Sottises sur la croissance

Bien sûr nous sommes en récession.

Mais ce n’est pas une raison pour accumuler les sottises sur la croissance. La prolifération de textes condamnant la croissance et proposant des alternatives plus ou moins fantaisistes étaient jusqu’à maintenant le fait de philosophes qui y allaient de leur petit couplet sur l’homme néfaste qui devaient se régénérer par l’abstinence (tout en payant le philosophe, naturellement). Aujourd’hui ce sont des écologistes ou des économistes alternatifs (traduisez : ex communiste et désormais anti capitalistes) qui abreuvent l’humanité de leur discours anti-croissance.

Qu’est-ce que la croissance ? L’augmentation de la satisfaction des besoins d’une collectivité. En Europe, où il n’y a plus eu de disette depuis deux siècles au moins, ces besoins se diversifient constamment. Ils ont une part psychologique de plus en plus importante. Ils sont individuels. Seul un individu sait décider s’il préfère consommer de la conversation téléphonique, ou manger des produits chers, dépenser plus ou épargner plus, acheter un appareil de photo numérique 24x36 ou se contenter de l’objectif de son portable.  Au dix-neuvième siècle l’habit faisait le bourgeois. Etre présentable en société était une obsession. Chopin dans une de ses lettres dit qu’il a du se résoudre à donner des leçons pour payer ses tenues et financer un équipage. Aujourd’hui la majorité des gens riches  se promènent en jean’s, souvent troués.  A chacun ses options.

La croissance est donc cette activité de fourmi qui fait que des millions de désirs différents et étagés de façon différente  soient de mieux en mieux satisfaits. Jamais autant d’ingénieurs et de concepteurs dotés de moyens aussi importants n’ont été mobilisés pour trouver les voies et moyens de cet accroissement. Pas un jour sans qu’un produit nouveau ne vienne tenter ses amateurs.

La croissance est alimentée par des innovations qui séduisent. Elle l’est aussi par la réduction des coûts ou des inconvénients qui bloquaient la diffusion des produits existants.  A peine un achat fait on sait que le produit est dépassé. Il existe aussitôt un substitut moins cher ou plus pratique ou correspondant mieux aux désirs du marché.

A chaque étape la structure du PIB change. On ne consomme pas la même chose aujourd’hui qu’en 1950, comme on ne consommait pas la même chose en 1950 qu’en 1900. L’illusion du PIB est la constance du contenu de la richesse. La richesse s’accroit mais se transforme radicalement. Un riche de 1750 revenant aujourd’hui serait surpris de ne plus avoir sa nombreuse domesticité et envierait sur de nombreux points la consommation du smicard.

Innovation et productivité : tels sont les deux moteurs de la croissance.

La productivité seule ne suffit pas : une invention peut déplacer plus de consommation qu’une réduction de coût. Avec Nespresso, un des grands succès du moment,  on a même une innovation qui coûte beaucoup plus cher que les produits qui satisfaisaient le même besoin précédemment.  Mais sans productivité il est impossible de déplacer la population active vers les productions qui trouvent leur marché. La hausse de la productivité agricole a permis l’essor du tertiaire et de la société de consommation. Chaque gain de productivité est la condition du progrès d’après. Certains produits ne peuvent trouver leur marché qu’à un niveau de vie donné. Une fois celui-ci atteint, il s’impose et impossible d’y renoncer facilement.

Le capitalisme est nécessairement un hédonisme assisté par la technologie. On peut critiquer l’hédonisme, prôner l’abstinence, culpabiliser la gourmandise. Dans une société libre, les curés des milles chapelles de l’anti consommation ne peuvent rien imposer. Et c’est la liberté qui fait la valeur des choses.

Lorsqu’on garde ces idées en tête on s’aperçoit qu’il y a bien de l’ambiguïté dans le discours des récessionnistes, ceux qui considèrent que le PIB doit régresser ou se stabiliser. On ne stabilise pas une échelle de désirs. Sauf à se livrer à une censure des besoins et des produits. Vous ne détestez pas des cerises en hiver venant de Dieu sait où. C’est mal ? Vous aimez ce portable qui n’existait pas il y a 15 ans ? Il faudrait renoncer à la téléphonie mobile ? Régresser c’est bien mais vers quelle structure de produits maintenant qu’on a tant inventé ?  Et pourquoi se priver des inventions futures ?

La contestation de la croissance peut être légitime. A quoi sert de satisfaire mille besoins si la planète ne rend plus la vie possible ?  A quoi rime l’enrichissement d’une part seulement du monde si l’autre doit végéter à des niveaux de pauvreté inacceptables ?

