Quelle réforme du système monétaire international ?

Toute réforme doit être associée à un diagnostic de ce qui ne va pas et à des objectifs clairs. Sinon, il ne s'agit que d'un jeu d'esprit ou d'une aventure.  L'objectif ne peut être que le plein emploi généralisé basé sur la croissance durable la plus rapide possible.

Allons à l'essentiel.

1. La question de la monnaie de réserve internationale

L'utilisation d'une monnaie nationale comme monnaie de réserve internationale a été la source de la plupart des difficultés depuis la fin des années cinquante. Rien ne vient garantir que la nation disposant de ce privilège considérera avoir la moindre responsabilité dans la prospérité générale. Le "benign neglect" dans la gestion du dollar a été de règle depuis le milieu des années 60 et a pris un aspect cynique avec la mandature de Reagan aux Etats unis.  Quelles sont les conséquences ? La nation concernée paie tout dans sa propre monnaie et se moque de ses déficits extérieurs. Ses déficits extérieurs sont structurellement le seul moyen que l'on peut trouver pour créer de la liquidité internationale.

Ce mélange de nécessité et d'arbitraire est par nature explosif.
 
Les pays excédentaires, globalement pour le même montant que les déficits, peuvent replacer leurs réserves dans cette monnaie.  Le déficit extérieur du pays émetteur de la monnaie internationale entraine ipso facto chez lui une création monétaire induite par le ce replacement des réserves.  Les banques centrales des pays excédentaires peuvent à leur choix créer en contrepartie de leur réserve des liquidités banques centrales  provoquant par le mécanisme du multiplicateur de crédit une hausse importante de la création monétaire et de la dette. On se trouve donc dans la situation où une double pyramide de crédits se met en place et le cercle vicieux de la création de dettes s'enclenchent, modéré par des crises périodiques de liquidité et de solvabilité  d'ampleur croissante.

Ces crises sont obligatoires.

Le taux de rendement marginal moyen des placements de la monnaie en excédent baisse et une masse croissante de crédits est aventurée. Une crise de solvabilité se déclenche qui enraîne la méfiance et une crise de liquidité. Ou la monnaie excédentaire part dans une bulle spéculative qui finit par éclater. Ou encore l'inflation galope sans pour autant pousser à la croissance de la production. 1974 et la stagflation, 1993, et l'explosion de la bulle immobilière sur les bureaux, 2000-2001 et l'explosion de la bulle sur les NTIC, 2007 et le blocage des liquidités puis l'explosion du système bancaire : chacun reconnaîtra la force du mécanisme sous jacent à l'oeuvre depuis les années 60. 

Ce mécanisme a d'abord fait sauter les accords de Bretton-Woods (les Allemands n'acceptant plus de créer de la monnaie chez eux du fait de leurs excédents). Ce fut la crise de 74. Finalement il a fait sauté le système mondial  quand la dette accumulée a fini par valoir des multiples du PIB des états. Nous avons le privilège de vivre ce moment intéressant. 


Si on accepte ce diagnostic, la solution devient simple : il faut renoncer à utiliser une monnaie nationale comme monnaie internationale.

Comment faire ? Là les solutions sont extrêmement nombreuses et il serait présomptueux d'en choisir une parmi plein d'autres. Il appartient à la négociation de faire apparaitre le champ des possibles.

L'étape obligée  est le passage par une unité de compte internationale indépendante d'une monnaie particulière. 

Il faut éviter évidemment de l'appeler DTS, chef d'œuvre de terminologie hypocrite. Nous  avons suggéré depuis le milieu des années 90 le nom de  Mondio. Mais nous n'avons pas de vanité d'auteur.  Le Bancor fait une référence obligée à l'or. Le Mondio  laisse plus de portes ouvertes.  

Sur la définition du Mondio plusieurs théories s'affrontent.

Certains pensent que le rôle de l'or doit être central.  Avec lui on est sûr de ne pas être dans la dépendance pour la création monétaire des bonnes idées intéressées des états.   Il est vrai également que le risque mille fois dénoncé d'une pénurie d'or ne s'est pas réellement matérialisé.   Les arguments en sens inverse  sont nombreux, à commencer par l'inégalité de la répartition du stock d'or et de la production d'or, donnant des privilèges  immédiats ou durables à certains,  dont la justification n'est pas évidente.  

En vérité un système de compensation des balances de paiements basé sur l'or est parfaitement possible.  Car l'or en fait ne circulera pas. On n'est nullement obligé de monnayer l'or pour les transactions courantes.  Il s'agit d'unité de compte. L'important c'est que les compensions se fassent dans une unité indépendante des parties et qui les obligent.

