La crise a-t-elle ébranlé la pensée économique dominante ?
Avant la crise prédominait et depuis très longtemps, probablement depuis l'après guerre en en tout cas dans les années soixante, j'en témoigne, l'idée confiante que le monde saurait faire face à une crise "de type 1929". En mêlant le message de Keynes et celui de Milton Friedman, on pensait que la crise de 1929 était surtout due à des erreurs majeures de politique économique et monétaire :
- Il ne fallait pas attendre que la reprise soit "round the corner" mais au contraire relancer l'économie par les investissement pour maintenir la demande globale quitte à aller assez loin dans les déficits
Il était impératif que la banque d'émission relâche les disciplines et compense la monnaie de crédits détruite par la crise par une libération de liquidité primaire et qu'on évite à tout prix la faillite des banques et la disparition des dépôts et de l'épargne qui leur est confiée.
Si les états évitaient le chacun pour soi, les dévaluations compétitives et l'enfermement dans une politique protectionniste, alors le choc serait surmonté sans dommage.
Ces certitudes sont ébranlées. On a vu que la défense des banques a bien eu lieu. Les déposants à quelques exceptions près n'ont rien perdu. Mais au prix d'un transfert vers les états et la banque centrale d'une grosse partie des dettes.
Les plans de relance ont enrayé l'effondrement vertical du PIB mais n'ont pas empêché une baisse importante. La production, notamment industrielle et les échanges ont été gravement atteints. La conjonction de la récession, et donc de recettes fiscales en forte baisse et d'un accroissement de la dépense, a crée un gouffre budgétaire financé par l'emprunt et donc un gonflement intense de l'endettement des états, alors que la cause de la crise était un sur endettement général.
On a vu la dépense de certains états dépasser de plus de moitié leurs recettes.
Le problème, c'est que pendant quarante ans les états ont pratiqué un keynésianisme larvé qui a vu la part de la dépense publique dépasser la moitié du PIB, là où elle s'établissait au quart un siècle auparavant.
La France a malheureusement joué ce jeu là de façon aventurée. En déficit permanent depuis la récession de 1974, la France avait déjà accumulé une dette d'état intolérable. Elle n'a jamais joué le jeu des pays qui à la suite de la crise de 93 avaient mis un peu d'ordre dans l'exaltation dépensière générale.
Ceux des pays qui avaient cru devoir leur croissance essentiellement à la finance, comme l'Islande, à l'immobilier comme l'Irlande, certains pays baltes l'Espagne et le Portugal, ou aux deux, comme l'Angleterre, se sont retrouvées à la fois avec des dettes privées impossibles à rembourser et des déficits publics difficiles à refinancer. Ne parlons pas de la Grèce qui a cumulé tricheries d'état et n'importe quoi démagogique généralisé.
Le résultat est aujourd'hui clair : compte tenu du poids des dettes privées et publiques cumulées personne ne voit plus de solutions à court terme. La perspective d'une crise longue, de 6 à 10 ans, comme la crise de 1929, s'installe.
Certes l'effondrement total du système de production et de l'organisation bancaire a été conjuré. On n'a pas connu des baisses de 40% du PIB ou des chômages à 25% de la population active. La production industrielle s'est effondrée tout de même de 20% à 30% dans bien des pays occidentaux et le commerce mondial après avoir brusquement décru, ce qui ne s'était jamais vu depuis la guerre, n'a pas refait le terrain perdu trois ans et demi après le début de la crise.
Et la peur est partout.
Pourquoi ? On a magistralement traité la crise de 1929, sans se rendre compte qu'on n'était plus en 1929.
La crise de 1929 est la fille tardive de la guerre mondiale de 1914 et des énormes déséquilibres politiques et économiques qu'elle a créés. L'écart était trop grand entre une Amérique enrichie et concentrant tout l'or du monde et une Europe convulsive et ruinée. Le retour à un certain ordre économique et monétaire international s'avérait très difficile. La guerre de 14 était d'un nouveau genre. : totale, mondiale, industrialisée. On ne pouvait pas en sortir par le versement d'un tribut comme celui payé par la France à Bismarck.
On a voulu revenir trop vite à une orthodoxie monétaire, basée sur l'étalon-or. La finance était concentrée aux Etats-Unis. Un Gold exchange standard à deux monnaies de références, le dollar et la livre sterling, s'est mis en place qui était intrinsèquement pervers. L'énorme bulle financière qui s'est développée aux Etats unis a fini par exploser. Personne n'a compris ce qui se passait. Et d'erreurs en erreurs la dépression s'est généralisée.
