Les monnaies et les changes, ce serait important après tout !
Alors que 30 mois se sont écoulés depuis le blocage du marché interbancaire, en juillet 2007, et 18 mois depuis la chute de Lehman-Brothers, nous sommes dans cette période trouble où des éléments de reprise existent mais où l'image globale est celle de la stagnation et l'inquiétude. On voit bien que les Etats sont au bout des solutions faciles, celles qui consistent à lâcher les déficits publics et la création de monnaie par les banques centrales. Le chômage continue à croitre. Les faillites s'annoncent, masquées seulement par les créations d'entreprises individuelles plus ou moins artificielles.
L'absence de vraie reprise du coup stimule les réflexions. Et on commence à poser les vraies questions qui auraient du l'être dès le départ et auxquelles on s'était bien décidé de ne rien dire.
Un bon point : on ne parle plus des subprimes. Comme nous l'avons toujours dit la faillite des prêts subprimes est un élément du décor, pas une cause. On voit bien aujourd'hui que la sortie de la crise mondiale ne passe en aucun cas par la résolution des problèmes associés aux subprimes. Les subprimes étaient un symptôme pas la cause de la maladie. Curer le marché des prêts hypothécaires américains n'a pas fait avancer d'un pas la solution de la crise mondiale.
Si on ose le dire de cette façon : l'hypothèque que faisait peser les subprimes sur la compréhension de la crise est levée ! Ce n'est pas trop tôt. On peut aborder maintenant les vraies questions et les vraies solutions.
Un premier constat est l'évanouissement de la crédibilité du modèle implicite sur lequel l'économie mondiale est bâtie. Après le détachement du dollar de l'or, et une phase d'une dizaine d'années de chaos, l'idée s'est répandue, basée, pour simplifier, sur les bribes d'analyses de Milton Friedman, selon laquelle l'économie mondiale bénéficierait d'un abaissement concerté important des barrières douanières (libre échange intégral), de la convertibilité générale des monnaies, de la liberté totale des mouvements de capitaux, à court comme à long terme, du développement des instruments financiers spéculatifs permettant d'assurer "la liquidité" des marchés, et d'une création de monnaie de base totalement administrative assurée par des banques centrales le mieux possible isolées des gouvernements et dont l'objectif serait de limiter l'inflation.
Ce système devait apporter la conciliation nécessaire entre impéritie des états (dressés par les marchés financiers en cas de dérapage) et nécessité d'une bonne gestion durable, égalisation des taux d'intérêt à travers le monde, diminution du besoin de réserves de changes, stabilisation des cours des devises, si chaque pays faisait un minimum attention, optimisation de l'allocation des ressources, croissance maximum et plein emploi.
Ce modèle d'organisation n'était en rien fondé sur une modélisation généralement admise par la théorie économique. Il s'est imposé de facto après que les Etats Unis ait cessé de rattacher sa monnaie à l'or. La justification psychologique (plus que technique) est venue après : on a fait semblant de croire que cela avait du sens. D'autant plus que beaucoup de gens y trouvaient leur intérêt, notamment un secteur financier totalement libéré qui considérait, à juste titre, que ce désordre consensuel lui offrait des gains illimités, pourvu qu'on libère la finance de toute contrainte.
Ce système n'a jamais marché. Jamais ! L'évidence en était acquise dès la crise de 93. Elle a été confirmée par la crise de 98 puis la récession de 2001. La crise actuelle n'en est que l'aboutissement logique. Les changes flottants, comme le socialisme, cela ne marche pas. Pas du tout. Ils ont fait passer le monde des trente glorieuses à une croissance mondiale lente et déséquilibrée. Ils ont aggravés le cycle. Ils ont désarmés les Etats, chargés de jouer les nounous auprès des victimes et de renflouer périodiquement les joueurs du grand casino financier. Jusqu'au jour où ils ne pourraient plus y parvenir. On y est.
Alors çà y est ? Les changes flottants sont en ligne de mire et avec eux toute l'idéologie de pacotille et les institutions branlantes qui les accompagnent ?
