Crise de type 1929 ou 1993 ?
La crise économique que nous traversons depuis le blocage du marché interbancaire en juillet 2007 n'a pas encore livré tous ses secrets.
En 1929 après le choc de la chute boursière et les désordres qui ont suivi, il a fallu attendre 1932 et 1933 pour voir tout à coup l'ensemble du système financier s'effondrer, au milieu des réactions désordonnées des états et des banques centrales.
Il y a vingt ans, la crise commence en 91 aux Etats-Unis arrive au RU et dans les pays exportateurs en 92 et frappe de plein fouet la France en 93. La reprise est là dès 95. Le coup de massue fiscal d'Alain Juppé en 1996 provoque une récession qui ne dure pas. La phase de reprise arrive début 1997 grâce à une forte dévaluation du Franc vis à vis du dollar.
Comme nous l'avons souvent écrit, une crise de type 1929 n'est pas prévisible. Elle dépends trop étroitement des réactions des Etats. La seule chose que l'on peut faire est de signaler les erreurs majeures et espérer qu'on sera compris et entendus, ou que les états ne feront rien de dramatique.
La crise actuelle peut déboucher sur le pire si les mesures ad hoc ne sont pas prises. Nous l'avons écrit dès 2007 et répété en 2008. Faute d'un vrai diagnostic on a vu que le G.20 a pris des options purement d'attente ou cosmétiques et qu'aucune action internationale d'envergure n'a cherché encore à traiter les causes. Nous avons alors expliqué les risques courus et signalé que le développement du désordre viendrait des monnaies et du crédit. Nous y sommes en plein.
S'il est impossible de dire dès aujourd'hui si on entrera dans une crise de type 1929, on peut déjà signaler les ressemblances avec la crise de 1993.
Rappelons que cette crise avait été la première vraie récession d'après guerre (la première depuis 1929) ; elle avait fait baisser les PIB de façon significative (de 2 à 4%) ; le système bancaire était ruiné par la spéculation immobilière notamment sur les bureaux ; le commerce international fut fortement ralenti pendant près de deux ans ; l'endettement des états est monté à des sommets ; le chômage est passé dans beaucoup de pays par des pics au dessus de 10% de la population active ; les banques centrales ont ouvert grand les vannes de la création monétaire ; des plans de soutien aux secteurs industriels les plus importants ont été mis en place (juppette après la balladurette) etc.
Bref, en première analyse la crise actuelle est très semblable à celle de 93 sauf qu'elle est plus forte, frappe des états en bien plus mauvaise situation financière, dans un monde où le nombre des acteurs est plus important avec un déplacement du centre de gravité de l'économie mondiale vers l'Extrême-Orient.
On pourrait dire : la crise de 2007-2010 sera de type 1991-1993, en plus grave, si les politiques des états ne la transforment pas en crise de type 1929.
Il est toujours amusant et instructif de relire les livres ayant traité de la grande crise économique d'avant. Michel Albert et Jean Boissonnat avaient fait paraître au Seuil "Crise Krach Boom" juste après le krach boursier de 1987 , éclair dans un ciel tranquille qui avait tout à tout interrogé sur la fragilité du nouveau système mondial qui se mettait alors en place, après la correction du début des années 1980 et la fin de la stagflation (surpris par le nouveau système de changes flottants les états avaient persisté pendant les années 70 dans un keynésianisme de façade qui avait eu des résultats désastreux).
Le texte comprend de nombreux passages qui pourraient être repris aujourd'hui sans en changer une ligne.
"Au banc des accusés on voit défiler l'informatique, la dérèglementation, les nouveaux instruments financiers, les "golden boys" et autres "raiders", dans un cortège multicolore où les techniques les plus sophistiquées semblent avoir pactisé avec la perte du sens moral pour se mettre au service d'un nouveau capitalisme sauvage".
