Pour ou contre le Fonds Monétaire Européen ?


L'attaque concertée de quelques Hedge-funds contre la Grèce spéculant sur l'impossibilité du pays à refinancer une dette extravagante a soudainement activé une volonté réformatrice insoupçonnée : on songeait donc à créer un FME, un fonds monétaire européen, sur le modèle du FMI mais régional, comme l'idée en est caressée depuis plusieurs années (en fait depuis 1998) par l'Asie. Qui y songeait ? Qui en parlait ? Mystère ! Le diable sort de sa boite à l'improviste mais il a déjà de forts parrains puisque le couple franco allemand serait d'accord. Sur quelles modalités ? On se ne sait pas. Mais ils sont d'accord tout de même !

Nous n'avons nous-mêmes jamais proposé une telle structure. Nous sommes donc un peu pris au dépourvu. Il faut se remettre en cause. A-t-on raté une bonne idée qu'on aurait du imaginer il y a longtemps ? A l'inverse cette nouvelle institution est-elle surtout le fruit le l'impuissance et de l'improvisation ?   

* Pour le FMI, le FME, comme le fonds oriental, est une gigantesque gifle.

Cela fait des années que l'institution est malade. Conçu à l'origine comme une institution de régulation des changes fixes mais ajustables mis en place à Bretton Woods, le FMI était une institution principalement keynésienne. Il fallait éviter qu'une crise financière et monétaire impose une déflation dans les pays soumis à une crise de paiement. Alors on dévaluait un peu, de façon concertée, et, pour éviter que le bénéfice de la dévaluation ne soit totalement perdu, on encadrait assez fortement la politique de l'Etat défaillant pour que le sauvetage ne devienne pas une habitude.  Rappelons ce fait majeur : le FMI avait pour but d'éviter la déflation.

Le passage aux changes flottants a supprimé tout rôle utile au FMI. Si les changes flottent, la dévaluation est quasiment automatique en cas de difficulté de paiement et la messe est dite.  Comme une organisme public ne meurt jamais et que la soupe y est plus que bonne, personne n'a voulu acter la mort clinique du FMI qui s'est survécu à lui même dans l'artifice et le faux semblant. Le coup de grâce a été porté par la création de l'Euro.

Le FMI contrairement à ses statuts, avait renoncé  depuis longtemps à s'occuper des grands équilibres et donc des déficits américains et des excédents japonais et chinois. L'Europe cessait d'être une terre de mission. Restait le tiers monde. C'est comme cela que le FMI est devenue une Bird bis. L'une donnait aux pays impécunieux de quoi investir et l'autre les devises nécessaires pour participer au commerce international, mais moyennant des modalités de garde chiourmes. Comme la vocation de ses personnels était de remettre dans le droit chemin des pays ayant un peu dérapé, on a considéré que le sous développement était un dérapage qu'il fallait traiter avec la même dureté. Le FMI a fini par être vomi par ceux auxquels il proposait ses services.  

Une autre vocation résiduelle était d'aller au secours de pays qui avaient décidé de conserver des changes plus ou moins fixes et dont le "peg" menaçait de voler en éclat. Jamais personne n'a défendu le système du "currency board" dans aucune institution  internationale. Ce système exotique avait été retenu par l'Argentine avec des résultats d'abord intéressants. Mais la hausse du Dollar et la dévaluation du Real avait fini par faire exploser le système. Le FMI s'était cru autorisé à venir "au secours" de la monnaie devenue surévaluée qui provoquait une déflation terriblement douloureuse... en faisant de la surenchère dans la douleur ! On a vu le résultat. Quand rien n'a de sens, rien ne marche. Accumuler les contradictions en faisant jouer les uns et les autres à contre rôle est absurde. Ce qui est vrai pour l'Argentine l'est également pour tous les pays asiatiques pris dans le tourbillon de la crise du dollar de 1998.

On a alors vu s'accélérer la valse des directeurs du FMI : depuis la démission de M. de la Rosière ("Sœur Theresa" dans le langage des initiés), tous les directeurs ont été des politiques faisant un petit tour valorisant et rémunérateur à la tête du FMI en attendant des positions plus honorifiques encore dans leur pays d'origine.  DSK fait partie de ce Wagon.

La crise actuelle a en apparence donné plus d'importance au FMI. On a augmenté les droits de tirage. On lui demande un peu d'expertise dans la définition des nouvelles régulations.  Dans la pratique son rôle est resté cantonné aux pays assommés par la crise comme l'Islande (dont le FMI n'avait rien dit au temps des folies), aux pays émergents (pour qu'ils aient quelques devises pour continuer à participer au commerce mondial) et aux pays ayant choisi de conserver une certaine fixité de leur change, notamment parce qu'ils étaient dans l'espérance d'intégrer l'Euro. C'est ainsi qu'on a vu des pays de l'est plongé dans les griffes du FMI et d'une impitoyable déflation, mais sans dévaluer ! Le contraire même de la vocation initiale de l'institution !  

La Grèce entre désormais dans la catégorie des pays dont l'Etat est de moins en moins capable de se refinancer.  Plutôt que d'emprunter sur le marché pourquoi ne pas demander de l'argent au FMI qui en a trop et ne sait qu'en faire ?  D'autant que les Allemands ont toujours fait la leçon aux "pays du club med" et ne veulent pas payer un point de base de trop sur leurs propres emprunts.

