L’impossible retour aux accords de Bretton Woods
La réforme du système monétaire international est la grande absente de toutes les réflexions menées depuis le krach de septembre 2008. Le système des changes flottants est un sujet quasiment tabou bien qu’il n’y ait aucun corpus économique important et convaincant justifiant son hégémonie. La contestation vient par un biais : la critique du rôle du dollar notamment par les pays dits du « bric », Brésil, Russie, Inde et Chine. Plusieurs d’entre eux ont accumulés des réserves en dollars immenses dont ils craignent que la valeur ne s’évapore. Contrairement au Japon qui a accepté de se voir ruiné à plusieurs reprises par des baisses importantes du cours du dollar, ces pays ne sont pas alignés sur les Etats unis et peuvent exprimer leur inquiétude.
La création monétaire débridée de dollars par la FED leur fait craindre un effondrement de cette monnaie à plus ou moins court terme. Dans un système de change flottant si une opération de spéculation en ce sens était déclenchée, elle serait impossible à arrêter. Si les Etats ne considèrent pas comme de leur responsabilité d’assurer une valeur externe de leur monnaie, et se concentrent sur sa stabilité interne, mesurée par les prix à la consommation, rien n’empêche en effet un effondrement. Le yoyo du dollar est une réalité qui a fait passer sa valeur en euros par exemple du simple au double. Rien n’interdit de penser que le dollar ne puisse encore baisser fortement, bien qu’il soit déjà au plus bas. Les accords occultes entre la FED et la BCE réduisent actuellement les fluctuations entre Dollar et Euro. Rien n’indique qu’en cas de tourmente monétaire ce gentleman’s agreement pourra être maintenu.
L’effondrement du Dollar aurait des conséquences immédiatement cataclysmiques et entraînerait dans la foulée la fin du libre échange tel que nous le connaissons. En fait on se retrouverait ipso facto dans la situation qui avait prévalu au début des années trente lorsque le Dollar, après la Livre, avait été fortement dévalué. Le marché international des devises-papiers (fiat money pour les anglicisants) est incapable de trouver un équilibre rationnel quelconque en temps normal. Il l’est encore moins en cas de crise générale, et ne le serait plus du tout en cas de panique générale alors que les planches à billets fonctionnent à plein régime.
Chacun sent que le régime des changes flottants est une croute monétaire hyper fragile sur laquelle on ne peut avancer qu’en marchant sur les œufs et que si elle craque ce sera panique à bord et sauve qui peut.
C’est une des raisons pour laquelle nous affirmons depuis septembre 2008 que la première mesure qu’il fallait prendre était de stabiliser le système de changes avec responsabilisation des Etats vis-à-vis de la valeur extérieure de leur monnaie.
L’ennui c’est que le débat sur une réforme du système des changes n’est pas ouvert et que les solutions sont peu explorées et encore moins débattues. On parle d’un retour à l’étalon or sans véritablement en comprendre les contraintes qui sont sévères. Ou d’une restauration du système mis en place à Bretton Woods qui est peu souhaitable. Il faut donc se projeter dans un autre univers que ceux que nous avons connus ce qui n’est jamais simples. On n’entre pas dans l’inconnu sans précaution. Comme aucun débat suffisamment général n’a eu lieu, les autorités ont l’impression que ce serait de l’aventurisme pur. En cas de crise le premier réflexe est le repliement sur les certitudes et le confort des habitudes. Politiquement c’est ce qui explique le virage à droite initial de l’opinion dans les élections politiques. Economiquement, on fait bloc sur ses certitudes. En fait on se raccroche à ce qui est à portée de la main, même quand il s’agit de brindilles.
L’étalon-or n’a pas connu une période de généralisation très longue et cette période n’a pas été particulièrement heureuse. Jusqu’en 1873, c’est le bimétallisme or et argent qui régnait, non sans crises majeures. Il a été rendu impossible par la découverte de nouveaux filons et surtout de nouvelles techniques d’extraction d’or qui a provoqué des désordres monétaires continuels jusqu’à ce que l’argent soit démonétisé. Il s’en est suivi une première « grande dépression » à la fin du dix neuvième siècle particulièrement regrettable.
