Le retour des politiques de déflation

Il est tout de même troublant de voir revenir la déflation comme moyen de gestion normale des récessions.

Au XIXème siècle, la monnaie était principalement métallique. L'argent et l'or étaient les références monétaires. A partir de 1873, l'étalon-or fut le système de référence. Dans ces conditions il était impossible de manipuler les changes. Les « points d'or » qui se déclenchaient en cas de déséquilibre lourd des balances de paiements entraînaient des sorties d'or et une restriction de crédit qui freinait l'activité.

Les crises financières qui étaient déjà régulières (tous les huit à dix ans) étaient vécues comme des moments de purge nécessaires. Le PIB (qui n'était pas calculé à cette époque) reculait fortement, souvent entre 20 et 30% (d'après les estimations les plus vraisemblables). Les docteurs Purgon s'en donnaient à cœur joie. Les plus faibles tombaient dans la misère et les révoltes éclataient, voire les révolutions. Dans des économies principalement agricoles, on parlait de crise de surproduction dont la résorption passait par des baisses de prix, de salaires et des restrictions malthusiennes. Jusqu'à ce que les prix remontent et entraînent à nouveau une phase d'expansion et d'investissements.

Ce système a volé en éclat en 1929 avec l'orthodoxie mentale qui l'accompagnait. L'or ne jouait plus de rôle majeur (il s'était concentré aux Etats-Unis et les autres états en manquaient). Partout le billet de banque et les dépôts bancaires l'avaient emporté sur la monnaie métallique. La crise de 1929 s'est produite dans un système tout à fait nouveau et mal maitrisé de gold exchange standard qui permettait déjà des doubles pyramides de crédits.

Ce système avait donné une ampleur toute nouvelle à la crise périodique de crédit. Les structures industrielles et agricoles s'étaient concentrées, ne permettant plus des ajustements faciles par les prix. Les mentalités étaient en retard sur les faits.

La gestion de la crise par la déflation fut partout un terrible échec entraînant des conséquences sociales et politiques qui à leur tour eurent leurs effets délétères.

Influencée par Keynes une nouvelle orthodoxie se mit en place qui renonçait aux déflations et tentait de mettre en place une organisation internationale ordonnée avec des changes fixes mais ajustables et une institution, le FMI, qui avait pour but d'éviter que des guerres de changes se mettent en place au détriment de la communauté. Chaque pays « ne devait pas faire plus de bêtises que les autres » et en cas de dérapages, le soutien du FMI devait éviter une chute verticale mais au prix d'un retour dans les rails de la politique économique du pays concerné.

Ce système a explosé en 1971 avec la promotion des changes variables et la création de monnaies purement administratives dont la responsabilité était confiée à des banques centrales « indépendantes ».

Premier résultat : les monnaies ont perdu en moyenne 98% de leur valeur en or bien que l'or fut démonétisé.

Second résultat : les déséquilibres sont devenus gigantesques (voir les déficits cumulés des Etats unis et les excédents cumulés de la Chine et du japon).

Troisième résultat : les crises décennales sont devenues de plus en plus dures en même temps que le taux de croissance de longue période était ralenti : adieu les trente glorieuses !

Quatrième résultat : la variabilité généralisée a entraîné le développement d'une économie casino et l'apparition de produits complexes de moins en moins maîtrisés.

Cinquième résultat : le mécanisme de la double pyramide de crédits s'est amplifié entraînant la hausse de la dette partout jusqu'à un niveau intolérable qui ne pouvait se régler que par une crise d'envergure, comme en 1929. Et qui a éclaté en 2008.

Les états ne pouvaient avoir recours qu'à deux politiques :

- Continuer dans le keynésianisme. On eut la stagflation. Exit Keynes.

- Laisser filer la monnaie avec des crises de changes successives et des risques d'exclusion du système d'échange mondial.

Cette politique ne pouvait être menée que par les Etats-Unis.

- Fixer sa monnaie sur le dollar à un taux favorable et se laisser porter.

La Chine avec ses réserves d'hommes pauvres et disponibles pour un bol de riz a pu s'en sortir.

