Un impôt supplémentaire sur les banques : pour quoi faire ?

Depuis des mois l'idée de frapper les banques d'un nouvel impôt circule dans les milieux internationaux et dans les officines gouvernementales. Le FMI recommande d'en mettre un en place, uniforme de par le monde. L'Allemagne et la France se sont mis d'accord pour en présenter un projet au G.20. Le Royaume Uni est favorable et l'a déjà institué. Bref l'impôt sur les banques est une idée à la mode qui va entraîner de vastes discussions dans les mois à venir et qui débouchera un peu partout.

D'où la question : un impôt pour les banques, pour quoi faire ?

L'impôt sanction.

Une première conception est d'affirmer que les banques sont responsables de la crise et qu'elles doivent être sanctionnées. Dans nos mentalités modernes, l'impôt est une sanction doublement utile puisqu'elle frappe le méchant tout en fournissant des ressources aux gentils. La méchante banque va donc être frappée et les milliards de prélèvements vont faire du bien à tout le monde. Cette vision morale est politiquement correcte. Le dégoût général vis à vis des banques la favorise. Frappons donc à coups de gourdin fiscal cette vile engeance qu'on a sauvée à coups et à coûts de centaines de milliards. Reprenons de la main gauche ce que la droite a donné.   

Cette conception nous parait, au Cercle des économistes e -toile,  aussi vile que vaine. Le populisme cupide des états n'est pas notre tasse de thé.  Autant les actes individuels délictueux doivent être pénalement poursuivis, autant les punitions collectives nous paraissent déplacées. Surtout si elles ont des effets de bord déplaisants pour la collectivité.  Et l'accroissement de la pression fiscale a toujours des effets de bord déplaisants pour la collectivité.

L'impôt assurance.


Là au moins on part d'une idée fonctionnelle : les banques manipulent du risque. Elles sont devenues trop grandes pour qu'on les laisse tomber, ce qui implique des plans de sauvetage coûteux pour l'Etat.  Donc préparons un fond mutuel de secours financé par le secteur lui même qui permettra de faire face à la prochaine alerte.  De nombreuses professions gèrent des fonds mutuels de secours pour faire face à des risques de place : les avocats, les agences de voyage, les notaires etc.  Pourquoi pas les banques ?

La solution existe déjà dans certains pays. Aux Etats Unis le FDIC, l'agence fédérale qui garantit les dépôts des banques  est alimentée partiellement par les banques. Les bonnes banques paient pour les mauvaises. Et si cela ne suffit pas, l'Etat, c'est à dire le contribuable, est mis à contribution.  Ce fonds est actuellement en détresse aux Etats Unis du fait des centaines de banques qui ont fait faillite (et dont on ne parle jamais).

La question est en effet de déterminer ce qu'on assure et pour faire face à quel risque. Sont-ce les dépôts ? Ou le capital des banques ? Ou les crédits ?

Le capital des banques est normalement l'amortisseur des pertes des banques. Les provisions que les banques font, qui diminuent les bénéfices, sont normalement là pour étaler les risques principaux. Et si la banque est mal gérée et que ses crédits s'avèrent aventurées au delà des provisions, c'est sur le capital que les pertes sont débitées et au delà en cas de faillite, les créanciers de la banque  Si on ponctionne les bénéfices ou ce sont les provisions qui ne pourront être dotées au niveau convenable, ou c'est le rendement du capital qui va diminuer entraînant une sous capitalisation des banques. Si l'impôt a pour but de créer une cagnotte collective, cela veut dire que les provisions sont partiellement transférées sur une instance extérieure ou que l'on crée une super provision collective.

La difficulté est alors l'emploi de cette cagnotte.  Si on la place, la cagnotte devient de la dette  (créances et dettes sont les deux faces d'une même réalité) : en cas de crise financière quelle sera la valeur de la cagnotte ?  Si on ne la place pas, cela veut dire que la recette entre dans le budget général et ne sera pas disponible en cas de crise. On n'en reviendra au problème initial : les grandes poches du contribuables. Sans compter la question pénible : pourquoi un fond souverain gérerait-il mieux la cagnotte que les banques ? Et si elle est gérée par les banques qu'est-ce qui garantit qu'elle sera mieux récupérable que le reste du portefeuille des banques ?

