Un mythe économique : la thèse des zones monétaires optimales

Les efforts d'unification économique qui se sont multipliés dans la seconde partie du XXème siècle ont provoqué de nombreuses réflexions sur les conditions du succès de ces tentatives.  Certains économistes ont recherché par exemple dans quelles conditions économiques un groupe de pays avait intérêt à unifier sa monnaie et réciproquement quand il devait l'éviter à tout prix.

Cette démarche est parfaitement vaine. Il n'y a pas de facteurs économiques spécifiques qui poussent ou non à l'unification monétaire. Dans cette affaire ce n'est pas l'économie qui mène le bal mais uniquement la politique.  Et le vrai débat porte sur les conditions POLITIQUES du bon fonctionnement d'une union monétaire.
 
S'il existait des conditions économiques de ne pas rejoindre une zone monétaire cela voudrait dire que certaines économies, par nature et non pas par politique, aurait besoin structurellement de changer régulièrement de taux de change. On peut en effet inverser la proposition en l'exprimant ainsi : dans quelles conditions économiques est-il préférables de pouvoir modifier incessamment son taux de change ? Et quand on pose la question ainsi les réponses se font rares. Car il n'y a aucune conditions structurelles proprement économiques qui invitent à faire varier fortement et constamment le taux de change d'un pays.

La politique de change offre des avantages pour régulariser les déséquilibres créés en général par des politiques économiques et sociales différentes. Mais dans une zone politiquement intégrée on n'a jamais vu une partie de la zone réclamer son indépendance monétaire pour des motifs exclusifs de rationalité économique. L'Auvergne, pour donner un exemple, n'a jamais demandé l'instauration du "Fouchtra", si on veut donner un nom à une monnaie qui serait propre à la région, pour régler ses difficultés de développement. Les libertés politiques et économiques d'aller et venir, de contracter, de posséder, dans l'ensemble monétaire français provoqueront des évolutions conduites par l'intérêt économique et social. Certaines seront favorables à l'activité locale d'autres non. Pays hercynien de faible rentabilité agricole, de possibilités de transport limitées  et de ressources minières peu significatives, la région a connu une très forte émigration. Il est à noter que l'existence du "Fouchtra" n'aurait en rien empêcher l'affaire.  Ce sont des politiques de développement à l'intérieur de la zone monétaire qui ont conduit à modifier le cours naturel des choses et à essayer d'optimiser les chances économiques de l'endroit.
 
En d'autres termes les conditions économiques dictent leur loi indépendamment des régimes de change.
 
De même que la psychanalyse ne guérit que les maladies qu'elle a elle même provoquée, les manipulations de change ne guérissent que les désordres qu'ils ont permis.
 
La plupart des arguments économiques avancés pour déterminer une zone d'union monétaire optimale sont des tautologies.
 
- Le degré d'ouverture des économies. Il est évident qu'un pays qui vit en autarcie et entend continuer ainsi n'a strictement aucun intérêt à rechercher une union monétaire.
 
- La flexibilité des salaires.  Partout les salaires sont devenus inflexibles. Nulle part on ne les baisse sans drame.
 
- La diversification des productions. L'argument est peu convaincant : un pays de monoproduction aurait immédiatement intérêt à s'ouvrir sur l'extérieur pour trouver les produits qui lui manquent  et la valeur de sa monoproduction  sera directement liée à la demande extérieure. La manipuler périodiquement via un taux de change n'aurait aucun intérêt durable.

- La distance entre les pays concernés.  La colonisation a prouvé qu'une union monétaire était possible avec des pays forts lointains pourvu qu'il y ait une unité politique de gouvernance.

- Le désir des hommes de changer de domicile et de s'expatrier. Nécessité fait loi. Indépendamment de toute considération sur le système des changes.
 
Arrêtons là : il n'y a pas de conditions économiques optimales structurelles pour créer une zone de monnaie unique.
 
En revanche il y a de fortes conditions de gouvernance POLITIQUES.
 
La souffrance actuelle de l'Euro ne provient pas  de conditions structurelles incompatibles entre ses composantes, mais du non respect des conditions de gouvernance d'une telle zone.  Dans le cas de la Grèce, le cycle de convergence préalable n'a pas été respecté dans des proportions qui laissent tout de même assez pantois.  Et la philosophie générale qui fait d'un traité, Maastricht, l'alpha et l'oméga de la conduite des affaires, est une erreur politique majeure, en l'absence de toute structure de pilotage économique de la zone. Cette erreur a été dénoncée cent mille fois et la relever ne présente strictement aucune originalité.
 
Elle a été d'autant plus dangereuse que l'Europe a cru qu'une monnaie artificielle pourrait être gérée dans un système de changes flottants par la seule BCE.  Une déficience structurelle régionale dans un système non fonctionnel global ne peut mener qu'à des catastrophes. On retrouve là notre combat permanent.

La question de la zone Euro est purement politique. Est-on décidé d'aller vers une union générale en Europe ou non. Cette option est la notre. Mais cela a des conséquences de structure et de gouvernance globale.  L'Europe a, une fois de plus, mis la charrue avant les boeufs et les boeufs piétinent actuellement la charrue avec une grande gaité. Ce système implique des crises qui rendent inévitables des ajustements précipités ultérieurs. Certains pensent que la méthode est la seule possible.  
Il ne faut pas pousser trop loin la rationalité de l'irrationalité.
 
