Retraites et pénibilité
La politique ne va pas sans faux fuyants. D’accord ! Mais tout de même ! Avec l’annonce que l’on tiendra compte de la pénibilité dans la réforme des retraites de 2010, nous en tenons un vrai de vrai, un faux fuyant d’anthologie pourrait on dire.
Monsieur Hollande avait déclaré le 7 juin 2007 dans l’émission de M. Hondelatte : « Il faut sans doute réformer les régimes spéciaux de retraites mais en tenant compte de la pénibilité ». Le 2 juin 2009 M. Sarkozy, à Versailles, vient d’annoncer qu’il fallait désormais passer à la résolution finale de la question des retraites. Il a aussitôt précisé comme une évidence : « bien sûr en tenant compte de la pénibilité ». En deux ans les thèses socialistes sont devenus des évidences de droite !
Il va de soi que les retraites ne doivent en aucun cas tenir compte de la pénibilité. Essayons un instant de le prouver en échappant aux polémiques politiciennes et en observant le fond des choses.
Il y a eu un énorme scandale, jamais dénoncé tant qu’il était « chaud » et qui ressort parfois au détour d’un débat. Pendant les « Trente Glorieuses » on a fait cotiser à la retraite des travailleurs de force qui pour la très grande majorité n’atteignaient pas les 65 années fatidiques de l’époque. Les cols blancs ont détourné l’argent des cols bleus. Bravo !
La question se pose-t-elle dans les mêmes termes aujourd’hui ? Bien sûr que non !
Plus personne ne veut de métiers qui mènent à une mortalité précoce. Il serait moralement scandaleux de proposer de tels postes de travail. Même en ajoutant : c’est vrai, votre métier va vous conduire à mourir plus tôt alors vous partirez à la retraite plus tôt !
Il faut d’abord éviter qu’un métier fasse mourir plus tôt. C’est une question de simple morale publique. Et c’est ce à quoi on s’emploie depuis des décennies, sous l’œil vigilant de l’inspection du travail.
Nous avons eu, heureusement, les moyens d’obtenir ce résultat :
- La mécanisation a supprimé pratiquement toutes les tâches physiquement usantes depuis longtemps déjà.
- Dans l’industrie un effort constant est fait pour supprimer la pénibilité excessive des tâches, faute de quoi on ne trouve pas de personnel.
- Dans les rares cas où il reste une forte pénibilité la solution passe par des pauses et un raccourcissement de la durée quotidienne voire annuelle du travail.
Aujourd’hui dans toutes les grandes entreprises il n’y a plus de pénibilité réduisant gravement la durée de vie des salariés, à l’exception près des maladies professionnelles et des accidents du travail qui ressortissent de politiques particulières. Cela ne date pas d’aujourd’hui : dès les années 70 dans l’automobile les cadences avaient été à ce point aménagées qu’une femme pouvait faire le travail réservé jusque là aux hommes. Chez Peugeot à Sochaux, grâce à des cadences négociées, le travail hebdomadaire était généralement fini vers midi le vendredi et la lecture d’illustrés confortablement assis dans un pneu devenait l’activité préparatoire à une fin de semaine heureuse.
Le vieillissement de la population active et sa féminisation impliquait de toute façon que le travail soit de moins en moins pénalisant pour la santé. Et cette évolution a été constatée partout.
La pénibilité n’est pas un thème légitime de la réforme des retraites. Il n’est évoqué que parce qu’il permet de négocier le maintien de privilèges, le caractère subjectif de la pénibilité rendant tout son poids au « rapport de force » dans une négociation globale.
Les politiques, en annonçant qu’ils vont accepter de prendre en compte une pénibilité plus qu’évanescente, déclarent formellement aux syndicats : on va avancer mais ne vous inquiétez pas, on cèdera ce qu’il faut pour ne pas vous faire perdre la face en cuisinant en douce avec vous, loin de l’opinion publique, des accords qui éviteront que les réformes ne soient trop lourdes pour les catégories actuellement très privilégiées qui forment le gros de vos bataillons.
Il est absurde et totalement injuste qu’un cheminot parte à la retraite à 50 ans. Quand la majorité des Français doit déjà cotiser si longtemps qu’ils ne peuvent plus prendre leur retraite à taux plein avant 64 ou 65 ans. Quinze d’écart c’est fabuleux. Et intenable. En Europe de nombreux conducteurs de locomotives ont plus de 60 ans, sans inconvénients constatés. Pourquoi certains salariés couverts par des régimes spéciaux partiraient-ils plus tôt que les autres. Qu’on ne nous parle pas de sécurité. On voit que les pilotes d’avion partent le plus souvent dans le monde après 60 ans.
L’âge de la retraite doit être uniformisé. S’agissant d’une solidarité nationale la réforme doit être parfaitement équitable. A charge pour les entreprises proposant des postes particulièrement pénibles d’organiser des fins de carrière adaptées et de trouver des compensations en salaire et en horaires permettant de rendre cette pénibilité acceptable.
La concession verbale de Nicolas Sarkozy annonce donc une négociation en trompe l’œil où, comme cela s’est vu dans les deux premières années de son quinquennat, on a réformé en faisant un pas en avant pour l’affichage et on ne sait trop combien de pas en arrière en catimini. Au point qu’on ne sait plus si le bilan réel des réformes est encore positif.
Naturellement aucun politique n’osera dire la vérité, ni à droite, ni à gauche. Alors on va beaucoup pleurer sur la pénibilité des larmes de super crocodile. Comme pour le RSA, l’unanimité cachera en fait un véritable tour de passe-passe, sauf que là, on ne parle pas des exclus du travail, mais de véritables privilégiés à qui on vient de garantir qu’ils le resteront.
Sylvain Dieudonné pour le Cercle des Economistes E-toile
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Mitterrand avec la réduction du temps de travail et la réduction à 60 ans de l'âge de la retraite, deux mesures intenables dans le temps, avait fait exactement l'inverse. Depuis le ni ni prévaut. Avec Sarkozy il n'y a pas réellement de rupture dans les faits même si le discours a changé.