Le carnaval des économistes qui n'ont rien vu venir : G. Sorman, P. Arthus…



L’anniversaire de la faillite de Lehman Brothers stimule les articles d’économistes bien en cour. On prend les mêmes et on recommence.  C'est-à-dire qu’on fait à nouveau intervenir tous ceux qui n’avaient rien venir et qui n’avaient donné aucun avertissement sur la crise imminente.

Le fait d’être en cour suffit pour être interrogé, publié, écouté, même si on a montré une myopie totale et même parfois si on a soutenu des idées qui sont à l’origine immédiate de la crise.

Evidemment les postures politiques sont privilégiées.  Paul Krugman est l’économiste de gauche soft. Joseph Stiglitz l’économiste « altermondialiste ». Ils sont écoutés « à gauche » dans la presse du même nom. On équilibre avec P. Arthus et Guy Sorman. Puis on prend quelques « institutionnels » comme JP Cotis, directeur général de l’INSEE et Daniel Cohen, fondateur de l’Ecole d’économie de Paris.  Droite, gauche, neutre : le panorama postural est complet.

Qu’ont en commun toutes ces personnalités ? Ils n’ont rien vu venir ! Mais ce n’est pas grave. S’il fallait que les économistes prévoient quoi que ce soit ! On peut avoir dit et écrit n’importe quoi on reste en France toujours un « expert » parce qu’on a un titre officiel ou on représente une posture  reconnue avec une étiquette bien nette et parfaitement collée.

Cette comédie n’est peut être pas divine mais elle est drôle. Il est toujours comique de voir des personnalités prises totalement à contrepied par les évènements essayer de retourner leur veste et retrouver leur à-plomb.  Dans Astérix on voit comme cela des officiers romains qui viennent de prendre une raclée et qui sifflotent et se rajustent en appelant tout le monde à oublier ce qui vient d’arriver et à resserrer les rangs dans la joie et la discipline autour de leur chef bien aimé.
« Vous y allez fort », penseront certains : ces personnalités « incontournables » sont des experts reconnus dont la parole vaut mieux que celle d’économistes inconnus qui publient marginalement sur la toile.

Le principe d’autorité est toujours mauvais conseiller. L’important c’est de savoir quelle est la réalité et d’avoir une vision exacte de ce qui va se passer, de ce qui s’est passé et de la manière dont on doit en tenir leçon.

Lisons ces articles et voyons s’il y a quelque chose d’utile à en retenir. Commençons par Patrick Arthus. On sait qu’alors que toute la finance se congelait il défendait encore les subprimes et la politique de Natixis, complètement folle, dans ce domaine. Il ne s’est pas seulement trompé, il a fait pire : justifier l’aveuglement jusqu’à l’ultime minute !  Dans la livraison du 10 septembre 2009 du journal le Monde fait-il amende honorable ? Tire-t-il la leçon de son échec ? A-t-il pris conscience de nouvelles réalités qui lui avaient échappées. Pas du tout : on assiste à un lavage de mains de première qualité.
-    Première parade : ceux qui avaient vu que cela allait mal tourner n’ont pas réellement compris ce qui se passait.  Sous entendu : ils ne valent pas mieux que les autres.
-    Seconde parade, l’attaque : on nous accuse, nous économistes,  d’être vendus aux banques mais c’est un argument peut être valable pour les américains mais pas pour nous les européens. On va donc parler de « l’honneur » des économistes travaillant pour les banques.
-    Troisième parade : on ne pouvait pas prévoir, même nous les économistes de banques, parce qu’on ne savait pas tout et qu’on ne pouvait pas tout savoir.
-    Quatrième parade : de nouvelles chaînes causales sont mal connues. Et l’imprévisibilité des gouvernements est telle qu’on ne saurait rien dire.
-    Cinquième parade : nos modèles macro-économiques « n’apprennent rien sur la vraie vie ».