On peut  aussi  réserver une place à l'or dans un panier d'actifs comprenant d'autres ressources naturelles comme le pétrole, les métaux rares ou ce qu'on trouvera expédient d'intégrer. Ici encore le but est d'obtenir une référence théorique indépendante de la volonté et du pouvoir d'influence d'un seul acteur.

L'utilisation d'un panier de devises est également envisageable.  L'inconvénient est de fonder une construction administrative sur d'autres constructions administratives. La somme d'arbitraires est nécessairement arbitraire. Le ciment c'est bien. le béton armé, c'est mieux. Mettre quelques poutrelles  dans le mélange ne serait pas du luxe.  Et la discussion sur le panier de monnaies peut être âpre si certains ont des politiques monétaires agressives. Le Yuan sous évalué est mal venu.  Le dollar à l'abandon pose problème.

Notre solution préférée est un mélange entre monnaies et  biens réels dans une alchimie qui laisse la majorité aux biens réels.

L'important est de rendre impossible le replacement des réserves des créanciers vers les débiteurs. Celui qui veut accumuler des réserves ne gagnera rien. Il aura des réserves. Elles ne pourront servir qu'à augmenter la création de monnaie chez lui, stimulant l'activité et les importations , donc pesant en faveur d'un rééquilibrage de la balance commerciale et de paiement.  Le pays déficitaire de son côté ne bénéficiera plus d'un retour automatique de la monnaie internationale  perdue. Obligé de tenir un tant soit peu ses réserves, il sera obligé de freiner ses importations et de rétablir ses grands équilibres.

Ce mécanisme général doit s'accompagner de multiples réformes annexes  comme l'impossibilité pour les banques centrales de conserver dans leur réserve plus qu'un stock outil de devises autre que la monnaie de compte internationale.

Le FMI jouerait le rôle prévu par Keynes : il aide les pays qui se sont laissés prendre dans une glissade monétaire à sortir de la crise de liquidité sans passer automatiquement par une  déflation et une récession.  Rappelons que le but est toujours le plein emploi. Il faut éviter les ajustements durs et traumatisants.

Au total les déficits excessifs comme les excédents excessifs sont bannis. Mais les transitions pour un retour à la normale sont adoucies.

2. La question d es changes flottants.

On peut parfaitement imaginer qu'une fois la monnaie de compte internationale définie, on laisse les monnaies flotter.  Dévaluation  des uns et appréciations des autres auront tendance à s'équilibrer sans remettre en cause la valeur pivot de l'unité de compte.  Les mouvements de capitaux n'auront plus la même capacité à contrarier le retour à l'équilibre des balances  déséquilibrées.

Néanmoins nous sommes favorables  à une système de change fixe et ajustable par consensus.

La raison en est double.

L'engagement des états dans la stabilité de leur monnaie, définie par rapport à l'unité de compte internationale et non pas en comparaison avec un indice des prix  plus ou moins arbitraire, est nécessaire. La monnaie n'est pas uniquement le fait des banques centrales. C'est un bien d'état et sa valeur dépends non seulement des politiques monétaires mais aussi du budget et des politiques économiques suivies.   Le double engagement des banques centrales et des états sous la supervision d'une autorité internationale  est de nature à mieux garantir la pérennité du système. On a vu que les banques centrales, garantes de la solidité de place des banques n'ont pas été capables de juguler l'immense gonflement des bilans des banques  et que les états ont été obligés de sauver le système avec l'argent des contribuables.

Le système qui veut que les banques dépendent exclusivement des banques centrales et de leur surveillance,  et que le seul  objectif des banques centrales soit la valeur interne de leur monnaie par rapport à un indice des prix à la consommation  a montré ses déficiences structurelles.

On ne peut pas le sauver.

L'autre raison est que les changes flottants entraînent l'ensemble des économies dans la spéculation et fondent l'économie-casino.  La double spéculation sur l'objet du contrat et la monnaie dans laquelle il est libellé implique des montages complexes et rapidement indéchiffrables. La plupart des spéculations  faites par des opérateurs suréquipés d'ordinateur et de logiciel ad hoc n'ont aucun intérêt collectif et créent  des mouvements parasites extrêmement dangereux.

