Le mythe de la Grande Réforme Fiscale

 

Cela fait maintenant plus de quarante ans que le mythe du grand soir fiscal, de la grande réforme fiscale, de la remise à plat général de la fiscalité, du "grenelle de la fiscalité", enflamme l'imagination des journalistes et de certains politiciens.

Ce marronnier refleurit après chaque récession décennale. Les déficits se sont creusés : il faut trouver des recettes nouvelles car le cliquet joue à la baisse pour la dépense publique. Surtout il faut faire croire que "cette fois ci" le système enfin juste sera mis en place et que sont "les autres" qui paieront la hausse.

Personne ne regarde les dépenses publiques qui se sont gonflées les dix années précédentes dépassant largement le rythme de croissance du PIB et ont aggravé l'endettement. Ce sont les impôts qui doivent augmenter.

Cette augmentation doit être "juste", c'est-à-dire  grossièrement inégalitaire.
Mais cette augmentation doit être efficace, c'est-à-dire toucher tout le monde.
Cette contradiction conduit au mensonge, à la manipulation, à la démagogie, à l'ignominie.

Et suscite des vocations de Pic de la Mirandole de la fiscalité avec leurs facétieuses solutions de réformes fiscales  qui résoudraient tout en ne frappant personne. C'est si facile de prétendre tout demander à la fiscalité sans rien demander au contribuable !

Afin de permettre à chacun d'affronter ce débat biaisé et miné avec un peu de hauteur, voici quelques réalités le plus souvent ignorées ou occultées qu'il importe de garder en tête.

1. L'impôt est globalement progressif en France . Le taux de pression fiscale hausse rapidement pendant les phases de haute conjoncture mais baisse tout aussi rapidement pendant les phases de récession. La baisse de la pression fiscale depuis 2008 est due à 80% à la récession et à 20% à la loi Tepa. Ce qui veut dire qu'elle est provisoire même si on ne change pas les règles fiscales. Dès la reprise on retrouvera les taux intenables de la fin des années 1990.  

Il suffit de regarder la récession de 93, la première récession sévère depuis la guerre : le taux de pression fiscale baisse sous Balladur. Juppé se saisit d'une matraque fiscale que complète Jospin. Dès que la reprise se sera un peu établie entre 1997 et 2000 (en dépit de l'accident monétaire de 98) la pression fiscale explosera, dépassera les taux d'avant crise et  provoquera la querelle dite "de la cagnotte".

Le petit jeu politicien débile sera à droite de prétendre être responsable de la baisse de la pression fiscale et à gauche de prétendre qu'on a des marges de manœuvres.

2. Le leurre de la notion de "dépenses fiscales" ou de "niches fiscales".

La gouvernement a jusqu'ici  choisi d'augmenter les impôts de trois façons :

- en créant une nouvelle assiette fiscale : l'impôt sur les revenus du capital devant théoriquement financer le RSA

- en multipliant les taxes et le facturant de plus en plus cher les actes faits par la puissance publique ou les entreprises qui en dépendent.


- et en "limant" les niches fiscales.

L'ensemble de ces mesures sont supérieures en coût pour le citoyen moyen que les réductions de la loi TEPA qui étaient très ciblées et touchaient des circonstances (le petit héritage à la mort d'un parent, les intérêts d'emprunt).

Il faut au passage dénoncer avec force la notion de "dépenses fiscales" qui est le langage intéressé de la DGI, pas celui de la vérité.

A chaque création d'impôts nouveaux on limite sciemment l'assiette de l'impôt pour le rendre "acceptable". Lorsque l'ISF a été créé on a tout de suite vue que si on mettait le patrimoine artistique dans l'assiette il disparaîtrait aussitôt à l'étranger. On l'a donc exclu de l'assiette de l'impôt. On a eu raison. L'exemple de l'immobilier de luxe qui a été vendu pour 50 à 60% à des étrangers et des actions françaises, également détenues maintenant pour 60% par les étrangers, montre suffisamment qu'un impôt sur le patrimoine ne peut se boucler que par la vente d'une partie du patrimoine à l'étranger.  En terme fiscal, l'exonération des œuvres d'art est une dépense fiscale ! Alors qu'il ne s'agit que d'une mesure de sauvegarde.

D'autre part la pression fiscale est tellement énorme en France qu'on ne peut chercher à résoudre un problème criant qu'en la réduisant ponctuellement là où elle étouffe toute solution. Considérer ces mesures de sauvegarde comme des "dépenses fiscales" et des niches est absurde. Les éliminer revient à rétablir les difficultés qu'on avait essayé de limiter.

On comprendra que le vrai problème est le niveau ahurissant de la pression fiscale en France qui paralyse la pays. Au lieu d'augmenter la pression globale et de mettre un filet protecteur  là où cela crie le plus fort, il vaudrait mieux réduire globalement la pression fiscale. Mais les hommes politiques aiment bien créer de nouveaux impôts et de nouveaux dégrèvements. Ils montrent ainsi leur pouvoir à la montée et à la descente. Et ils tuent le pays !

3. Un niveau de pression fiscale aberrant.

On a l'habitude de mesurer la pression fiscale en rapport avec l'ensemble des prélèvements au PIB. On aboutit selon la conjoncture à des taux situés entre 42 et 45%.  Il faut rappeler encore et encore l'apologue de l'esquimau et de l'homme armé.