Notre Grande récession se produit dans un contexte extrêmement différent. Il n'y a plus de guerre mondiale depuis 65 ans. La guerre froide a disparu depuis 20 ans. Le monde s'est mis au commerce pacifique et régulé par des instances internationales ad hoc. De "miracles" économiques en miracles" économiques à peu près toutes les nations ont vu leur richesse fortement augmenter, y compris celles qui avaient connu la pauvreté socialiste de longue durée.
Et voilà qu'au lieu de connaître le bonheur d'une croissance stable et de longue durée, ce monde apaisée sombre dans la récession la pire depuis 1929 ! Et voilà que la vulgate économique consensuelle née de 1929, enfin appliquées en vrai, aboutit à une impasse !
On comprend la perplexité des élites et des économistes de cour qui les éclairent. Non seulement il ne devait y avoir de crise, non seulement la crise n'a pas été prévue mais les moyens de faire face à une récession dans lesquels on avait placé la plus grande confiance s'avèrent plus que problématiques.
La perplexité n'est pas de mise. Si le système a explosé c'est qu'il était voué à exploser. Ceux qui avaient localisé précisément les failles du système économique et financier savaient qu'il exploserait et l'on d'ailleurs écrit. Pensons à Maurice Allais et son "Ce qui doit arriver arrive". les autres n'ont rien vu venir et s'avèrent totalement impuissants à guider la sortie de crise.
La crise remet en cause la confiance naïve qui s'était installée depuis les trente glorieuse dans la capacité de la sciences économiques de guider utilement les politiques pour maîtriser une récession grave et l'empêcher de tourner à la récession. Trois ans après la première explosion, le blocage du marché interbancaire de juillet 2007, deux ans après l'explosion de Wall Street et la faillite généralisée du système financier mondial, un an après la première crise de l'Euro, on en est toujours à craindre la prochaine explosion financière et à constater des niveaux de chômage intenables, des endettements intolérables, des échanges qui ne redémarrent pas.
En revanche la crise n'a toujours pas remis en cause les pensées économiques fausses qui ont permis la création d'un système taré dont les graves infirmités ont causé la crise et empêchent la sortie de crise.
Comme en 1929 où on a cherché à sortir d'un système avec des idées décalées de la réalité. On croit pouvoir guérir la crise avec un référentiel idéologique totalement décalé par rapport aux réalités et aux besoins.
Le système de monnaies nationales artificielles, gérées par des administrations extra politiques inféodées au système bancaire, dont le cours respectif serait flottant dans un monde sans aucune régulation financière, a explosé.
En 1929, c'était un système à la va comme je te pousse lié aux désordres d'après qui avait fini par craquer aux coutures. Là c'est une système voulu et construit dans la durée qui s'effondre. On a voulu et construit un monstre inefficace et dangereux. Pendant quarante ans ! A chaque crise, chaque fois plus grave, on a cherché à ne pas voir ce qui venait du système. On a inventé des explications fumeuses et parfois injurieuses. Rappelons nous les "cronies" de 1998 !
Aujourd'hui le roi est nu. Le système des changes flottants et des monnaies nationales totalement artificielles gérées par des banques centrales indépendantes est mort au champ du déshonneur de la pensée économique inconsistante.
Reste à signer l'acte de décès.
Didier Dufau pour le Cercle des économistes E-toile
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Votre démonstration est imparable. Mais elle ne dit rien du système de change et de fondation de la liquidité mondiale qu'il faut substituer au chaos politique actuel. <a href="http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2010/4/25/Le-tabou... expliquez très clairement qu'économistes et politiques sont en situation de neutralisation réciproque</a>. Il faut donc reconstruire l'économie politique, ni plus ni moins et en urgence. Serait-il possible de discuter avec vous de <a href="http://sycomore.site90.com/Pdf/IrlandeMonnaie.pdf&... propositions ?</a>
Nous travaillons sur un texte en ce sens qui sera publié dans les jours prochains. Notez tout de même que pour nous il n'y a pas une solution unique qu'on pourrait sortir toute neuve de son étui mais un ensemble de solutions possibles. L'important à ce stade n'est pas d'obtenir un design d'un système parfait mais d'obtenir d'une part la prise de conscience sur les points clés qui doivent faire l'objet d'une réforme pratiquement obligatoire pour sortir du marasme actuel et d'autre part les grandes lignes des solutions possibles. C'est un processus qu'il faut enclencher. S'agissant d'un accord international il faut naturellement passer par des étapes. La première urgence est de bien comprendre pourquoi on ne peut pas continuer dans les schémas actuels. Tant qu'on espèrera avoir réglé les difficultés en ne faisant rien que passer des pactes d'urgence à chaque voie d'eau , rien ne sera possible. La seconde est d'obtenir une certaine unité de diagnostic. Alors les discussions d'experts sur les modalités pourront commencer. Et là, il y a du détail. Beaucoup de détails. Et pas mal de variantes possibles.
DD