On n'a pas le chiffre car il  n'est pas, hélas,  collecté par les instituts de statistiques.  Mais l'impression qui se dégage des discussions avec les opérateurs laissent penser qu'environ 80 à 90% des transactions sur les marchés des changes sont déclenchées non pas par des ordres des acteurs de l'économie réelle mais par des ordinateurs programmés pour jouer sur les écarts permis par la flottaison et la continuité des cotations. La spéculation robotisée n'est pas l'avenir de l'économie mondiale mais une source d'inquiétude. Comme le recommandait Maurice Allais il faut aller  sur tous les marchés vers la cotation unique quotidienne et réduire d'une magnitude la complexité  des contrats.

Le monde a les moyens de casser les reins de la spéculation mondiale sur les monnaies. On peut notamment interdire la spéculation sur le cours des monnaies et les dévaluations. Le "short" sur les monnaies façon Soros avec la Livre sterling naguère doit simplement être interdit. Ce genre de mesures ne doit pas faire peur.   

La question qui demeure est la faisabilité géopolitique  d'un schéma allant dans le sens de nos préconisations.

Les Etats-Unis  ne veulent pas perdre le privilège du dollar qui signerait pour eux une double défaite économique  et politique.  Les Etats Unis jouent largement les gendarmes du monde avec du dollar galvaudé.  Sans dollar ils sont impuissants à continuer dans ce rôle. L'Occident qui a délégué aux Etats Unis leur défense sont-ils prêts à changer de politique ? Les Etats-Unis sont ils décidés à abandonner ce rôle ?  Ces questions ne sont pas minces et pèsent sur l'acceptabilité de nos solutions.  On voit que partant de la monnaie on aboutit à rééquilibrer l'OTAN et ses financements.  La question de la monnaie a  des ramifications surprenantes.

La Chine est-elle prête à abandonner sa politique mercantiliste d'accumulation de réserves  tout en freinant  son expansion intérieure ou en la gérant avec des stop and go perturbateurs ?  Dans un accord général elle serait doublement obligée de changer de politique : elle ne pourrait plus accumuler des excédents imbéciles ; elles ne pourrait plus garder une monnaie dévaluée de façon caricaturale.  Elle doit être mise devant cette réalité incontournable : pas d'accès au monde sans respecter les autres et se plier aux  règles communes  !  Le monde a le pouvoir de faire plier la Chine.  Si le monde établit un droit de douane augmenté de 50% sur les produits exportés par la Chine et interdit les mouvements de capitaux vers la Chine,  après avoir redéfini leur propre système de relation monétaire sur une base très dévaluée, la Chine fait quoi  ?  Elle perd ses réserves et le moteur de sa croissance.  Et la face.

L'Europe  est très mal placée dans la nouvelle donne. Son schéma d'organisation est défaillant. La monnaie est extra nationale, fondée sur un seule objectif de niveau des prix à la consommation,  et il n'y a pas de gouvernance économique européenne.  La réforme que nous proposons met à nu ces carences. Il est vrai qu'elles sont tout aussi à nu dans le système actuel.  Mais s'il faut une conjonction harmonisée des politiques d'état et de banque centrale pour maintenir stable la valeur externe  d'une monnaie , le cadre européen  actuel est totalement antinomique.

La stabilisation générale des monnaies dans le système proposé serait pourtant  très utile à l'Euro, un ilot de fixité dans un océan de fixité vaut mieux pour cette monnaie qu'un ilot de fixité dans un océan de flottement.

La défense extérieure d'une monnaie étant l'affaire conjointe de la banque centrale et de l'état, l'Europe ne saurait échapper, sauf à en finir avec l'Euro, à une forme de gouvernance  économique européenne. La gestion par les normes ne suffit plus. C'est l'ensemble des moyens étatiques qui sont mobilisés dans une politique de défense de la valeur externe d'une monnaie.

En contrepartie l'Europe cesserait d'être" l'homme malade" du monde et victime expiatoire  du combat Chine- Etats-Unis.  Les produits devant finalement s'échanger contre des produits , son industrie cesserait d'être  perdante.

Au total ces réformes donnerait un monde fondé sur la parité des états et non plus sur l'affrontement des grands sauriens.

Elles permettraient de restaurer presqu'aussitôt le commerce international.  

Elles éviteraient le gonflement indéfini des endettements.

Elles mettraient fin à l'économie casino. 

Elle interdirait les grands déséquilibres commerciaux et financiers internationaux.

On notera qu'on ne revient en rien en arrière. Il n'y a pas régression vers un état antérieur mais construction de l'avenir.

Ces débats devraient former le cœur des discussions internationales et être au centre des débats nationaux.

On vérifiera qu'on en est loin. Et il est triste d'avoir à compter sur la loi d'airain de l'échec pour voir ces idées avancer.  Rappelons que nous entrons dans la quatrième année de crise.

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.



Commentaire
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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