Le Bilan de 2010

Ce blog a connu un record d'affluence en 2010.  Avec  55.555 lectures cumulées au 31.12.2010, à 20 h30. Il a pratiquement doublé son rythme de croissance par rapport à 2009, en faisant une des sources de réflexions économiques françaises  indépendantes les plus lues.

Comment expliquer cette poussée de lectorat ?

L'article le plus lu, avec près de 1900 lectures, concerne Maurice Allais. La mort de notre seul prix Nobel d'économie est certainement la raison de cet intérêt soutenu. Le fait que nous avons toujours défendu Maurice Allais, tout en précisant avec soin les points qui nous séparent,  et l'actualité de ses réflexions dans la crise actuelle ont certainement joué un rôle.  La manière dont les médias français ont traité Maurice Allais est en tout point exécrable.  Sa mort a permis de corriger un tant soit peu cette situation. Tout le monde aujourd'hui s'accorde sur l'originalité et la force de son apport à la science économique.  Il faut dire que la réalité de la crise lui a donné largement raison : ce qui devait arriver est arrivé !


Cette fin d'année nous conduit à nous pencher sur une certain nombre de prises de positions faites précédemment sur ce blog et qui ont trouvé leur confirmation factuelle en 2010.

Nous avions annoncé que le RSA serait un échec. L'échec est aujourd'hui patent. Personne n'en tirera de conclusion malheureusement.

Nous avions affirmé que l'ISF et le bouclier fiscal ne pourraient pas rester en l'état. La réforme est désormais annoncée pour le collectif de juin 2010 mais le temps perdu ne se rattrape jamais. On peut craindre que la réforme soit bâclée.


Lorsqu'on recense les prédictions faites par les grandes institutions aucune n'avait mis le risque de dislocation de l'Euro en tête de leur préoccupation.  Nous-mêmes avons souligné inlassablement que le système monétaire international était en première ligne aussi bien comme cause de la crise que comme élément de la solution.  Nous alertions sur la question Espagnole et Portugaise.  C'est la Grèce qui a commencé le bal. Et nous en sommes maintenant à "la guerre des monnaies" avec un risque structurel sur la zone Euro.

Après la récession de 2009, contenue au prix d'un endettement phénoménal et historique des états, nous pensions qu'il n'y aurait pas de grande reprise.  En France la production industrielle s'est maintenue à 90-92% des valeurs de 2007.  Dans la mécanique où le coup de massue avait été sévère, avec un recul de près de 30% du CA pour 80% des entreprises du secteur, le chiffre s'est stabilisé à moins 15%.

La bourse  a stagné en France. Les prévisions de Goldman Sachs qui voyait le CAC 40 à 4800 se sont révélées totalement fausses.

Le commerce international  a repris par bouffée.  Une bonne fin de premier trimestre, puis un bon début de second trimestre , ont donné l'illusion d'une vraie reprise. Mais tout cela a fait long feu.

La Chine a certes libéré une partie de ses réserves de changes d'une part en faisant des stocks de précaution, d'autre part en activant le crédit en Chine. Cette pratique du stop and go est désastreuse.  Il eût bien mieux valu qu'elle libère le crédit au fur et çà mesure et qu'elle n'accumule pas des réserves absurdes en maintenant un cours du Yuan dévalué. Le résultat a été des achats spéculatifs au Brésil et dans de nombreux pays sous développés qui ont connu ainsi une certaine expansion.   Mais le boom du crédit interne se heurte à un phénomène d'inflation.

L' Allemagne dont les exportations ont été tirées par ce dégagement chinois  a connu un rattrapage plus rapide que le reste de l'Europe après une récession plus profonde. Mais on voit que les circonstances de cette poussée ne sont pas reproductibles.

Les grandes réformes mondiales concertées ont porté uniquement sur des broutilles : le capital des banques,  les bonus, la comptabilité.  

En l'absence de réforme du système monétaire international , la spéculation a repris de plus belle et les dangers multiples du système actuel pèsent sur l'avenir.
Le surendettement global n'a été diminué qu'à la marge. Aucune restructuration n'a été faite. On refinance indéfiniment avec des liquidités banques centrales des crédits qui ne correspondent plus à aucune réalité économique.  Comme le Scarabeus Sacer le monde des banques roule sa boule de crottin devant elle en priant pour que cela dure.

