Retraite : la clé d'un système de répartition est l'emploi et la croissance.

Un des points qui échappe largement au débat actuel sur les retraites est qu'un système de répartition ne peut fonctionner qu'avec une politique de plein emploi et de croissance, dans une ambiance démographique dynamique.

Dans un système de retraite par  capitalisation, les choses sont relativement simples. Chaque citoyen  décide de son taux d'épargne annuel et de la durée de sa vie active. Il n'a pas pour autant la pleine maîtrise de ses choix. Le niveau de la pension et l'âge de son départ à la retraite va dépendre de variables  qu'il ne maîtrise pas. Le taux d'intérêt qui sera servi à son épargne et qui allègera son effort personnel lui est inconnu. Le capital accumulé et son  pouvoir d'achat reste un pari. De même son taux d'épargne va dépendre des aléas de sa carrière productive. Longuement au chômage il ne va pas pouvoir épargner autant que nécessaire. Néanmoins le reste de l'équation est simple. S'il commence à travailler à 25 ans,  à 60 ans il aura eu 35 années d'épargne. Si son espérance de vie est de 25 ans à cet âge là et s'il veut maintenir son revenu net pendant sa retraite à la moyenne de ses rémunérations acquises, il sait qu'il va lui falloir épargner trente à quarante pour cent de ce revenu net tout le long de sa vie active.  Pour le maintenir proche de la moyenne de ses dix années les meilleures, on dépasse les 50%.  Pour optimiser sa retraite, il lui faut espérer une carrière sans trous trop longs ou trop graves, des taux d'intérêts élevés, pas trop d'inflation, et une pression fiscale modérée qui lui laisse un revenu net suffisant pour épargner. En fait il sait qu'il devra partir entre  65 et 70 ans. Dans ce cas le rapport durée au travail durée en retraite prend une valeur moins élevée : 15/45 au lieu  de 25/35. Et la prédation pendant la carrière sur les revenus est plus supportable.  

Les pays qui ont choisi la capitalisation ont donc une tendance naturelle à viser la stabilité des prix, une bonne rentabilité financières du capital et une pression fiscale raisonnable. Si l'épargne peut être rentabilisée hors du pays, on fait payer les pays jeunes qui rattrapent leur retard économique. On poussera donc à la liberté des mouvements de capitaux en espérant une optimisation des rendements. En revanche il faut éviter toute imposition sur le capital qui vous confisque sur la longue durée le rendement du capital constitué.

Le risque est la trop faible épargne pour les petits salaires  et  la destruction de l'épargne. Si l'épargne accumulée est anéantie dans des crises financières, les années de sacrifice sont perdues.  Si le citoyen  a choisi de dépenser plutôt que d'épargner la fin de vie risque d'être un peu difficile.  Si sa carrière a été médiocre avec de faibles rémunérations, de longues périodes de chômage ou de maladie, ses possibilités d'épargne auront été faibles et son revenu à l'âge de la retraite quasiment nul.

Un des paradoxes des pays à retraite par capitalisation c'est qu'ils ont intérêt  à la stabilité financière de longue durée, y compris à l'échelon international. Il devrait donc être particulièrement vigilants sur la question des changes flottants et de la stabilité des banques. Dans le cas des Etats Unis ce n'est visiblement pas le cas. En Allemagne, où on pratique un système mixte,  le système bancaire est particulièrement fragile.  Il n'y a pas en fait de stratégie économique coordonnée aux décisions structurelles prises pour gérer les retraites.

On comprend que l'idée se soit imposée d'essayer de limiter ces risques. Le système par répartition réduit le risque d'évaporation du capital épargné.  Mais il fait désormais dépendre  les retraites directement du rapport personnes employées/personnes non employées.  Le paradoxe en France, c'est que la politique suivie depuis des lustres va entièrement dans le sens d'une diminution de ce ratio.

Pour fonctionner bien un régime de retraite par répartition a besoin de beaucoup d'actifs. Un pays qui choisit ce système doit promouvoir une forte natalité pour maintenir une structure favorable de la pyramide des âges. Il a besoin d'immigration.  La France dans ce domaine est assez cohérente avec elle même, même si, depuis le début des années 70, le "natalisme" a été largement condamné au nom des libertés nouvelles de la femme (on se souvient de Michel Debré affublé d'un entonnoir dans la presse satirique et ridiculisé dans l'émission de Polac pour ses positions pro natalistes au nom de l'avenir... des retraites. Parions que personne n'osera repasser ces images à la télévision)  , et même si toujours depuis la même période, les accès de phobie anti immigration sont forts et structurent le paysage politique. L'administration aura résisté sur les deux sujets (100.000 milles naturalisations par an, soit plus de 10%  du chiffre des naissances,  ce n'est pas mal !). Tant mieux pour le système de répartition.