Peu de gens savent encore que le mode d’ajustement des balances extérieures en système d’étalon or est la déflation. Plus personne n’accepte la déflation. Les salaires sont quasiment fixés. L’Etat considère que ses recettes doivent être protégées à la baisse. Les grands groupes tiennent leurs prix. En un mot : le mode d’ajustement de l’étalon or est inopérant et ne serait plus toléré. Imaginons que nous soyons en régime d’étalon or : la Chine aurait accumulé un tas d’or mais en provoquant une déflation proportionnelle aux Etats Unis. Un rééquilibrage dur des échanges se serait alors produit avec baisse des salaires et des prix aux Etats-Unis. Dans notre société basée sur les grands groupes, les syndicats, l’Etat omnipotent, il n’y aurait aucune chance pour que la potion soit avalée. Les autres raisons souvent avancées pour refuser l’étalon or ne sont pas convaincantes.
Certes l’or est actuellement fort mal réparti et le seigneuriage donnerait des boni importants à certains. Mais une fois le système en place les stocks bougent et se retrouvent là où ils doivent être. La crainte d’un manque de liquidité du fait d’une insuffisance d’or est également infondée. La production d’or augmente à un rythme de 2 à 4% par an ce qui est le rythme hors inflation de la croissance. Quant aux hymnes à l’irrationalité d’un système qui consiste à faire des « trous dans la montagne », ils sont exclusivement polémiques et n’ont pas d’intérêt en soi. S’il fallait faire des trous dans la montagne pour avoir une croissance heureuse et durable, pourquoi pas ?
La vraie raison de l’impossibilité de l’étalon or est que ses mécanismes d’ajustement ne sont pas politiquement acceptables et ne correspondent pas aux nouvelles structures économiques. Elles ne fonctionneraient pas.
Le retour au système mis en place à Bretton Woods, le Gold-dollar exchange standard, ne convient pas plus. Rappelons que ce système consiste à ne définir qu’une seule monnaie convertible en or, le dollar, toutes les autres étant définies par un taux de change vis-à-vis du dollar. Ce système de Gold exchange standard (GES), étalon de change-or en bon français, avait déjà été essayé après la guerre de 14-18 devant l’impossibilité pratique de revenir à l’étalon or : pratiquement tout l’or était centralisé aux Etats-Unis. Toute la période est marquée par des tourments monétaires continus. Jacques Rueff, un observateur particulièrement affuté, remarqua très vite que le GES avait été finalement le responsable principal de la crise de 1929. C’est lui le père de la dénonciation de la « double pyramide de crédits » que permet le système. Le pays qui a dispose d’une monnaie pivot finance ses déficits extérieurs par la création monétaire (facile : c’est sa propre monnaie qui sert de monnaie mondiale) en même temps que les excédents accumulés à l’extérieur finance également une même inflation de crédit. Le système est auto entretenu et au bout d’un moment on aboutit à des situations d’endettement global ingérable. D’une part les crédits ne servent plus principalement à financer l’expansion mais la spéculation (la création monétaire va plus vite que le potentiel de croissance) ou l’inflation, d’autre part leur niveau par rapport au PIB devient tel qu’il est impossible de rembourser. On aura atteint en 1929 aux Etats-Unis un taux d’endettement de près de 400% du PIB en 1929. Il est facile de calculer le niveau démentiel de croissance qu’il aurait fallu pour payer les intérêts et rembourser le capital d’une pareille dette sans vendre le capital national. Ce sont les créanciers qui ont payé. Et l’activité.