Un esquimau sur sa banquise pêcha un poisson. Pib de l'esquimau (évalué en poisson) =  1.
Un homme armé vit a passé et dit : "je suis l'état et je te protège!".  Il prit le poisson.
L'Insee des esquimaux compta :
- production pêcheur = 1
- prestation de sécurité de l'Etat = 1
- pression fiscale = 1 sur 2 = 50%.
Quand l'état prend tout et le dépense pour lui-même, le taux de prélèvement est de 50%.

Nous pouvons maintenant apprécier un taux de 45% !

Il veut dire que l'Etat prend "presque tout".

Nous avons démontré déjà plusieurs fois que les taux de prélèvements actuels par groupes sociaux sont à peu près les suivants :

- Travailleurs à 2.000 Euros par mois : 60% de prélèvements
- Travailleurs à 5.000 Euros par mois : 70% de prélèvements
- Indépendants, entrepreneurs, dirigeants à 15.000 euros par mois : 80% de prélèvements.
Selon la composition du patrimoine , l'ISF vient aggraver  en moyenne de 9% du revenu la situation (avec le bouclier actuel). On aboutit dans le dernier groupe  en moyenne à un prélèvement de près de 90% avec des pointes au dessus de 100% pour quelques dizaines de milliers de personnes.

Autre chiffre qui permet de confirmer cette réalité : les dépenses publiques sont en France depuis 1993 légèrement supérieures à la valeur ajoutée des entreprises privées du secteur marchand. Si on prend uniquement les prélèvements on abouti à un taux de 80%.

C'est un système intenable qui contribue à la stagnation de longue durée qui accable la France depuis 74 et l'explosion de "l'énarchie compassionnelle". 81 et le sinistre Programme Commun de Gouvernement ont achevé le travail.

4. Une pression fiscale habilement "cachée".

Comment a-t-on pu aboutir à un tel niveau de pression fiscale, spoliateur à l'extrême, sans révolte générale ?

La solution est très simple : complexité, concentration, habillage.

Tous les prédateurs qui prennent beaucoup d'argent pour peu de retour le savent bien : tout doit être si complexe et obscur que personne ne pourra voir la réalité. Le droit fiscal est d'une complexité effarante. Personne ne peut le dominer sans se spécialiser dans un secteur très délimité. Il devient donc impossible de faire des calculs simples présentant pleinement les réalités : trop de cas particuliers et de subtilités découragent.

Les impôts voyants et qui font mal sont tous concentrés sur une partie très étroite de la population. 600.000 personnes en France, soit moins de 1% de la population, paient 80% de l'Impôt sur le revenu et la totalité de l'ISF. Les autres ne voient pas ces impôts et n'imaginent même pas ce que paient "les riches". On leur laisse penser qu' "ils", les salauds, ont les moyens de se défiler pour ne rien payer. L'affaire Bettencourt ne va pas arranger les choses.  "Ils peuvent payer".  En vérité seuls une poignée de très grandes fortunes a l'entregent et les moyens d'organiser leurs relations aveec l'Etat. Les autres sont matraqués.

Pratiquement tous les autres impôts sont pour la grande masse des ménages invisibles et indolores.
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Les prélèvements salariaux et patronaux sur les salaires ?  Ils sont énormes puisque l'entreprise donne en moyenne aux prédateurs étatiques 60 quand elle donne 40 au salarié.  Le salarié qui raisonne toujours en "salaire net" ne voit pas que ce qu'on lui donne est inférieur aux prélèvements auxquels il donne lieu. Le salarié crie : regardez mon salaire de misère ! Il ne se rend même pas compte qu'on a fait disparaître plus que l'équivalent de son salaire en charges. On a essayé de l'avertir en mettant la somme sur sa feuille de paie. Cette dernière est devenue tellement longue et complexe qu'il ne peut rien y comprendre. Le double fiscal du salarié français est une de ces réalités fondamentales que la presse et le monde politique tait avec obstination.  

La TVA ? C'est avec les prélèvements sociaux sur le salarié et l'entreprise, l'impôt principal. Il est invisible dans les prix de vente. Personne n'a le sentiment de le  payer, sauf l'entreprise qui doit faire à ce titre des paiements gigantesques. La peur de ne pas y parvenir est la hantise de tous les patrons de PME. Mais les bons esprits ont dit : vous n'êtes que collecteur ; vous ne payez pas ! C'est le consommateur qui paie. 

Les deux impôts principaux ainsi cachés et les autres concentrés sur 1% de la population on peut monter la pression fiscale sans trop de crainte de révolte.

Bien sûr les plus riches partent. Des milliards d'Euros en capital ou en revenu ont ainsi quitté la France. Pas un grand artiste, ou grand sportif, qui ne soit résident à l'étranger. Certains vont même jusqu'à venir crier "vive l'impôt" en France. pour bénéficier de l'ondoiement du politiquement correct fiscal majoritaire dans la presse. Alors les dégâts sont minimisés et on prétend qu'il s'agiit d'un phénomène marginal et immoral qui ne mérite pas de considération.  Et l'investissement national dans les entreprises s'effondre.

(à suivre)

Commentaire
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