L'Argentine et son « currency board » explosera début 2000.

L'Europe a tenté une unification monétaire évitant les risques de spéculation sur le cours des monnaies de ses membres. Mais sans « peg » sur le dollar. Il lui a fallu mener une politique de compétitivité salariale sur un fond de très faible croissance. Sous le parapluie de l'Euro les pays du Sud (France, Grèce, Portugal), ont conduit des politiques laxistes, en même temps que les capitaux à court terme s'investissaient en masse dans les pays émergents (Irlande, pays baltes, Espagne) sur une base purement spéculative. Le RU faisait lui le pari du « tout finance » et du « tout spéculation ».

L'explosion financière a eu les conséquences qu'on pouvait envisager.

Les capitaux à court terme ont fui l'Europe de l'est , l'Irlande , l'Espagne ; les pays à bulles immobilières ont été ruinés. Et on a vu que malgré l'unification monétaire, la spéculation s'attaquait aux pays par le biais des taux d'intérêt et des « spreads » faute de pouvoir le faire sur les taux de devises.

En dehors des Etats unis et de la Chine le système monétaire international ne laisse plus aux autres comme alternative soit une politique de déflation lente de compétitivité par les salaires et la technologie soit une politique de déflation violente lorsqu'on s'est laissé glisser trop longtemps.

La déflation est redevenue le mode de gestion de crise. Ce qu'avaient montré la crise de 29, c'est qu'elle était socialement inacceptable et finissait dans des extrémités encore pires que le mal. L'affaire Argentine a confirmé le fait. On peut craindre que cette impatience sociale se manifeste à nouveau avec des conséquences destructrices.

La déflation peut marcher. Mais c'est si douloureux que l'on peut considérer que ce remède de cheval est d'un maniement extrêmement dangereux.

Il vaudrait mieux réformer le système global et enfin constituer le système qui aurait du être mis en place à Bretton-Woods si les Etats unis n'avaient pas été un géant au milieu de "nains" ruinés.

Un Bretton- Woods paritaire, avec une monnaie mondiale de réserve de type Mondio, est  la bonne solution. Espérons qu'il ne faudra pas dix ans de soubresauts pour qu'on s'en aperçoive.

Depuis 2007 et le blocage du système monétaire et du marché interbancaire, on a déjà perdu trois ans. Et on n'en sort pas.

Commentaire
Vladimir Vodarevski's Gravatar Le système de bretton woods, qui a vu la naissance du FMI, ne doit rien à Keynes qui était contre. Keynes refusait l'étalon or, voulait des changes mobiles, et, même, une monnaie internationale.
La déflation est provoquée par une baisse de l'offre monétaire. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il n'y a pas de politique de déflation. Si les prix baissent, ce ne sera pas en raison de la déflation, mais de la baisse d'activité.
Nous sortons d'une crise provoquée par l'excès de crédit, c'est-à-dire de l'inflation. Le problème est de trouver une croissance plus saine. Ce n'est pas gagné, avec l'étendue des déficits, et les facilités monétaires.
# Posté par Vladimir Vodarevski | 05/04/10 00:50
DD's Gravatar Vous vous trompez : la position de Keynes avec la Bancor (ce que nous appelons le Mondio) était très clair. Les changes étaient fixes et ajustables. Aucun pays n'avait d'avantage particulier. Le FMI était là pour permettre à un pays de faire face à une difficulté temporaire sans avoir à sombrer dans la dépression et la guerre des changes. La dévaluation si nécessaire était concertée. Le FMI devait veiller à ce que jamais des déficits cumulatifs ou des excédents cumulatifs ne se produisent.

La partie américaine, avec White, bloqua l'initiative et créa un système dissymétrique de Gold exchange standard qui finira par céder en 71 après 10 ans de fonctionnement chaotique dans les années soixante du fait des déficits américains. Néanmoins la stabilité des changes avait permis les "trente glorieuses".

Keynes a été pour la dévaluation de la Livre à un moment donné et à la fin des "disciplines de l'étalon or" c'est à dire de l'utilisation de la déflation comme moyen de sortir des crises.
# Posté par DD | 05/04/10 18:39
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