La notion de "raiders" a été remplacée par celle de Hedge Funds. A part cela quelle actualité ! Il ne manque que la dénonciation du "court termisme" pour faire un article de 2010.
Cette crise boursière n'a pas été réellement comprise. A la fois très violente et sans grandes conséquences sur l'activité elle a laissé les analystes un peu perdus. Personne n'avait alors compris que dans un système de changes flottants, de dérèglementation et d'ouverture forcenée des échanges financiers, où les banques centrales cherchent à maîtriser les prix et où les salaires sont comprimés, l'épargne et le crédit se déplacent de l'industrie vers la spéculation. Une grosse partie de la création monétaire se retrouve dans les prix des biens durables et non plus dans les produits de consommation. Le double accélérateur de la spéculation sur les monnaies et les actifs provoque alors des montées de prix vertigineuses qui ne peuvent pas durer et entraînent de sévères corrections.
Rappelons qu'en quelques heures le 19 octobre 1987 le Dow Jones avait perdu 22.6% de sa valeur soit près du double du vendredi noir de 1929 ! La correction sur le dollar sera également très forte.
Faute de comprendre ce mécanisme fondamental Greenspan qui vient d'arriver à la tête de la FED va changer radicalement la politique suivie jusqu'ici par Volcker et ouvrir toutes les vannes de la création monétaire. Le résultat : la défiance vis à vis de la bourse reporte les déséquilibres vers l'immobilier. De 88 à 91 se développe une spéculation notamment sur les bureaux comme on n'en avait jamais vu. Les banques y vont à fond parce que , déjà, la rentabilité des prêts classiques à l'industrie est très faible et que la spéculation est la seule source d'argent facile. En France les crédits à l'immobilier de bureau sont multipliés par 7.
La bulle explosera à partir de 91 et ravagera le monde jusqu'en 93.
Nos auteurs ont bien vu un aspect critique du phénomène : "La désorganisation du système monétaire international depuis l'abandon des règles instituées à Bretton Woods au lendemain de la dernière guerre a contraints les marchés à se garantir contre certains risques. A la plus forte fluctuation des titres qui a résulté de l'intervention des investisseurs institutionnels, s'ajoute la fluctuation des changes et des taux".
Sous l'influence de Milton Friedman, malgré l'échec de ses recommandations monétaristes au début des années 80, l'idée s'est installée que les mouvements de capitaux pouvaient être entièrement libérées sous réserve de laisser fonctionner les changes flottants. La limitation de l'inflation a permis de reconstituer un peu partout une forte épargne qui auparavant était érodée par l'inflation. Des masses énormes de capitaux pouvaient désormais courir le monde mais le monde était devenu plus dangereux. Ces énormes masses, gérées dans peu de mains, et désormais sans contrôle national, se déplacent par spasmes. Henry Kaufman, une des grandes écritures de l'époque résume les causes de la crise de 87 dans un article dans le Herald Tribune le 8 février 1988 : "la dérèglementation, l'innovation financière, la mondialisation des marchés de capitaux, l'institutionnalisation de l'épargne qui concentre les décisions entre quelques mains, la mobilité des actifs financiers que l'on a tendance à transformer en titres négociables comme on le voit aussi bien avec la dette du tiers monde. Un prêt bancaire devient ainsi un titre négociable comme une simple obligation".
On ne parlait pas encore de "subprimes" et peu de titrisation, mais la technique était déjà là. Dans le marché mondial on achète de tout sous des formes de plus en plus techniques et on a peur de tout ce qui implique le développement de protection plus ou moins illusoires et surtout de paniques auto entretenues lorsqu'une classe d'actifs (ou de dettes, c'est la même chose dans le monde bancaire) vient à être suspectée.