En revanche il fallait viser un taux d'emploi le plus important possible. Or la France a le taux d'emploi le plus faible. Les jeunes, les personnes de plus de 50 ans, les femmes, les immigrés, ont le taux de non emploi quasiment le plus fort de tous les pays d'économie comparable. Nous nageons ici en pleine contradiction.  Les tenants de la retraite par répartition devraient être en plein combat  pour l'arrivée rapide sur le marché du travail, un Smic raisonnable ne bloquant pas l'accès des plus faibles au travail, des charges faibles pour les entreprises, la mondialisation par les exportations, les durées de travail compatibles avec un taux d'emploi important.  Au contraire on voit que la durée de travail a été réduite, l'âge de la retraite avancé, le poids des prélèvements sur la production indéfiniment aggravé, à l'exception des dégrèvements de charges pour les smicards, l'âge de l'entrée dans la vie active retardée, les loisirs favorisés, des systèmes d'aides sociales pour personnes ne travaillant pas indéfiniment multipliés.

La France a donc mené des politiques incompatibles avec son système de retraite par répartition.

Le dernier volet crucial pour un système de répartition est naturellement la croissance sinon  le système par répartition devient ingérable dès lors que le ratio actif /non actif se dégrade.  Or on voit la mode de la décroissance heureuse s'emparer des Verts et d'une bonne partie de la gauche française. Où est la logique ?

Les commentateurs médiatiques français semblent obsédés par l'égalitarisme (qui ne va tout de même pas jusqu'à demander la suppression des subventions à la presse ni des avantages fiscaux des journalistes. L'égalitarisme a ses limites !).  Le système par répartition est nécessairement le plus injuste parce qu'il repose sur des décisions d'en haut et prive chaque citoyen de sa liberté. L'arbitraire et le rapport de force politique y règnent en maître.

Là où un système par capitalisation obligerait les fonctionnaires voulant cotiser moins de 35 ans soit à fournir plus de la moitié de leur rémunération en cotisation pour conserver leur dernière rémunération  soit à conserver ses cotisations de 7-8 % et partir avec des clopinettes, on les voit bénéficier des avantages les plus grands avec les cotisations les plus faibles. Ne parlons pas des régimes spéciaux qui sont financés par les tiers et offrent des avantages indéfendables.  En France le caractère institutionnellement inique du système pendant les trente glorieuses a été illustré par un autre fait, encore plus grave :  ceux qui cotisaient le plus longtemps étaient aussi ceux qui profitaient le moins de la retraite. Les énormes excédents des caisses liés à cette ignominie et  au baby boom a permis de servir généreusement des catégories sociales qui n'avaient pas cotisées puis à financer l'énorme sottise de la retraite à 60 ans.

Lorsque ces excédents gaspillés se sont épuisés, c'est l'emprunt qui a pris le relais. Est-il absurde de régler par l'emprunt le financement des retraites ?   D'une certaine façon, si l'emprunt est souscrit par l'épargne étrangère cela revient à faire payer les retraites françaises par le travail des étrangers, mais à transférer à terme le remboursement avec les intérêts aux futurs Français. C'est totalement absurde dans la durée. Ce n'est acceptable que pour lisser une difficulté démographique temporaire. La lâcheté des gouvernants depuis 81 a été presque totale. Les réformettes n'ont fait que confirmer les injustices les plus criantes. La réforme en cours n'y manque pas sauf quelques retouches cosmétiques.

Et globalement la politique qui vient d'être validée par Sarkozy, à la remorque de l'Allemagne, n'a de sens que dans le cadre d'un régime de retraite qui fait une part importante à la capitalisation, alors que la natalité décroche. C'est bien pour l'Allemagne. Mais pour la France  et ses retraites par répartition ?

Au total tout le monde nage en pleine contradiction et on prend des mesures à la va comme j'te pousse en perdant de vue constamment les cohérences nécessaires.

La vision sociale doit être assujettie à une vision économique globale et à la démographie. Il y a un trend et un cycle.  Si le trend s'affaiblit et si les cycles sont plus prononcés notamment à la baisse,  alors le système par répartition est menacé.  Si les calculs du Cor tiennent bien compte d'une sorte de trend elles gomment entièrement le cycle et les défauts d'équilibres qui se présentent lors des récessions. Si on penche vers le malthusianisme alors il faut cesser de vouloir faire vivre un système par répartition. Si on tient absolument à un système de répartition il faut admettre qu'il doit être dur pour ceux qui ne travaillent pas et développer des incitations fortes à travailler tôt, longtemps et continument. Il faut tenir un discours productiviste et nataliste. Il faut évoquer les bienfaits de l'immigration. Il faut rompre avec le système allemand. Et finalement il faut desserrer l'étau qui permet à certains groupes sociaux d'imposer leur volonté aux politiques et au reste de la nation.