Vous n'y êtes pas. Vous ne trouverez pas la moindre critique des changes flottants nulle part dans la presse ou dans la littérature économique spécialisée. Le tabou est trop grand. Remettre en cause l'ensemble du pseudo système qui veut que les changes n'ont pas d'importance pourvu que les prix soient stables dans chaque zone monétaire surveillée par une banque centrale autonome et qu'on laisse libre cours à tous les mouvements financiers est aujourd'hui encore IMPOSSIBLE.
Mais l'eau passe partout par les digues effondrées et il faut bien réagir. Le déni de réalité ne peut pas être total. Alors les problèmes de changes passent de plus en plus au premier plan.
L'économiste américain Krugman, le moins mérité et le plus récent des "Nobel" d'économie, signe dans le NYT un article ahurissant qui demande une taxe de compensation de dumping monétaire de 25% contre la Chine. Soucieux de complaire à son maître américain, DSK, le patron évanescent du FMI surenchérit.
La France met en cause l'Allemagne pour ses excédents commerciaux et sa politique de dumping salarial.
L'Allemagne remet en cause la gestion des pays du sud de l'Europe et envisage rien de moins que l'éviction de la zone monétaire des pays à déficit (la Grèce, le Portugal, l'Espagne...).
Le RU malgré une très grosse dévaluation ne s'en sort pas mais se voit contestée d'avoir engrangé un avantage de change indu.
La dévaluation du Won coréen lui a permis de sortir de la crise plus vite que les autres. Le Japon qui a subi à son corps défendant une hausse abusive du Yen n'est pas d'accord pour avaliser cette "agression".
Bref, les changes, finalement, cela compte. L'idiotie qui considère qu'un droit de douane de 5% est un problème et une dévaluation monétaire de 20% un fait indifférent commence à être relevée partout.
L'occident ne veut plus voir son industrie disparaître du fait du mercantilisme de la Chine. Partout l'idée fait son chemin que le commerce international qui a reculé pour la première fois depuis la guerre doit repartir sur des bases moins biaisées par les politiques de change des uns et des autres. Partout les Etats regimbent devant l'impuissance qui les tient si la banque centrale est entre les mains d'une administration indépendante et les changes laissés à la libre circulation de capitaux à court terme.
Les pays qui ne peuvent pas dévaluer sont contraints à une déflation mortelle. Les pays qui ont profité du système pour accumuler des réserves de change sans les remettre dans le circuit économique se sentent menacer de perdre une grosse partie de la valeur de ces réserves. La peur est partout ; la suspicion est au plus haut. Les tensions inter-étatiques prennent de l'ampleur. Rappelons que c'est exactement le schéma de 1929 : les tensions sur les changes sont arrivées deux à trois ans après la crise boursière, et l'absence de toute idée de cohérence internationale a abouti à la grande dépression.
On voit bien la limite des prises de conscience actuelles : faute d'avoir une vision globale, les critiques ne mènent nulle part sinon à des guerres ou des guéguerres économiques. Cette vision globale existe. Nous la développons depuis 20 ans avec une grande constance et sans jamais être désavoué par la réalité des évènements.
Article 1 : la cause des crises à répétition que nous connaissons est principalement monétaire et son moteur est le système de double pyramides de dettes décrit par J. Rueff permis par le rôle central du dollar dans un système de change flottant inepte.
Article 2 : les défauts du système permettent la création de bulles financières qui explosent régulièrement avec un coût démesuré sur les taux de croissance globaux.
Article 3 : la flottaison des changes n'a apporté aucun des avantages que ses promoteurs ont envisagés : les taux d'intérêt n'ont jamais été aussi éclatés ; les réserves de change ont augmenté ; les changes ne se sont pas stabilisés. Au contraire les effets de yoyos monétaires ont accentués la dimension "casino" de l'économie.
Article 4 : l'idée que des monnaies administratives non reliées entre elles par la volonté des gouvernements de contenir excédents et déficits puissent être la source d'une croissance équilibrée est fausse.
Article 5 : la seule solution est la constitution d'un système de changes fixes et ajustables, façon Bretton Woods mais corrigeant les défauts majeurs du système de 1944.
- La monnaie mondiale n'est plus le dollar mais le Mondio, fondé sur un panier de références comprenant l'or, le pétrole etc.