Le mouvement, qui était en route depuis la fin des années 80 (c'est à ce moment que se développe les salles de marchés dans les banques) va alors constamment se perfectionner. On allait voir la constitution des hedge funds, externalisation de la fonction de spéculation hors des banques, puis le développement de la titrisation, jusqu'au CDO, et de l'assurance crédit sous forme de CDS. Ajoutons que la notation de tous ces produits est indispensable et que les agences spécialisées vont désormais prospérer.
Le seul ennui c'est que cette maison est en papier. Elle va bruler à plusieurs reprises et devra être constamment sauver par les Etats, comme le rappelle très justement Joseph Stiglitz. La crise de 91-93 puis la chute de LTCM, puis la panique devant le risque oriental, puis la crise de 2001-2002, voient les énormes masses flottantes canalisées dans des "véhicules" de plus en plus complexes et obscurs dévaster le monde. A chaque fois Greenspan ouvrira les gros robinets monétaires. Comme le disent nos deux auteurs "quand l'économie flambe on l'éteint avec de la monnaie. Personne ne se préoccupe de savoir si cela ne ressemble pas finalement à tenter d'éteindre le feu avec de l'essence".
La panique devant la dette grecque ou hongroise , après la panique sur les crédits immobiliers, répondent exactement aux même mécanismes, aggravés et amplifiés.
On retrouve même l'explication que nous donnons nous même de cette série de crises : les auteurs comprennent que le système monétaire international basé sur le principe des changes flottants et d'une monnaie de réserve nationale (le dollar) dont les autorités ont décidé de ne pas se préoccuper (le Benign neglect) est à l'origine des déséquilibres. De même qu'aujourd'hui on pointe le couple Chine excédentaire et Etats Unis en déficits, les deux balances jouant en même temps et en sens inverse pour déverser des liquidités gigantesques sur le monde, les auteurs suspectent la relation Japon-Etats-unis qui entraînent le Japon vers une surépargne qui sera périodiquement ruinée (provoquant l'installation d'une dette d'état colossale pour sauver les banques) en même temps que l'économie des Etats-Unis n'épargnent plus et comptent sur le crédit pour sa consommation. Il note bien que la croissance, quand elle est là, puisque le trend est ralenti par rapport aux trente glorieuses, est partout correcte, sauf en Europe, dindon de la farce et surtout en France, entravée par le "programme commun de la gauche", les 39 heures, la retraite à 60 ans et autres démagogies.
Il faut être aveugle pour ne pas voir les ressemblances avec la situation d'aujourd'hui. On lira le reste : le chapitre sur la "montagne de dettes", l'autisme des Etats, la désinformation dans les médias appelée le "krach de la communication", "le Rubicon monétaire". Les auteurs en appellent finalement à une refonte institutionnelle : la création d'un état minimum mondial.
La mondialisation par les changes flottants, la dérèglementation, la concentration des intermédiaires financiers, cela ne peut pas marcher.
C'était déjà parfaitement clair en 1988.
On voit que rien n'a été fait pour que les changes flottants soient abandonnés, que le dollar cesse d'être la monnaie de réserve internationale, que les mouvements de capitaux soient mis sous un strict contrôle, et que la convergence des politiques nationales s'institutionnalise au moins a minima.
L'Europe a unifié sa monnaie mais sans comprendre les nécessités institutionnelles d'une zone de monnaie unique ni les dangers d'un oasis de fixité dans un océan de flottement monétaire.
La Chine a relayé le Japon et l'Allemagne comme créancier des Etats Unis.
La double pyramide de crédits a atteint des sommets monstrueux.
Nous en sommes là. Avec des économistes de cour à côté de la plaque, des journalistes qui regardent du mauvais côté, un krach de l'information toujours aussi profond, un silence total des états sur le tabou des changes flottants., une accumulation de dettes dont plus personne ne sait comment se débarrasser.
Et pourtant tout est clair. Depuis des décennies !
Des décennies !
Quelle honte !
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Le reste du monde ne pouvait soit qu'en profiter ou subir.
Vous avez raison, c'est une honte car beaucoup étaient au courant.