On jugera aux positions qui s'expriment actuellement  à quel point on nage dans l'incohérence.

Commentaire
Alain Prodint's Gravatar Bonjour,

tout d'abord, je voudrais vous féliciter pour la tenue, la claivoyance et la clarté de vos articles. Celui-ci ne fait pas exception où vous exposez les dangers respectifs des systèmes de retraite par capitalisation comme par répartition.

Vous abordez également un sujet hautement polémique et déjà entonné par de nombreux politiques des "bienfaits" de l'immigration pour le système par répartition. Il est en effet indéniable que ce système est basé sur un rapport mathématique entre non actifs et actifs. Votre réflexion suppose cependant que les individus sont interchangeables, ont les mêmes préoccupations, en un mot vous oubliez l'aspect "politique" des choses dont vous soulignez par ailleurs si souvent l'importance. Si la génération des "30 glorieuses", avec une pyramide d'âge favorable, une augmentation constante de son niveau de vie ne faisait aucune difficulté pour "subventionner" un système à répartition; il ne faut pas oublier aussi que ce système payait les retraites de leurs grand-pères et grand-mères qui avaient peu cotisés. Aujourd'hui la situation est diamétralement différente et il faudrait vouloir s'aveugler pour l'ignorer. Pourquoi de jeunes immígrés devraient-ils sacrifier une part importante de leurs revenus pour financer les retraites de millions d'"étrangers", retraites qui au départ seront souvent beaucoup plus importantes que leurs revenus d'actifs ? Pourquoi, alors même qu'une partie de leurs familles reste dans leurs pays d'origine et qu'ils continueront de les aider comme cela est logique et naturel. Le ressentiment de ces jeunes pauvres envers ces "riches" retraités ne pourra aller qu'en s'accentuant... Votre réflexion suppose également que statistiquement un même niveau de compétence et de rémunération remplace un même niveau de compétence et de rémunération. Cela reste à prouver. Enfin et vous le soulignez vous-même "les immigrés, ont le taux de non-emploi quasiment le plus fort de tous les pays d'économie comparable." Avec cela le taux de chomage reste extrêmement élevé alors que vous soulignez la nécessité pour ce système d'avoir le plus grand nombre d'actifs possible.

Ce ne sont que quelques remarques qui visent à souligner ceci: avant que d'emboucher les trompettes des bienfaits de l'immigration, ne vaudrait-il mieux pas se pencher sur la question du fardeau inoui (pour les personnes concernées comme pour l'économie en général) que sont 2 000 000 de chômeurs pour un pays comme la France ? Comment peut-on en toute innocence "inviter" d'autres personnes alors que nos propres concitoyens n'ont pas de travail ?

Bravo encore et bonne continuation!
AP
# Posté par Alain Prodint | 22/06/10 12:53
DD's Gravatar Nous n'embouchons qu'une seule trompette, celle de la cohérence. Le choix d'un système de retraite est stratégique et implique, quelque soit celui qui est finalement fait, des tactiques qui soutiennent la stratégie. Ce que nous voulons montrer, ce n'est pas tant qu'il faille multiplier l'immigration, mais l'écart croissant entre nos choix stratégiques et les politiques suivies. Le drame de la France, nous l'avons répété mille fois, c'est son taux d'emploi. Nous n'avons qu'environ 16 millions de salariés pour une population de 66 millions de résidents. C'est un ratio ridiculement bas. Si nous avions les ratios moyens des pays comparables, nous devrions en trouver 26 millions, au bas mot. Tout le problème français est là. En particulier celui des retraites.

Pour résoudre la crise majeure des retraites que nous vivons la première question que nous devrions nous poser : pourquoi si peu de salariés ? Comment faire pour redresser ce ratio suicidaire ? Si vous avez lu quelque chose dans les medias sur cette question bravo ! Nous pas. Ou pas encore.

Un manque à gagner de 10 millions d'emplois salariés, voilà l'horreur économique de base sur laquelle il faut travailler en France. Elle est à la base de la désespérance des jeunes, des drames sociaux, de l'impossibilité de gérer nos budgets, des craquements dans le système de retraite par répartition.

DD

* et merci pour votre appréciation générale.
# Posté par DD | 23/06/10 10:06
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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