Bonus : vrais problèmes, fausses solutions.
Ce n’est pas la première fois en économie qu’on s’attaque aux conséquences sans comprendre les causes. Mais, dans cette affaire des bonus, on atteint des sommets dans l’art de condamner l’écume sans comprendre la vague.
La première question à se poser est évidemment de savoir pourquoi de tels gains spéculatifs sont possibles. Si ces gains n’existaient pas, les traders n’auraient aucun bonus. La seconde est de déterminer si ces gains sont utiles à la collectivité ou le produit d’une funeste conjonction qu’il convient de démanteler.
La clé de l’énigme est dans l’évolution de la part des gains financiers dans l’économie globale.
Cette part qui avait constamment baissé jusqu’en 1974, talonne pendant une dizaine d’année puis se met à monter de façon constante pour atteindre des sommets en 2008. Ces chiffres sont à rapprocher de nombreuses autres séries qui montrent par exemple la part croissante des étudiants qui partent faire carrière dans la finance à la sortie des grandes écoles, ou la part des bénéfices bancaires dans le PIB qui enflent aux Etats unis jusqu’à représenter quasiment à eux seuls la hausse du PIB entre 2003 et 2008. La part des métiers de la finance dans la hiérarchie des rémunérations suit exactement la même évolution. La banque a été depuis 1980 l’endroit où il fallait être pour faire facilement fortune. La hausse indéfinie de l’endettement par rapport au PIB qui finira par atteindre presque les 400% aux Etats Unis et plus de 300% en Europe est évidemment le moteur qui produit ces évolutions massives et en rupture avec le modèle classique de croissance de l’après guerre.
Manipuler cette immense masse de dettes exige de nombreux experts et leur offre un champ de gains extrêmement important. Il est plus rentable d’augmenter de 10% l’endettement global ou de spéculer sur une variation de 10% de l’encours des actifs financiers que de créer 10% de chiffre d’affaire industriel sous jacent.
L’ennui est qu’un tel niveau de dettes n’est pas tenable : comme on l’a répété souvent ici, les intérêts capturent non seulement tous les bénéfices produits, mais provoquent également un transfert de capital investi et des ressources stockées vers les détenteurs des créances. La banque classique qui vise à prêter aux entrepreneurs n’a plus d’intérêt. Mieux vaut s’intéresser aux variations de valeurs des actifs et des dettes.
Une fois cette constatation faite, il importe de comprendre comment cette masse de dettes s’est créée et est devenue à ce point gigantesque. Il n’y a aucun mystère et nous avons mille fois décrit sur ce site le mécanisme de la double pyramide de dettes permise par le système des changes flottants et l’accumulation de déficits cumulés disproportionnés par les Etats Unis et d’excédents correspondants par le Japon et surtout par la Chine.
Si vous supprimez les changes flottants et la cotation continue sur les différents marchés de valeurs vous supprimez en un instant 80% de l’activité des salles de marché des banques. Et 90% des bonus.
La flottaison des monnaies n’a aucune rationalité économique. Ceux qui comme Friedmann et Schwartz ont cru en formuler la théorie ont décrit des situations bénéfiques qui ont constamment été démenties par les faits. Ni les taux d’intérêt, ni les changes ne se sont stabilisés. Au contraire on a vu des effets de yoyo impressionnants et répétitifs avec des variations de parité considérables, (doublement ou division par deux). La cotation en continu a permis des manipulations de cours et des gains bancaires qui n’étaient que des transferts de valeur des épargnants ou des entreprises vers les banques.
La possibilité donnée aux banques au milieu des années 80 de cumuler les avantages du prêt forcé qu’est le dépôt bancaire, avec toutes les autres activités, gestion de fortune, banque de détail, banque d’affaire, intermédiariat boursier, etc. a donné à la salle des marchés le rôle principal dans la formation du produit net bancaire.
Un énorme détournement de richesses s’est produit en faveur des nouveaux mastodontes. Les traders ont été les grands gagnants parce qu’ils tenaient la salle des marchés, c’est à dire la spéculation sur tous les actifs en même temps que des méthodes imaginatives permettaient de manipuler toutes les dettes. Les dettes ayant été reprises par les banques centrales et les banques ayant été cautionnées par les états, la salle de marché devenait à nouveau le moteur du revenu net bancaire. Comment s’étonner qu’avec des taux d’intérêt quasi nuls, et la protection des Etats, la spéculation bancaire ait reprise comme avant ?
Il n’y a eu aucune réforme de fond. Le diagnostic de la crise n’est toujours pas fait. On persiste à prendre la fumée pour le feu. On persiste à présenter la crise comme l’effet des libéralités cautionnées par l’Etat américain dans le domaine de l’immobilier social. La vérité est inverse : la pyramide de crédits devait s’effondrer et comme toujours c’est l’élément faible qui a lâché. Les « subprimes » auront été cet élément faible. C’est l’orage qui produit les éclairs pas l’arbre foudroyé !
Qui peut être surpris que sans diagnostic et sans réformes associées à ce diagnostic, la crise rebondisse avec la répétition des mécanismes qui l’ont précédée ?
Les rémunérations démentielles des traders ne sont que l’indicateur des faiblesses intellectuelles et politiques qui ont conduit à la passivité quasi-totale des membres du G.20. Ouvrir les vannes des banques centrales et des budgets étatiques est un traitement symptomatique, certes nécessaire, mais qui n’attaque aucune des causes de la crise.
Les quelques indications qui laissent penser que la récession a momentanément talonné sont plutôt heureuses pour l’économie immédiate mais désastreuses pour la suite car elles vont justifier d’attendre sans rien réformer de fondamental. Déjà certains se félicitent de leur passivité : « On n’a rien compris ; on n’a rien fait ; mais on n’a rien cassé ; et cela repart ! Ouf ! ».
On le verra sûrement au prochain sommet du G.20 : autosatisfaction, postures optimistes et paresse généralisée dans l’imagination de la suite. Il sera urgent d’attendre, « puisque les mesures prises commencent à donner des résultats positifs ».
L’Etat français, comme d’habitude, gérera les apparences et les choses faciles où il est possible de faire vite de la morale à trois sous tout en aggravant la fiscalité. L’agitation politicienne remplacera le débat de fond et les mesures décisives. On déplorera beaucoup. On morigènera encore plus. Pendant ce temps là les dépôts des particuliers serviront à financer les opérations de spéculation à compte propre des oligopoles bancaires, sûrs de la sollicitude de l’Etat « pour protéger l’épargne des Français » en cas d’ennui, en même temps que les prêts à l’économie resteront anémiques, que les faillites s’accumuleront, que le chômage dépassera la barre des 10%.
Les primes des traders seront versées en plusieurs fois et en partie en actions ? La belle affaire !
Didier Dufau pour le Cercle des économistes E-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
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