A Bretton-Woods cette leçon n’a pas été tirée. Les Etats Unis était devenue une hyper puissance. Elle détenait toujours l’essentiel de l’or du monde. Elle était la créancière de toutes les démocraties occidentales. L’économie européenne était par terre. La Livre britannique avait été totalement supplantée par le Dollar. Le retour à l’étalon or n’était pas plus concevable qu’en 1918. Les beaux esprits expliquèrent que si le premier étalon de change n’avait pas fonctionné c’était parce qu’il y avait trop de monnaies de référence. En fait toute monnaie convertible en or pouvait servir de réserves de changes susceptibles de justifier la création de monnaie dans les pays créditeurs dans ces monnaies. Une banque centrale pouvait créer de la monnaie nationale à due concurrence de ses entrées de devises convertibles. La concurrence entre les émetteurs de monnaies « bonnes comme de l’or » déstabilisait le système. Ces défauts n’existeraient plus avec une seule monnaie triomphante et base de tout le commerce mondial, le dollar. Le monde ne risquerait plus la pénurie de monnaie internationale, comme c’était le risque supposé avec l’or. La puissance de l’économie américaine et son rôle directeur dans l’économie mondiale garantissait en fait tout autant que la référence à l’or la valeur de la monnaie de référence, et indirectement la valeur des monnaies des pays qui « ne feraient pas plus de bêtises que les autres ». Les pays autres que les Etats-Unis étaient tenus de faire les efforts nécessaires pour maintenir la valeur de leur monnaie en dollar. Les Etats unis étaient tenus de garantir la valeur du Dollar en or. En avant pour les « trente glorieuses ».
En vérité le système était vicié à la base.
A suivre ...
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Cet article (dont j'attends la conclusion) est plein d'espoir. Il parle de la réalité financière vivante sous nos yeux et de l'histoire qui nous y a menés. Vous osez explorer les solutions à l'anarchie des changes flottants.
Vous êtes trop aimable d'affirmer que l'effondrement du dollar aurait des conséquences immédiatement cataclysmiques. Tout votre blog démontre que nous sommes dans le cataclysme. Le dollar s'est effondré et les changes flottants masquent cette réalité. Nous faisons semblant de l'ignorer en continuant d'afficher des taux de change qui ne signifient plus rien.
L'effondrement de la croissance n'est pas un choc mécanique d'une cause extérieure à nous-mêmes. C'est le gel du calcul économique, le gel des anticipations de la valeur par le crédit. La raison est toute simple : le dollar n'a plus de valeur sûre depuis l'été 2007. Les marchés financiers l'ont immédiatement constaté et se sont efforcés de cacher leur conviction avec les liquidités des banques centrales.
La vérité a éclaté avec la faillite de Lehman Brothers. La disparition du crédit était devenue trop évidente pour ne pas concéder des liquidations bancaires ; il fallait commencer à reconnaître la non valeur de dettes inter-bancaires qui ne seraient jamais remboursées. Il fallait également constater que la croissance anticipée dans la masse des crédits et dans les titres de propriété financière s'était déconnectée de la réalité économique.
Les marchés financiers savent parfaitement que la croissance des bilans des banques centrales et des États est une solution d'attente d'un modèle de rechange du système calcul économique. On peut au mieux espérer l'arrêt de la descente. Le risque accumulé dans les dettes publiques enlève toute certitude au crédit qu'elles représentent et à la valeur des monnaies par lesquelles on les mesure. Sans étalon de valeur fiable nulle part dans le monde, les taux de change ne signifient plus rien.
Nous éprouvons les délices mortifères des changes flottants. Il est interdit de dire qui doit vraiment combien à qui entre zones monétaires différentes. Si les BRIC ont peur de l'effondrement du dollar, qu'ils le disent et leurs créances sur le reste du monde n'auront plus de valeur. Si la BCE prétend que l'euro a encore un pouvoir d'achat stable, qu'elle le dise et les produits européens deviendront inachetables en dollar par le non-européens.
Chacun sent que le régime des changes flottants est une croute monétaire hyper fragile sur laquelle on ne peut avancer qu’en marchant sur des œufs … L'omelette est en réalité déjà servie avec plein de coquilles dedans. Il est inutile de dire qu'elle n'est pas bonne ; il n'y a rien d'autre à manger en régime de changes flottants !
http://sdujonchay.neufblog.com/Textes/JusticeMonet...
http://sdujonchay.neufblog.com/Pdf/ReformeFinanceM...
DD