Comme en 93 les états se retrouvent avec des finances publiques désastreuses et ont la tentation du coup de massue fiscal.  En 96, trois ans après la crise de 93, Alain Juppé avait appliqué cette méthode provoquant une récession  induite.  La leçon a porté. On a choisi cette fois-ci le grignotage fiscal et la réduction des dépenses publiques.  On peut déjà prévoir le résultat : dès que la croissance reprendra un peu de vigueur, la France va connaître le joie d'un taux de prélèvement record. En surajoutant à un impôt progressif de nouveaux impôts on obtient un  effet de double croissance des prélèvements.  Faire jouer la progressivité aurait suffi

Les prélèvements vont être augmentés sur toute la partie épargne et patrimoine.  Les entrepreneurs français qui sont déjà dans une situation structurelle de manque de capital  vont voir leur situation s'aggraver. Les cadres qui avaient réussi à accumuler du capital vont être sanctionnés.  Le fisc français va saccager l'épargne de précaution des Français,  un peu comme les soviétiques avaient fini par confisquer les semences et pas seulement la production de grain consommable lors de la dékoulakisation.

La paralysie française a de nouveau  de beaux jours devant elle.

Partout on reprend des refrains sur la fin d'un monde, d'un système, d'un modèle de développement et on recherche de nouveaux paradigmes.

Tout le monde a désormais compris que pour les Etats-Unis gonfler les déficits et  soutenir la consommation par le crédit international  était une voie sans issue. C'est mieux que dans les années 90 où on nous expliquait bêtement que ce système était le moteur de la croissance indéfinie.  Mais faute d'avoir compris le pourquoi de cette situation et d'avoir entrevu les solutions à apporter, ce constat reste vain. 


Tout le monde a désormais compris que  le mercantilisme  débridé d'un état anti démocratique et basée sur le nationalisme voire le racisme Han, dont le seul attrait est la masse de la population  éveillée à la consommation, ne servait pas les intérêts bien compris du monde.  Mais lorsqu'on a choisi un système monétaire basé sur le n'importe quoi et les relations de puissance et de force, comment s'en plaindre sans changer le système monétaire international ?


Tout le monde a désormais compris qu'un système de monnaies administratives gérées par des institutions techniques spécialisées n'ayant comme seul objectif que de maintenir la valeur de la monnaie par rapport à un indice de prix à la consommation  était une catastrophe intellectuelle et pratique. Passer de l'analyse à l'action sera plus dur.  


Tout le monde a compris qu'il ne s'agit pas d'une crise des" subprimes". Les subprimes n'auront été qu'un détail dans le tableau général de la dette débridée dépassant plusieurs fois le niveau du PIB des Etats.  Ce ne sont pas les subprimes qui expliquent les difficultés de refinancement de la Grèce et les risques d'éclatement de la zone Euro !  Mais comme la crise des subprimes est facile à comprendre (après coup), les nuls  (notamment dans la presse et l'enseignement) continueront à  s'accrocher à cette explication qui n'en est pas une.

L'amusant est de comparer les politiques alternatives annoncées dans chacun des pays.  Partout le même triptyque apparait : recherche, enseignement, écologie.  C'est mobilisateur, politiquement correct  et parfaitement vain.

La croissance dans un monde où des millions d'ingénieurs et de techniciens passent leur temps à améliorer tout et à imaginer de nouveaux produits,  n'a aucun besoin de coups de fouets artificiels ni de plans mirifiques.  Il n'y a aucune raison que les forces qui soutiennent le trend  faiblissent. Au contraire le monde peut connaître une phase de croissance considérable, en tout cas aussi considérable que celle que l'on a connu depuis deux cent ans.  Jamais il n'y a eu autant de nouvelles opportunités, de nouveaux consommateurs, de nouvelles opportunités d'innovation.

La véritable urgence est de réformer ce qui blesse la croissance et l'organisation pacifique du monde.