Les Européens veulent un bras armé pour imposer des mesures déflationnistes à la Grèce tout en assurant la survie de l'ensemble de l'Euroland, sans évidemment que le FMI ne vienne mettre ses gros doigts dans le système.  Comme toujours l'Europe a mis le chariot avant les boeufs et on s'aperçoit bien que l'absence de gouvernance économique globale, comme celle d'une institution supranationale de contrôle et d'intervention était une faiblesse structurelle.

Si le FME est effectivement créé cela signifiera le cantonnement définitif du FMI a un rôle de club de riches, discutant du monde autour de quelques statistiques, et donnant chichement des leçons à quelques pays en perdition pour qu'ils ne sortent pas définitivement de la mondialisation.

Ubuesque situation de celle de DSK, européen chargé de défendre la vocation incertaine du FMI contre l'Union Européenne !  Mais l'ubuesque a commencé lorsqu'on a conservé le FMI tout en tuant les autres parties du pacte de Bretton-Woods !  Un canard qui a la tête coupée peut courir encore longtemps en battant des ailes. Mais quel triste spectacle !

* Pour l'Euroland, le FME se trouvera dans la même situation que le FMI vis à vis des pays qui souhaitent conserver une monnaie fixe : il ne pourra aller que dans le sens de la déflation autoritaire puisqu'il n'y a plus de possibilités d'agir sur la monnaie.  Si la zone euro avait été une mini zone de type Bretton Woods avec des changes fixes mais ajustables à l'intérieur de la zone, un FME aurait eu du sens. Il aurait fourni des réserves de changes pour atténuer le choc tout en pilotant un retour au sérieux des finances publiques du pays fautifs.  On se rappelle que lors de la campagne pour le traité de Maastricht tous les bien pensants européens avaient expliqué qu'une monnaie commune  devait être unique et fixée pour la continuation des temps.  Les distorsions à l'intérieur de l'Euroland ne peuvent donc que se régler par la déflation.

* Pour l'économiste la vraie question est celle de savoir si la déflation est une bonne politique à recommander. Notre réponse est évidemment NON.

L'économie a pour vocation la croissance et le plein emploi. La déflation ne permet JAMAIS de trouver le chemin de la croissance et du plein emploi. Nous sommes donc totalement opposés à la déflation comme mode de fonctionnement de tout ou partie d'une zone monétaire. Nous sommes aujourd'hui en Europe dans une situation de fuite en avant totalement négative et socialement dangereuse. Les institutions européennes finiront pas être aussi méprisées que ne l'est aujourd'hui le FMI.  

Nous condamnons cette fuite en avant dans la stagnation et la déflation.

* La vraie solution est ailleurs.

Elle est au retour d'un système global de changes fixes et ajustables, avec l'assistance d'un FMI rénové.

Le FMI doit être égalitaire et non plus censitaire. Le dollar doit perdre sa vocation de monnaie de réserve ; les réserves doivent être poolées et non plus gérées pays par pays avec une stérilisation de capitaux qui seraient utiles ailleurs. Il doit être régionalisé avec quatre cinq fonds continentaux: européen, nord américain, sud américain, africain et asiatique.  Le FMI central joue un rôle de fonds de fond et joue avec la monnaie de réserve mondiale, le Mondio, monnaie centrale dans laquelle l'ensemble des monnaies sont définies selon un change fixe mais ajustable.  L'objectif global est d'obtenir la meilleure croissance globale possible avec un taux d'emploi optimisé.  Les pays qui dérapent sont d'abord traités par le fonds continental de rattachement sous la supervision générale du FMI central.

* En imaginant qu'on garde à l'esprit la mise en place à terme de notre plan, comment les mesures envisagées viendraient-elles s'imbriquer ?

Notons tout de même et en préalable que s'il avait été adopté en 1971, ce plan aurait sans doute évité que l'on songe à créer l'Euro. Mais bon !

Une zone d'unité monétaire dans un système général  de changes fixes est plus facile à gérer. Il est peut probable qu'un Fonds monétaire européen (Euroland) soit nécessaire s'il y a un fonds monétaire continental européen.  Il serait donc souhaitable que le FME Euroland soit étendu à l'ensemble de l'Europe hors Euro.

Cela souligne au passage que l'instance de pilotage de l'Euro ne peut pas être un FME mais une structure politique de gouvernance de l'Euroland à définir puisqu'on a oublié de le faire.

Puisque les changes seraient fixes l'obsession de la BCE pour une monnaie "forte" serait très amoindrie.  On pourrait donc mettre fin à ce système démoniaque qui veut que le monde marche moins bien que pendant les trente glorieuses, que l'Europe marche moins bien que le reste du Monde, et que chaque pays européen soit pris dans une logique dépressionnaire, en particuliers ceux qui ont sombré dans le malthusianisme économique, social et fiscal comme la France.

Rappelons une fois de plus que les institutions sont au service de l'homme et non l'inverse. L'objectif de la politique économique est le plein emploi et la croissance.

 

Didier Dufau pour le Cercle des économistes E-toile.

Commentaire
KP's Gravatar Tout cela sent l'improvisation. Cela prouve que le gouvernement Merkel ne tient pas si solidement que cela sur ses jambes et que le fameux "couple franco allemand" est plus que jamais branlant.

Jamais en d'autres temps un ministre allemand des finances n'auraient fait une pareille suggestion sans s'assurer avant d'une solide préparation diplomatique notamment avec la France et de l'accord explicite et total de la chancelière.

Cela sent un peu la panique et le dysfonctionnement. Pas sûr qu'il faille s'emballer autour de ce concept qui ressemble plus à un coup politique interne qu'à une véritable suggestion d'organisation.

Karl Peiper
# Posté par KP | 14/03/10 18:49
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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