Admettons que ce soit bien le mode de progression de l'intégration européenne.

Alors il faut aujourd'hui (avec une vingtaine d'années de retard), sous le feu, mettre en place les institutions congruentes avec la monnaie unique. Un traité ne suffit pas.
Il  faut aussi s'assurer que le système monétaire global qui présidera à la volonté également politique de libérer les échanges à travers le monde ne soit pas maladif.
L'Europe n'a donc aucun choix :
- elle doit opter pour l'approfondissement de l'union et parer sa dislocation.
- elle doit militer pour une réforme du système monétaire international.
La grande erreur des fédéralistes est d'avoir privilégié le débat purement institutionnel  en matière politique tout en abandonnant les grandes questions économiques pour la résolution européenne de problèmes microbiques. Ce grand écart était d'autant plus absurde que l'Europe abandonnait tout discours sur le système monétaire mondial et acceptait dans le silence une globalisation effrénée et sans cadre.

Elle s'est donnée tous les moyens de se faire fouetter de l'extérieur et d'être écartelée de l'intérieur.

Les pays de l'Euroland aurait du dès le départ  mettre en oeuvre une structure de coordination économique, sociale et fiscale avec un bras supranational fort pour le contrôle et l'intervention coercitive en cas de dérive, et un autre bras supranational fort pour les actions conjointes pan Euroland. Les traités n'auraient fixés que les principes généraux et l'orientation de l'Union monétaire :  dans la pratique la cohérence budgétaire et la coordination fiscale et sociale.

L'erreur pour l'Europe n'est pas d'avoir créé une union monétaire alors que les conditions économiques "optimales" n'étaient pas réunies dans la zone  comme on le lit un peu trop dans la presse ces temps-ci, mais d'avoir inséré la démarche de la monnaie unique dans le cadre du consensus de Washington sans ce donner les moyens organisationnels de sa politique.

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile

Commentaire
Micromegas's Gravatar Encore un coup de canon bien ajusté sur un article de base de l'enseignement économique. La théorie de Mundell figure dans tous les bons manuels d'économie.Moi qui croyait que vous souteniez les thèses de Mundell ! Un des points qui m'avaient frappé est que les détracteurs des changes fixes citent constamment Mundell pour démontrer que les lois économiques fondamentales s'opposent à l'introduction d'une certaine rigidité ou d'une rigidité totale dans les changes, alors que Mundell a démontré, comme vous, que les changes flottants n'atteignaient aucun de leurs objectifs théoriques. Alors vous être pro ou anti mundellien ?
# Posté par Micromegas | 08/05/10 13:47
DD's Gravatar Nous ne sommes pas intéressés par un quelconque travail de démolition. Et nous partageons beaucoup des analyses de Mundell. Dans sa théorie des zones optimales il classe les facteurs politiques comme cruciaux. Nous ne faisons que les rendre exclusifs. Tout groupe d'économies peut devenir une union monétaire à condition de le vouloir et de mettre les institutions correctes en place.

Il n'y a rien de plus agaçant de voir les medias qui ont chanté que l'Euro était d'une solidité à toute épreuve en septembre 2008 déclamer aujourd'hui que la théorie économique explique les fragilités constatées n citant notamment à trot et à travers la théorie des zones optimales.

La fragilité est politique, pas économique.

DD
# Posté par DD | 08/05/10 23:52
jean-marc's Gravatar "Les pays de l'Euroland aurait du dès le départ mettre en oeuvre une structure de coordination économique, sociale et fiscale"

N'est-ce pas contraire à l'ultra-libéralisme qui règne à l'heure actuelle ? Quand vous parlez de coordination économique pensez vous à la possibilité de dégager un budget pour des investissement dans les pays en difficultés ?

JM
# Posté par jean-marc | 15/05/10 03:34
DD's Gravatar Une monnaie ne présuppose pas une variante de système économique plus ou moins libérale. Des pays ayant une monnaie nationale ont prouvé pendant des lustres qu'ils pouvaient avoir des systèmes sociaux allant du rose vif au bleu ciel. Les libertés économiques fondamentales étant assurées la monnaie dépends comme toujours du dynamisme des entreprises, de la retenue des banques, de la sagesse des gouvernements et du plus ou moins grand degré de coopération des pays avec lesquels il y a relations économiques.

L'important est d'éviter les contradictions de politiques et les chocs éventuels. Les structures pour se faire peuvent être de mille types. Cela n'a pas d'importance : si l'objectif est tenu. En cas de choc externe différencié, il faut une structure de solidarité. Là encore les formes et structures ne sont pas si importantes que cela.

Il est clair que les deux plus grands pays d'une zone monétaire ne peuvent pas avoir des politiques divergentes : désinflation compétitive dans l'un et 35 heures et irresponsabilité budgétaire dans l'autre. Les plus petits pays de la zone doivent respecter le train général. Mais cela ne veut pas dire qu'on doive nécessairement aller vers l'unicité fiscale et le fédéralisme à tout crin.

La question est celle des sanctions plus que celle des aides. Là aussi il peut y avoir de nombreuses solutions.
# Posté par DD | 20/05/10 14:36
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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