Reste une solution : assurer les crédits ! Mais c'est exactement le système largement pervers que les banques ont mis en place avec les agences de notation et les CDS.  On "objective" le prix du risque en en faisant un marché. Les spéculateurs  agiotent sur les risques via des instruments ad hoc. Tous les flux de trésorerie sont plus ou moins titrisés et ces actifs, notés, font l'objet de spéculation. Les bons spéculateurs font du profit. Les autres perdent leur mise. C'est un jeu apparemment à somme nulle.  Pendant des années les bons apôtres nous ont expliqué que cette nouvelle technicité financière était la marque d'une organisation supérieure enfin rationnelle  et que grâce à la nouvelle finance mathématifiée, sous la surveillance des agences de notation, le risque était minimisé et diffusé intelligemment de façon à stabiliser l'ensemble des flux économiques.  

Le problème, c'est que les CDS ont une responsabilité large dans la crise actuelle. A la fin des fins il y a toujours un risque global de contrepartie. Quand ce risque est intenable le système s'effondre.
L'histoire de la faillite conjointe de Lehman brothers et d'AIG est assez claire. Dès la déclaration de faillite de la banque, l'assureur, AIG, s'est retrouvé avec des engagements se comptant en centaines de milliards de dollars. Les banques françaises ont été sauvées par la décision des Etats Unis de garantir les CDS, CDO et autres véhicules "d'assurance".

Les blocages successifs du marché interbancaire qui sont la marque spécifique de la crise que nous connaissons, sont entièrement expliqués par l'inquiétude sur la localisation du risque, dans un système mondialisé où il est diffusé de façon obscure.  La folie de la construction financière mondiale actuelle est qu'elle cache le risque global de contrepartie qui finit par exploser dans les budgets des états,  et qu'elle rend tous les acteurs financiers suspects. Qui a le mistigri ? L'effondrement du marché interbancaire provoque instantanément des conséquences économiques gravissimes et longues à guérir. Et le mistigri n'est pas constitué des "crédits pourris" mais de TOUS les risques, et dans la banque le risque est partout.   

Si on parle d'assurance des crédits, il faut d'abord  essayer de comprendre comment un impôt nouveau se lierait avec ces mécanismes d'auto assurance du secteur et de diffusion du risque. Si vous avez eu le moindre écho de ce genre de discussion merci de nous le signaler. Nous sommes preneur. On a parlé de faire transiter les CDS et autres contrats de ce type par des bourses ouvertes afin d'éviter le secret des opérations de gré à gré. Et c'est tout. Ajouter un impôt à ce système gigantesque de masquage et de diffusion du risque est-ce réellement la solution ? Surtout lorsqu'on sait que les transactions concernées sont mondiales ?  Ou ne vaudrait-il mieux pas taper dans la fourmilière et  mettre de l'ordre dans ces fausses sécurités, dont le but principal a tout de même été de sortir des règles de Bâle ?    

L'impôt de régulation ?    

Nous retrouvons l'aimable professeur Tobin et sa taxe sur les transactions financières. Rappelons que pour cet économiste d'une grande finesse, le but de la taxe, dans un système de change flottant et de liberté totale des flux de capitaux à court terme, était d'empêcher les opérations à court terme répétitives, les allers et retours sur les marchés de change, fin de stabiliser la valeur des devises et d'éviter les paniques dévastatrices qui ne manqueraient pas de se produire au terme d'épisodes spéculatifs excessifs.

Remarquons que cette solution est totalement contradictoire avec l'organisation mondiale du risque via les CDS. Selon les promoteurs de cette science nouvelle du risque c'est la liquidité des marchés du risque qui permet l'ajustement constant de la valeur individuelle de chaque risque et la bonne orientation du marché. Tout blocage direct ou indirect  entraine ipso facto  un dysfonctionnement du système global. C'est la critique majeure  qu'ont faite  les théoriciens  de la nouvelle finance mondialisée basée sur les changes flottants, la liberté totale des mouvements de capitaux, et les contrats complexes.

Nous même considérons que c'est un palliatif imaginé pour corriger un système qui ne devrait pas exister : les changes flottants. Dans un système de changes fixes garantis par la politique économique des états et surveillés par un superviseur supra national disposant de pouvoirs sérieux, on réduit le risque donc la nécessité de se prémunir. La taxe Tobin est un adjuvant mais pour un mauvais système. Mieux vaut ne pas mettre en place le mauvais système.

