La crise est-elle causée par la stagnation des salaires

La grande question des relations entre salaires et crise mérite quelques éclaircissements. Elle donne lieu à des analyses qui sont souvent  fuligineuses.

  Le meilleur exemple est sans doute le texte suivant extrait d'une interview  au journal Le Monde d'un certain Gérard Cornilleau, directeur adjoint au département des études à l'OFCE, centre de recherche économique de Sciences Po.

" Dans quelle mesure la question des salaires a-t-elle pu contribuer au déclenchement de la crise ?

Le facteur de crise, c'est le fait que ces dernières années, les hauts salaires ont fortement augmenté, et cela à peu près partout dans le monde, au détriment des bas salaires, particulièrement ceux qui sont juste au-dessus du salaire minimum, mais en dessous du salaire médian, qui ont stagné. Car d'un côté on a donné beaucoup plus à ceux qui avaient déjà de hauts revenus, donc ceux qui logiquement ne pouvaient pas consommer beaucoup plus que ce qu'ils consommaient déjà – il y a un moment où la consommation sature, pour caricaturer, il est rare que celui qui a déjà une Porsche, en achète une seconde et encore moins une troisième... – et de l'autre on a rationné la consommation de ceux qui en avaient un fort besoin.


Aux Etats-Unis, on a cru un temps avoir résolu la quadrature du cercle en disant "pour consommer, les bas salaires peuvent s'endetter"et c'est comme ça que ce système bancal a été maintenu en vie par des crédits à la consommation et des taux d'intérêt peu élevés. Le résultat de ces logiques, c'est d'un côté des hauts revenus qui ne sachant plus quoi faire de leur argent se mettent à spéculer, et de l'autre des bas revenus qui se sont surendettés pour pouvoir consommer. C'est la crise de 2008. Ce qu'elle a démontré c'est qu'on avait gaspillé de l'argent à donner plus à ceux qui avaient déjà trop. Et qu'il fallait absolument remettre en ordre la hiérarchie salariale pour qu'elle soit efficace du point de vue économique."

Nous citons entièrement parce que ces raisonnements se retrouvent à peu près partout sous cette forme chez les tenants de cette doctrine. 

La première thèse est que la stagnation des salaires est Le facteur de la crise.

C'est la thèse copie conforme qui s'était également développée lors de la crise de 29.  Le déplacement des revenus vers les hauts salaires qui épargnent plus détruit la demande globale et détruit  la croissance. Tout cela a un gentil parfum de keynésianisme élémentaire avec un semblant opportun de macro économie. Celui qui veut être convaincu à de quoi s'accrocher aux branches.

En vérité cette "explication" n'a strictement aucun sens.

D'abord parce que les rémunérations  basses et moyennes n'ont pas baissé. En France, de coups de pouce au Smic en coups de pouces au Smic,  les basses rémunérations ont très fortement augmenté. Elles ont même tellement augmenté que les jeunes, les femmes, les immigrés, les vieux et d'une façon générale tous les faibles sen sont trouvés progressivement écartés en masse de l'emploi. Il a fallu le transfert sur la dette d'une partie des charges sociales sur les smicards pour enrayer (d'une façon peu durable) l'effondrement structurel  de l'emploi dans ces catégories. Evidemment pour le groupe immédiatement supérieur qui n'a pas bénéficier de ces mesures, la pilule a été dure à avaler. Leur coût relatif est devenu plus important.


Ensuite parce que le revenu des personnes au travail a continué à augmenter. On parle de "stagnation" mais c'est totalement faux. J. Marseille a donné les chiffres et a montré que dans les "trente piteuses" les salariés avaient augmenté leur revenu net de l'inflation  (je cite de mémoire) autour de 25%.  

Enfin parce qu'il y a les transferts. Environ un tiers du PIB français est transféré. Pour les hautes rémunérations, les taux d'imposition moyen sont de l'ordre de 80 à 90%, si on n'emploie pas les dispositifs d'évasion fiscale ou les niches fiscales qui sont une dépense  forcée. (au sens qu'on ne l'aurait pas faite s'il n'y avait pas la sucette fiscale).

Si on raisonne en salaire net des transferts et impositions, choses que personne ne fait jamais naturellement, la situation n'est plus du tout celle que ce M. Cornilleau décrit.

Tout cela dérive de la conception marxiste d'un capitalisme dont le taux de profit baisserait de façon tendancielle et provoquerait naturellement  la crise finale imposant le passage au socialisme, théorie qui s'est trouvée contredite systématiquement par l'histoire.


Si on regarde la situation proprement française on constate que le revenu disponible des salaires a été amputé par les cotisations sociales et les impôts locaux (que l'on pense à la taxe d'habitation à Paris) , et que cette perte a été partiellement  compensée par les transferts eux même financés par la dette.