Tout cela donne une idée assez effroyable des économistes : ils ne savent rien et leurs modèles sont faux. En plus les gouvernements et les salles de marché  leur font des niches à l’insu de leur plein gré. Au passage P. Arthus fait une erreur de fait surprenante en datant le blocage du marché interbancaire à la faillite de Lehman Brothers alors qu’il a commencé en juillet 2007 justement avec le blocage des subprimes qu’il défendait encore quelques jours auparavant !

Aucune leçon réelle n’est tirée son échec personnel dans l’aventure.

Oui, nous le disons depuis toujours, les modèles économétriques, notamment de l’INSEE sont incapables de maîtriser les ruptures.  Mais il faut dire pourquoi et ce qu’il faut faire pour que cela change.

Oui, c’est vrai, la mécanique des CDO et des CDS était largement inconnue du grand public. Mais des institutions n’arrêtaient pas de tirer la sonnette d’alarme comme le BIS. Mais la question de la validité des produits dérivés a été portée devant Greenspan parce qu’il y avait des inquiétudes. Les banques centrales ont dit : OK ! Les économistes écoutaient ailleurs ou avaient leur opinion favorable comme P. Arthus sur les subprimes « incapables de provoquer une récession majeure ».

Oui les gouvernements peuvent faire des erreurs mais en temps de crise seulement : en vitesse de croisière, ils ne font rien ou tentent de maintenir l’état des choses sans rupture. La crise a été amplifiée par la chute de Lehman Brothers mais cette faillite ne l’a pas créée.

Oui, il est un peu injuste de prétendre que les économistes de banques sont des « vendus ». Mais s’ils ne le sont pas, on retombe dans le « responsable mais pas coupable », ou pire l’« irresponsable mais pas coupable ».

Oui, les oiseaux de mauvaises augures qui de façon répétée annoncent la catastrophe pour demain matin, ne sont pas nécessairement des parangons de la bonne économie à mettre en œuvre. Mais il faut tout de même analyser d’un peu plus près les arguments. M. Larouche n’est certainement pas l’exemple parfait de l’économiste sérieux, nous en sommes d’accord. Les aspects sectaires l’emportent chez lui sur toute autre considération. Des imprécateurs de ce genre, il y en a des dizaines. 

Mais quelques voix se sont exprimées et depuis longtemps pour faire l’analyse détaillée de ce qui ne pouvait qu’amener un krach  sérieux. Je pense qu’on peut considérer la nôtre comme représentative. Nos arguments ont toujours été articulés, précis, et donnés à chaud (par 30 ans avant ni un an après !). Les medias ne voulaient rien entendre, malgré les courriers et  la participation à leur forum, pour faire confiance à des économistes qui ont finalement failli mais qui entendent bien conserver leur place médiatique, sans mea culpa, ce qui ne nous gêne pas, mais surtout sans chercher ce qui, dans leur manière de considérer l’économie, les a conduit à passer à travers.

Le cas de Guy Sorman est très différent. Il se veut écrivain et essayiste, pas économiste. Il est un porte drapeau. L’idéologie libérale est son domaine, sa spécialité, son business. Il a écrit des livres excellents comme son étude sur l’Amérique du sud et les politiques qui l’ont conduit à la ruine, qui n’en font certes pas le Tocqueville des notre siècle, mais qui marque un certain courage, dans le terrorisme intellectuel qui salit la France et un don d’observation et d’exposition qui est bien remarquable.

Néanmoins, il reprend une antienne (déjà développée sur son blog) qui n’est pas totalement acceptable. « L’économie ne ment pas mais ne prédit pas l’avenir », indique le titre de l’article. N’ayant rien prévu, G. Sorman n’est pas gêné le moins du monde. Pourquoi prévoir l’imprévisible ?