Mais il faut faire attention aux arguments.  La tendance qui consiste à affirmer qu’il faut renoncer à la productivité parce que l’improductivité ménage la nature et permet d’employer plus de monde est une véritable sottise. Toutes les sociétés peu productives sont hyper polluantes ; L’union soviétique en a donné tous les exemples nécessaires. La Chine aujourd’hui est un des pires pollueurs industriels. Quand on regarde ce qu’était Paris en 1900, et ce que la ville est devenue, on voit qu’il n’y a pas de recul mais un formidable progrès écologique. Une usine aujourd’hui n’a exactement plus rien à voir avec ce qui se faisait il y a un siècle.

« Il va falloir privilégier des solutions économisant non plus seulement le travail mais aussi les ressources naturelles et les rejets » pontifie dans le Monde un certain Jean Gadrey, membre du conseil scientifique d’Attac. Mais que fait l’économie depuis des siècles sinon pour chaque produit réduire  non seulement le temps de travail nécessaire pour fabriquer une unité de produit mais aussi tous les coûts quels qu’ils soient. Les voitures qui consommaient 15 à 20 litres au cent kilomètres ne dépassent plus 5 à 7 litres.  Elles commençaient à tomber en ruine à 50.000 Km. Elles peuvent désormais rouler 200 ou 300.000 KM. Elles consommaient beaucoup d’huile, usaient rapidement des pneus qui perçaient facilement.  Les pannes étaient fréquentes. Le plus humble modèle est plus solide, mieux fini et moins polluant que les meilleures voitures d’il y a seulement trente ans.

C’est vrai à peu près dans tous les secteurs. La baisse des niveaux de bruit, de chaleur, de poussières dans les usines est spectaculaire. Les accidents du travail baissent.  L‘économie réduit ses dépendances sur tous les fronts sans aucune exception. Et depuis longtemps.  Elle continuera. L’incitation prix et l’incitation règlementaire sont suffisantes pour faire évoluer les choses dans le bon sens. Introduire des coûts actuellement externes au processus économique est normal, si c’est nécessaire pour éviter des inconvénients manifestes. L’opération pour être intéressante doit être compensée par des gains de productivité. Encore des gains de productivité. Toujours des gains de productivité. Les ingénieurs sont là pour cela : réduire les inconvénients et les coûts pour permettre à l’ensemble de l’économie d’avancer. Ils le font. Les premiers écrans d’ordinateurs étaient laids, déplorables pour les yeux, lents et inefficaces. Le « temps réel » en 1980 coûtait par poste deux fois le SMIC. Aujourd’hui le coût complet d’un poste de travail informatisé, ramené au mois ne dépasse pas 200 Euros. Les écrans sont meilleurs pour la santé, les rayonnements limités, l’encombrement drastiquement réduit, la puissance augmentée de plusieurs magnitudes. Le recyclage des machines usagées n’est pas encore correctement fait : la règlementation chaque année est plus précise.

Ouvrir des portes ouvertes n’est pas grave. Mais conseiller des solutions sans productivité l’est. L’idée qu’une agriculture bio exigeant plus de 50% d’effectifs et de coûts en plus serait à généraliser parce que cela ferait beaucoup plus d’emplois n’est pas sérieuse. L’improductivité ne crée pas d’emplois bien au contraire. En 1970 Monoprix connaissait une mauvaise passe. Des erreurs de gestion et la concurrence des hypermarchés avaient  grignoté les marges. De nombreux magasins commençaient à se désaffilier. Une informatisation forcenée des services centraux a permis de supprimer plusieurs centaines de postes de travail. L’efficacité globale du système s’est améliorée. En quelques années le nombre des affiliés était non seulement rétabli mais fortement augmenté. Des milliers de postes de travail furent créés en province.   L’important était de faire baisser le coût global d’un magasin rendre sa survie possible.  Si on avait dit : il faut doubler les effectifs des centrales d’achat la société aurait fait faillite.  Ce n’est pas l’agriculture « productiviste » qu’il faut condamner. Ce qu’il faut c’est que la production limite sa pollution, sa consommation d’eau, son emploi de produits chimiques dangereux.  Ce sont des facteurs de production qu’il faut réduire à l’unité produite. Ce qui demande recherche, innovation, etc. Mais pas abandon du système. Paralyser la recherche et croire qu’en gonflant les coûts on reviendra à une meilleure situation est  une double erreur.