Si on prend la Chine, l'Inde, le Brésil, etc.  alors on ne constate aucune baisse des salaires médians mais au contraire une forte hausse.  Un exemple : un informaticien roumain coûtait autour de 1000 F par mois en 1980. Aujourd'hui il est à plus de 1000 euros. En trente ans son salaire a été multiplié par 7 !  Situation exactement la même en Inde.  Le "Tata boy" a vu son salaire exploser. Les masses qui sont sorties de la pauvreté ces trente dernières années se comptent par centaines de millions.


On voit donc que les théories de la crise générée par les salaires n'ont strictement aucun fondement autre qu'idéologiques avec des raisonnements d'apparence qui ne résistent pas à la plus légère observation des faits.
Ajoutons que l'on sait parfaitement que la crise est lié à un gonflement insupportable de la dette qui a dépassé les 300 voire 400% du PIB dans trop de pays en même temps que les réserves monétaires étaient stockées de façon mercantiliste en Chine.  


On a donc d'un côté une explication par la monnaie qui est totalement convaincante et conforme aux faits et de l'autre des élucubrations.


Il est absolument certain que si on laisse un pays d'un milliards et quelques d'habitants entrer en compétition sans limite avec le reste du monde avec une monnaie dévaluée, il y aura pression sur les salaires dans les pays riches. Si en plus ce pays ne réemploie pas systématiquement ses réserves de changes pour stimuler sa propre consommation, alors il bloque la possibilité que les produits s'échangent contre les produits, donc le travail contre le travail.

Ce système asymétrique pousse au chômage et à la stagnation salariale en Occident.   Si le pays mercantiliste replace en plus ses réserves dans le pays déficitaire, il y crée un cycle d'endettement supplémentaire qui fait que la consommation des dits pays devient de plus en plus dépendante du crédit.


Les salaires sont une résultante pas une cause de ces mécanismes monétaires.

La seconde thèse est justement de prendre une des conséquences du système monétaire foireux comme le fruit d'une politique volontaire.  


"Aux Etats-Unis, on a cru un temps avoir résolu la quadrature du cercle en disant "pour consommer, les bas salaires peuvent s'endetter".


Qui est ce "on" ?

Où cette volonté s'est elle exprimée et développée en politique consciente ? Et pourquoi seulement aux Etats Unis ?


Le système monétaire pourri qui nous est imposé a provoqué une montée effarante des dettes et en contrepartie de la masse monétaire.   Les taux d'intérêt ont été maintenus si bas par la FED qu'emprunter était facile.  Lorsqu'un taux d'intérêt est presqu'à zéro, beaucoup se précipitent, en particulier les gouvernements, leurs agences de sécurités sociales, les collectivités locales et les entreprises et les particuliers. 

Tout le monde s'est mis à emprunter.  Pas "on". Tout le monde. Pas les Etats unis seulement. Tous les pays.


Le mauvais système monétaire a induit des comportement sous forme de spirale intenable.  Les banquiers ont indexé leurs rémunérations sur cette spirale et ils ont connu d'excellentes années parfaitement injustifiées économiquement et non durables.  La mondialisation a conduit les grosses entreprises à homogénéiser les  rémunérations des cadres supérieures vers le haut en même temps que la surface des responsabilités devenait gigantesque.  On n'a pas le même salaire lorsqu'on vend des chemises à Romorantin ou lorsqu'on dirige le marketing mondial d'Apple !  


La hausse des rémunérations n'est d'ailleurs pas venu du salaire mais des participations au capital. Dans le système monétaire que nous connaissons, l'inflation étant bridée par la concurrence déloyale de la Chine et ses salaires bas doublés d'une monnaie artificiellement dévaluée, la masse monétaire créée est allée sur les biens réels (immobiliers et actions).  Les stocks options ont permis de gaver les dirigeants de la plus value boursière artificielle nourrie par l'accroissement indécent de la monnaie en circulation.  


Cet argent n'a pas été "gaspîllé".  Il s'est fixé dans des valeurs nominales qui n'avaient pas plus de sens que le reste.

Partir dans une lutte des classes entre une classe populaire paupérisée et une classe dirigeante surenrichie n'a strictement aucun sens et ne ménera à rien de bon. 

C'est le système monétaire international qu'il faut réformer. on verra alors que la rémunérations des dirigeants sera liée désormais à la croissance de leur entreprise non à celle de la valeur boursière de leur entreprise ; que les prêts iront d'abord aux investissement utiles et moins à la spéculation. Que la croissance de la  Chine et de l'Inde, comme des autres pays à fort développement potentiel sera une bénédiction pour l'Europe.


L'art de toujours se tromper de cibles et de ne rien comprendre est en France poussé à des hauteurs difficilement dépassables .

Commentaire
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