On se le demande. Surtout à la cour de la reine d’Angleterre, si on a bien suivi l’actualité. Les vrais spécialistes du capitalisme eux s’en moquent allégrement de la prévision des récessions.    Evidemment, il faut éviter que cette assertion fasse conclure que la science économique ne sert à rien et qu’elle n’est pas une science. Alors on va chercher les belles citations : « les économistes savent tout faire sauf prévoir », une phrase de Debreu qui a déjà beaucoup servi. On explique que les crises sont consubstantielles à un système créatif et dynamique. Quant à les expliquer ! Pour l’instant seules les idéologues parlent et c’est selon qu’on est interventionniste ou non qu’on avance des théories qui ne pourront pas être tranchées avant une dizaine d’année au mieux. 

L’important c’est d’admettre qu’avec le temps on a compris quelques petites choses : que le capitalisme c’est mieux que le socialisme et que cela a produit bien des progrès ; que le protectionnisme, c’est très mal ; que la coopération des Etats est nécessaire (bien que les états « fassent la guerre »), et qu’on a mieux géré la crise actuelle que celle de 1929.  La conclusion parfaitement bénigne apparait alors comme l’évidence même : « le capitalisme ne meurt pas mais rebondit » et « d’une crise à l’autre les économistes apprennent ».
Ou plutôt… apprendront. On verra bien dans dix ans ce qui ressort de tout cela.

G. Sorman, tout a son rêve, en arrive à se mettre en contradiction majeure avec les faits, bien qu’il ait expliqué que la science économique doit partir des faits. Il parle des « stratégies recommandées par la science économique » comme « la stabilité des monnaies ». Où a-t-il vu une quelconque stabilité des monnaies. L’once d’or vient d’atteindre à nouveau les 1000 dollars à l’heure où cet article est écrit. Il valait 35 dollars l’once en 1971 : est-ce une monnaie « stable » qui peut perdre 97% de sa valeur en 35 ans ?  Et le flottement général des monnaies est une preuve de stabilité ? On reste consterné par ce genre d’erreurs. Car c’était évidemment sur cette instabilité organisée qu’il fallait s’interroger, ses conséquences, sa part dans la récession actuelle. Le regard de Sorman n’est pas seulement celui d’un myope : il transforme ce qu’il regarde !

Sur les causes de la crise : rien ; sur les changements qu’il faudrait imaginer pour en tirer leçon : rien. Pas de diagnostic ; pas de pronostic ; pas de thérapeutique. Juste un acte de confiance dans le capitalisme et de méfiance vis-à-vis de ceux qui pensent que tout de même il y aurait peut être quelques mesures à prendre.

MM.  Arthus et Sorman ont fait leur devoir vis-à-vis du vain peuple (et des vaines reines) qui a la sottise de croire que les économistes auraient quelque chose à dire pour éviter les drames humains que sont les récessions majeures.  Les deux restent inentamés dans la conviction qu’on doit continuer à les écouter comme s’il ne s’était rien passé et alors qu’ils n’ont rien à dire sur ce qui touche le quotidien de milliards d’être humains.

Heureuses natures !

Dans cet océan de bêtise, ne voit-on pas quelques signes encourageants ?

Le CNUCED, la conférence des nations unis pour le commerce et le développement, a publié son rapport annuel.  Il y est considéré comme impératif la réforme du système monétaire international !

Il faut trouver un système plus souple que les changes fixes et non révisables et moins dangereux que les changes flottants. Il faut éviter les flux de capitaux à court terme qui déséquilibrent les échangent et bouleversent les marchés. Il faut une monnaie de réserve autre que le dollar.

Enfin ! Une institution importante reprend l’essentiel de notre position ; la récession actuelle est le fruit empoisonné du système des changes flottants et des déséquilibres gigantesques du système monétaire international. C’est mal articulé, techniquement embryonnaire. Mais c’est désormais écrit et porté à l’attention des autorités mondiales.  Que le G.20 lise le rapport de la CNUCED avant de se réunir. Il commencera alors à parler utile.

Commentaire
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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