Joseph Stiglitz ne convainc qu'à moitié !

Comme toujours Joseph Stiglitz ne convainc qu’à moitié

Intéressante cette initiative d’un économiste reconnu de diffuser via la presse un CD ROM donnant en détail l’explication de la crise vue  par  un « Nobel » de l’économie particulièrement  médiatique, notamment à gauche après ses positions très critiques vis-à-vis du FMI.

Il est TRES rare que les économistes prennent le risque de l’explication publique à chaud. Une telle  initiative est bonne à prendre et à commenter.

L’avantage d’une personnalité qui a une assez haute idée d’elle-même c’est qu’elle croit avoir raison, et pouvoir le prouver.  Joseph Stiglitz raisonne et avance moult arguments. Il a beaucoup réfléchi et son raisonnement est articulé.  Ce ne sont pas quelques intuitions jetées à la va vite sur le tapis médiatique.

Il y a quelque chose de mécanique dans l’enchaînement des faits et leur interprétation par Joseph Stiglitz.  Si on n’y prend garde, il vous emporte dans son flot dialectique et vous prive de toute possibilité de doute ou de critique.

Et pourtant. Il y a de nombreuses failles dans son analyse des causes de la crise.

Que dit-il ? En fait rien de bien original.

La dérégulation bancaire a été « achetée » par le lobby bancaire aux Etats Unis alors que rien ne prouve son efficacité économique bien au contraire ;  « J’ai moi-même prouvé que cela ne marchait pas », dit-il ; « on a eu l’impression que cela marchait parce qu’en fait les Etats ont sauvé constamment les banques ». « L’idéologie du « marché qui a toujours raison » n’a fonctionné que parce qu’il y a eu le correctif : « l’Etat nous sauvera toujours » ».

Comme les banques gagnaient beaucoup et ne perdaient jamais, le système a cru et embelli …jusqu’à l’explosion finale.

On retrouve ici l’explication « comportementale » de la crise. La cupidité bancaire a conduit les grandes banques a faire évoluer le système dans le sens qui les arrangeait tout en faisant payer les pots cassés par l’Etat complice du fait de vilains politiciens sensibles aux groupes de pression et de la consanguinité entre Goldman Sachs et le gouvernement.   

L’aspect international est aussi évoqué, bien que l’intervention soit très centrée sur les Etats-Unis, en fait comme souvent avec les américains, beaucoup trop centrée sur les Etats unis.

Une nouvelle explication « comportementale » est avancée pour expliquer que les pays en développement au lieu de dépenser leurs réserves les ont accumulés. Là le raisonnement est franchement faible.  J. Stiglitz évoque « les leçons apprises en 1979 » où la perte de liquidités internationales  aurait eu des conséquences fâcheuses pour ces pays et aurait traumatisé les esprits.   Toujours est-il que cette erreur intellectuelle des dirigeants  des pays sous développés expliquerait que les Etats-unis se soient mis à consommer pour toute la planète pendant que les pays pauvres épargnaient et replacaient leur argent aux Etats unis.  Ce passage est tout sauf convaincant et disons le totalement indigne d’un prix « Nobel » de l’économie !

Mais il faut bien tenter d’expliquer ce fait majeur que la Chine et le Japon (pas particulièrement un pays en voie de développement) aient accumulés des réserves en dollars gigantesques. Et que de l’autre côté les Etats unis aient accumulés des déficits colossaux et permanents qui ont permis aux résidents américains d’emprunter à tout va et aux banques de les servir à plein régime.

De même il note bien que les banques désormais se mettent à spéculer et à ne plus servir les besoins fondamentaux de l’économie mais on ne trouvera pas d’explication, sinon qu’elles sont décidemment très vilaines.

A ce stade J.  Stiglitz a raté les explications fondamentales : le système monétaire international des changes flottants est à la source des déséquilibres permanents et massifs des balances extérieures ; c’est le flottement des monnaies qui a transformé à partir de 1975 l’économie mondiale en casino  géant ;  ce sont les gains astronomiques facilement gagnés dans ce casino qui ont détourné les banques de prêter sainement à l’économie.  Il n’a pas vu la continuité de l’histoire économique après la fin des accords de Bretton Woods. Sans flottement des monnaies toute la suite était impossible.  Cela, J. Stiglitz ne le voit pas. Il  critique Milton Friedman, père des changes flottants  mais seulement pour son intervention auprès de Pinochet, image de gauche oblige.

C’est ce qui rend toute son explication si peu convaincante. Il lie les faits de façon tonitruante mais en vérité  totalement arbittraire   dans une sauce obscure et filandreuse  qui ne peut pas emporter l’adhésion d’un économiste sérieux, même si  la personnalité très affirmée du gâte sauce peut en imposer à un non spécialiste.

On voit bien la différence d’approche avec le Cercle des Economistes E-toile : pour nous la crise est systémique et trouve sa racine dans les défauts du système monétaire international matrice des débordements ultérieurs; pour J.  Stiglitz comme pour la majorité des économistes qui n’ont pas vu venir la crise, elle est simplement comportementale.

Les développements suivants sur la nature du sauvetage « inconditionnel » des banques est classique et n’appelle aucune contradiction.  Nous avions, à chaud,  proposé de constater la faillite des banques  et d’imposer une restructuration forte allant jusqu’à la nationalisation temporaire.   J. Stiglitz montre bien que non seulement on a considéré que les banques étaient « too big to fail » mais aussi « too big to be restructurated ».  Alors on est entré dans un « ersatz de capitalisme » où la faillite n’existait plus pour les banques, y compris, grande nouveauté, les banques d’affaires.  Ce n’est pas l’intérêt général qui a guidé les politiques mais l’exclusif intérêt des dirigeants des banques.

A propos de Lehman brothers  J. Stiglitz fait une remarque très intéressante : on aurait du mettre en faillite toute l’activité risquée de cette banque  mais sauvegarder la partie de la banque qui concerne le système des paiements.  C’est là un des points que nous développons  nous-mêmes avec force : il faut isoler le système des paiements  du reste de l’activité bancaire et financière.  Dans le traitement de la crise aux Etats unis, on a paradoxalement sauvé presque tout le système bancaire et financier et laissé choir une partie du système des paiements ce qui a aggravé la crise.

J. Stiglitz a donc parfaitement raison d’affirmer qu’aussi bien l’administration Bush que celle d’Obama n’ont rien fait pour réorganiser et apurer le système financier.  Et que tous les problèmes de fond demeurent. Il exige le démantèlement des banques universelles « trop grosses pour être abandonnées à la faillite » et exige un re-régulation pour limiter les prises de risques excessives.  C’est exactement la position de notre cercle. Nous regretterons simplement que sur les modalités de cette restructuration et de  ce démantèlement il ne donne aucune indication.  Nous avons un plan très détaillé. On ne connait rien du sien.

Au total, on aurait bien aimé que Jospeh Stiglitz fasse cette émission avant la crise.  Un an après le pic de la crise, c’est tout de même un peu tard.  Sur les causes de la crise il n’est pas totalement convaincant.  En revanche en rappelant que la crise n’est pas finie, qu’il aurait fallu restructurer beaucoup plus profondément le secteur bancaire  et que le monde doit réinventer un modèle de croissance différent de celui qui a prévalu,  il fait œuvre utile, même s’il ne dit pas comment.


Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile

Commentaire
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