Une autre est de croire qu’il puisse y avoir plein emploi sans croissance. Chaque marché est en équilibre instable. Pour survivre il faut en moyenne que l’organisation gagne 2 à 4% de productivité par an.

Si elle ne le fait pas, les produits qui eux bénéficient de ces innovations et gains de productivité, gagneront la bataille du linéaire. Le marché régressera par rapport à d’autres. Les entreprises les moins productives seront sur ce marché déclinant constamment contraintes jusqu’à disparaître. Le chômage s’accélèrera.

Si elle le fait elle trouvera les moyens d’innover et de dénicher les créneaux nouveaux donc participera à la croissance. 

Croire à une stagnation heureuse pour l’emploi est une grave illusion.

Aussi grave que l’ineptie fondée sur un simplisme arithmétique qui voudrait que la montée du nombre des retraités et le papy boom serait une bonne nouvelle pour le chômage.  Les retraites pèsent sur les coûts de production en France où les charges sont assises majoritairement sur le travail, une grande erreur fruit du slogan mille fois répété « les entreprises peuvent payer ». Le résultat : les produits made in France sont en compétition avec des produits qui n’ont pas les mêmes contraintes et l’emploi national est menacé ! Les charges doivent peser également sur les produits importés et les produits nationaux. Ce n’est possible que par l’intermédiaire de prélèvements uniforme  sur la dépense.

Si un produit devient rare parce qu’il est pénalisé par la disparition progressive de ressources naturelles qui le composent, par des règlements et taxes écologiques, ou des contraintes sociales, la solution d’une société dynamique sera double :

-          Les travaux de productivité compenseront en tout ou en partie ces contraintes

-          La consommation se déplacera vers des consommations moins touchées.

On a vu début 2008 que la hausse massive du pétrole a entraîné aussitôt une correction importante des habitudes de consommation. Les consommateurs ont optimisé autrement la satisfaction de leurs désirs. Les chocs de ce genre se digèrent et ne remettent pas en cause durablement  la croissance.

Le saumon était un plat rare et cher qu’on ne consommait que lors de fêtes comme le nouvel an. C’est devenu un plat courant plutôt bon marché. L’aquaculture, une innovation, a changé totalement le marché. Simultanément la surpêche a réduit la consommation des crevettes et des langoustines devenues hors de prix. Globalement la consommation de poissons a cru.  La pêche artisanale sans productivité et prédatrice  s’efface au profit d’une industrie nouvelle. Et alors ?

Les impératifs écologiques ou de santé publique existent. Ils seront d’autant mieux assurés qu’il y aura plus de productivité et plus d’innovations, donc plus de croissance. C’est la croissance qui a permis de rendre moins long et moins pénible le travail ; c’est la croissance qui a permis de se débarrasser des taudis ; c’est la croissance qui a permis d’accroître la durée et la variété des études ; c’est la croissance qui a ouvert la porte des loisirs ; c’est la croissance qui a rendu la retraite autre chose que l’antichambre de la mort ; c’est la croissance qui a permis de dégager des ressources importantes pour la sécurité sociale.

La croissance n’est pas la panacée universelle. Mais c’est un bienfait universel qui mérite d’être encouragé par tous les  moyens.

L’écologie fut longtemps de droite. La « terre qui ne ment pas », la campagne féconde, la ville qui pervertit, le malthusianisme, étaient des valeurs de droite. Par un singulier retour de bâton historique, elles sont désormais de gauche et les mêmes jérémiades interminables du pétainisme se retrouvent dans les bouches socialistes.  Souvenons-nous : il fallait casser Paris parce que la capitale créait un désert français. Le livre sinistre d’un médiocre géographe tînt lieu de slogan pendant quelques décennies. Il alimentait le rêve d’une province qui pourrait se nourrir de la décentralisation sans faire d’efforts particuliers. Personne n’avait compris que la révolution du tertiaire entrainait la poussée des villes et qu’elle avait commencé à Paris. La sottise ambiante fit dire, quand le même phénomène se généralisa : il ne faut pas recommencer Paris en province… Et on oublia ces fadaises. Heureusement !

La bienpensance anti productivité et anti croissance connaîtra le même sort. Parce que la vie économique libre l’emporte toujours et se joue des obstacles qu’on cherche à lui imposer.

Nous devons garder une vision dynamique et optimiste de l’économie. La crise actuelle n’est pas fondamentale : elle est due à une erreur d’organisation du système monétaire international qui peut être corrigée. Elle ne doit pas nous encourager à nous morfondre dans les miasmes d’un stagnationnisme pénitent et  perpétuel.  

Cercle des Economistes E-toile

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