La question de la taxe Tobin est compliquée par la récupération qu'en ont faite des ONG cupides sensibles à l'idée que le produit de la taxe pourrait leur être réservé.   La taxe Tobin a été promue moyen simple et efficace successivement pour régler le problème de l'eau dans le monde, puis celui des maladies infectieuses, puis celui de la fracture Nord Sud, puis la question du réchauffement climatique.  La taxe a quitté le monde de la finance pour celui de l'écologie. Son succès de presse et de populisme repose sur un aphorisme débile mais séduisant : une toute petite taxe insignifiante  et insensible permet de résoudre tous les grands problèmes du monde. Pourquoi se priver ? En vérité comme nous l'avons montré plusieurs fois, cette taxe n'a rien d'insignifiant : c'est plutôt la bombe atomique pour les spéculateurs. Le comprendre exige un minimum de technique. Alors vive le populisme !

L'impôt camisole de force.

Certains n'ont pas manqué de remarquer que le secteur financier était légèrement hypertrophié. Il ponctionne une part excessive de la valeur ajoutée. Il permet à quelques satrapes de se constituer des fortunes indécentes. Il est même devenu si gros qu'il peut ruiner tout le monde lors de ses hoquets, comme en Islande.  

Dégonflons donc cette outre immonde. Quoi de mieux qu'un impôt pour empêcher le développement d'un secteur économique ? Si nous le surtaxons, il manquera de bénéfices et de capitaux. Et il sera bien obligé de maigrir, ce maléfique obèse.  Une camisole fiscale permettra de contenir ce cancer financier qui nous ronge.

Ne relevons pas que pendant ce temps là, tous les politiques  crient d'une même bouche, comme un cabri particulièrement bondissant : du crédit, du crédit, du crédit. Du crédit pour les états, du crédit pour les entreprises, du crédit pour les particuliers.   Ce genre de contradictions flagrantes font le charme pervers de la politique.

Mais notons tout de même qu'il serait important de comprendre pourquoi l'endettement global est passé en trente ans de quelques dizaines de pourcent du PIB à plusieurs centaines de pourcent dans de nombreux pays. C'est la source principale de la crise que nous connaissons. Nous avons mille fois expliqué comment le système actuel de changes flottants avec une monnaie nationale servant de monnaie de réserve nourrissait perpétuellement l'accroissement de la dette globale mondiale par le phénomène de la double pyramide de crédits. Au lieu d'aller à la source de l'inondation, on préfère agir sur les symptômes avec des mesures malthusiennes.

On a tout faux.  

On voit bien que cette affaire de sur-fiscalité pour les banques n'a strictement rien à voir avec une mesure technique capable de résoudre les difficultés actuelles, ou de faire face aux sources de désordres qui sont la cause de la récession en cours. Comme on se sent incapables de traiter les racines (lorsqu'on n'a pas simplement refusé de voir et de comprendre où elles se trouvent), on s'attaque aux feuilles, en espérant que le mildiou fiscal régulera la production bancaire tout en satisfaisant l'avidité des Etats en recettes fiscales.

C'est une attitude désespérante de bêtise et d'impuissance.  

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.

Commentaire
DUTRIEUX Philippe's Gravatar Le problème c'est que le "bon peuple" ne voit que les conséquences et non les causes de la crise actuelle.
Il est plus facile pour l'état de taper sur les banques qui, il faut bien le dire, ne sont pas exemptes de tous reproches plutôt que de refondre un système monétaire au bord du précipice qui profite encore à certains.
# Posté par DUTRIEUX Philippe | 25/06/10 12:20
Sarton du Jonchay's Gravatar La taxation des banques est un expédient pour renflouer les caisses publiques. Il est visible que personne ne considère la contradiction avec le problème de la capitalisation du système bancaire et le risque que la puissance publique prend à puiser des ressources sans démontrer l'efficacité de leur utilisation à la consolidation du système financier.
Paul Jorion m'a permis de publier sur son blog un billet sur la responsabilité publique de régulation financière. J'avance que le vrai rôle des États est de réguler le système financier international et que le marché international transparent du risque qu'ils pourraient superviser serait à la fois la matrice d'un étalon monétaire international et un outil de cotation du risque de crédit. Qu'en pensez-vous ?
http://www.pauljorion.com/blog/?p=13225
http://pierresartondujonchay.over-blog.com/ext/htt...
# Posté par Sarton du Jonchay | 25/06/10 19:10
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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