Il faut réformer le système monétaire international. C'est la priorité des priorités.   Dès qu'une monnaie réellement internationale aura vu le jour avec un système de changes fixes mais ajustables de façon concertée,  la spéculation s'effondrera, l'horizon économique des entrepreneurs  réapparaîtra, la croissance reprendra.

Est-ce que sans cette réforme la reprise est impossible ? Non. Le monde s'est remis de la crise de 74, de celle du début des années 80, de celle de 92-93, de celle de 2001-2002. Mais on a vu qu'à chaque fois elle en sortait plus mal et plus déséquilibrée, les conditions de la sortie de crise devenant les causes de l'entrée dans la crise suivante.

Aujourd'hui nous sommes dans une situation où tous les agents économiques souffrent à raison des conséquences  des politiques structurellement fausses suivies depuis 1973.  Alors que le trend de croissance est toujours là et aussi puissant.  Les pays qui comme la France ont fait le choix de l'étouffement fiscal  stagneront dans la durée.  L'Europe  prisonnière de ces contradictions essaiera de manœuvrer pour essayer de dégager la charrue qui est désormais bien calée sous les pieds des boeufs.  Les Etats-Unis  n'ont pas défini de stratégie alternative : leur horizon est médiocre. La Chine ne pourra pas indéfiniment poursuivre une politique mercantiliste. Le Japon ne peux plus laisser sa monnaie s'apprécier plus avant tout en laissant l'endettement interne atteindre des sommets phénoménaux.  

 
Donc quelque chose cèdera.  A l'impossible nul n'est tenu .


2006 avait été l'année de l'illusion : on était sorti de la crise de 2001-2002. Mais dès juillet aux Etats unis la construction avait baissé ainsi que les prix de l'immobilier. Et le marché des CDS s'emballait.


2007 aura été l'année de l'incompréhension.  Le marché bancaire s'était bloqué. On ne comprenait pas pourquoi.  Les banques tentaient de se passer le mistigri des mauvaises dettes. Mais l'économie était en pleine phase de haute conjoncture. Le petit nuage noir du marché interbancaire surprenait dans le ciel grand bleu de la croissance.


2008 aura été l'année de la stupeur : une crise de type 1929 était finalement possible alors que tout allait si bien.


2009 aura été l'année du choc. L'effondrement économique est énorme. Du jamais vu depuis les années trente. Les banques centrales sont débordées. Les Etats entrent en jeu. Tout le monde fait ce qu'il s'était juré de ne jamais faire.  


2010 aura été l'année de la faillite des illusions. La guerre des monnaies, la déréliction des finances publiques des Etats sont venus à bout des certitudes.  Les banques centrales vertueuses se mettent à faire tourner la planche à billets. Les politiques ne savent plus à quel saint se vouer. Partout dans le monde les Etats tirent à hue et à dia en se moquant des "consensus"  dont on se repaissait naguère.


2011 sera l'année de la peur.  Normalement l'année devrait être une année de consolidation avec un rattrapage faible mais réel .  Comme tout peut arriver, les agents vivront dans la peur. Peur de l'explosion des prix des matières premières et notamment du pétrole ; peur de l'explosion de la zone Euro ; peur de perdre toute son épargne ; peur de perdre son emploi ; peur que sa progéniture n'arrive pas à s'insérer dans les nouveaux  courants économiques ; peur de mouvements sociaux destructeurs ; peur de l'effondrement des banques… et le H1N1 revient !  


Si les Etats se concertaient autour d'une réforme structurelle des changes et du système financier mondial, montrant à la fois qu'ils avaient compris la crise et mis les moyens d'en sortir dans la durée, toutes ces peurs s'évanouiraient en un instant.  
Notre vœux pour 2011 est tout trouvé :

Sortir de la peur !


par la réforme du système monétaire international.



Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.



Commentaire
Micromegas's Gravatar Bravo pour votre fréquentation record. Elle ne m'étonne pas. Depuis que je vous suis, trois ans maintenant, vous ne vous êtes pratiquement jamais trompés. Et vos analyses sont très claires.

Une bonne année 2011 qui je l'espère sera un aussi bon cru.
# Posté par Micromegas | 01/01/11 22:58
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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