels outils les Etats disposent-ils pour négocier entre eux la régulation de leurs dettes et de leur change ? Comment sortir du rapport de force entre monnaies de réserve et monnaies qui ne le sont pas ?
La position est : Wait and see. Full stop ! Ils ne faut pas porter atteinte à la puissance américaine et les plans doivent marcher. Aucune réflexion. Refus de toute réflexion. On attend et si cela ne marche pas alors on verra. "The end of the recession is round the corner". Cela rejoint des réactions précédentes : la crise de subprimes est surmontée (juillet 2008); la correction était nécessaire mais maintenant qu'elle est faite nous ne sommes plus inquiets (fin septembre 2009) ; le plan Paulson fonctionnera (réunion de Washington) etc. Les banquiers américains sont plutôt optimistes...quand ils ne sont pas au chômage.
Adresse d'un article du NYT sorti après l'intervention de Lewis qui reprend l'expression de wait and see et qui montre bien que l'idée des autorités américaines est : ne rien faire d'irréversible. Donc en fait ne rien faire en croisant les doigts. Lewis a bien perçu "the mood". Mais il y a des gens que cela inquiète.
SD
Faut-il comprendre que les banquiers américains achètent en ce moment des positions à bon prix sur le krach de la dette publique US et qu'ils nous feront part de leurs doutes une fois leurs positions suffisamment garnies ? Où fais-je du mauvais esprit ?