- Les Etats Unis perdent leur statut extraordinaire et deviennent un pays comme les autres. Plus de droit de veto ; plus de passe droits.
- Le FMI a réellement pour but d'éviter les excédents et les déficits extrêmes, même quand ils concernent des grands pays comme les Etats Unis ou la Chine ou le Japon ou l'Allemagne.
- L'objectif central de l'économie dans chaque état et zone monétaire est le plein emploi.
- La finance mondiale n'est pas libre. Les opérations à court terme peuvent être légitimement contrôlées. Le "short" sur les monnaies est interdit. Les fortunes faites sur la spéculation sur les monnaies sont confisquées et leurs bénéficiaires pénalement poursuivis.
- Les mammouths financiers sont cassés. Le but de la finance est de financer l'économie pas d'obtenir des rémunérations spéculatives avec renflouement périodique par le contribuables.
- Si un pays veut jouer avec sa monnaie pour obtenir des avantages industriels indus, des taxes de compensation monétaire automatiques joueront contre eux.
- Les pays qui voudront gagner de l'argent en permettant d'échapper aux règles communes sont purement et simplement exclu des marchés internationaux de capitaux.
En un mot, tous les pays doivent jouer le jeu de la concurrence et du plein emploi. Mais dans un environnement stable et régulé où chaque intervenant partage la même philosophie. S'il s'en écarte, il est exclu en tout ou en partie du jeu international.
La difficulté de ce plan est sa faisabilité politique, non sa cohérence économique. Il faut profiter du désastre actuel pour faire constater que les idées contraires sont totalement inefficaces et ne mènent qu'à des guerres commerciales ou monétaires désastreuses.
Non le dollar ne peut plus être la monnaie du monde. Et alors ? Le privilège du dollar a-t-il été aussi bénéfique que cela aux Etats Unis qui atteint pour la première fois depuis 1929 un taux de chômage supérieur à 10%, qui a perdu l'essentiel de sa production industrielle, qui voit sa classe moyenne se paupériser ? Non la Chine ne doit pas pouvoir mener une politique mercantiliste. Et alors ? Les paysans pauvres ne mangeront pas en Chine les réserves de papier accumulées. Le Japon a-t-il réellement bénéficié de ses réserves accumulées et de son Yen surévalué ? L'Allemagne est-elle si fière de sa consomption démographique qui va la voir disparaître des écrans radar dès 2050 ?
Il faut supprimer les changes flottants, revenir à un système organisé qui permet de pousser les feux de la croissance réelle (non financière) et de viser partout le plein emploi, supprimer les facteurs de déséquilibres, qu'ils soient techniques ou politiques. Les monnaies doivent être rattachées à un point fixe extérieur commun.
Il n'y a pas d'échappatoire.
Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Permettez-moi de venir confirmer encore une fois mon adhésion à votre analyse monétaire de la crise et d'aller plus loin encore. Le non-système des changes flottants est en faillite définitive. Nous vivons les derniers mois de l'économie mondialisée sans unité de compte des engagements internationaux. Comme vous l'avez annoncé, le commerce international va s'effondrer faute de monnaie solide pour comptabiliser les dettes internationales. La croissance mondiale se maintient actuellement par l'accélération vertigineuse de la dette publique des pays développés en contrepartie des réserves de change des économies émergentes. La création monétaire mondiale n'obéit à aucun principe économique. Elle ne permet plus de mesurer un équilibre des échanges internationaux fondé sur l'engagement intelligible du réel possible. Dès cette année, les grands pays développés vont suspendre le service de leur dette publique ou instaurer des droits de douane pour restaurer leur solvabilité.
Il existe une alternative que je crois désormais évidente : créer une monnaie internationale sur un système bancaire international distinct des systèmes et monnaies nationaux. Tout simplement Keynes actualisé par la finance moderne. C'est la seule possibilité qu'il reste de retrouver la valeur réelle des monnaies, des dettes internationales publiques et privées et des équilibres financiers et commerciaux entre zones monétaires ; la seule régulation possible des changes, des crédits et des risques bancaires. Nous sommes à la fin du premier cycle pluriséculaire d'unification politique et économique du monde.
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