Un vrai débat : les exonérations de charges sociales
Le débat sur les 35 heures est assez largement un faux semblant dans la mesure où l'essentiel n'est pas la durée du travail, sauf dans le secteur public, mais la question des exonérations de charges. A l'occasion des trente-cinq heures le gouvernement a exonéré de charges sociales les bas salaires.
La formule était alambiquée. En juillet 2002, c'est-à-dire juste avant les exonérations Fillon, elle se présentait ainsi :
· 1 114,35 € / rémunération mensuelle - 3 238,57 €) / 12".
Comme les charges patronales représentent près de 50% du coût des salariés de cette catégorie, cela revenait à baisser fortement le coût du travail, même si, on le voit, la réduction n'a pas porté sur la totalité des 50% dont on parle, alors que la hausse nominale liée aux trente cinq heures était de 11%. Compte tenu de la stagnation des salaires qui a suivi le passage aux 35 heures et aux nouvelles facilités d'organisation qui ont permis bien souvent de supprimer bien des empilages de règles paralysantes, les entreprises s'en sont bien trouvées.
On n'aurait très bien pu effectuer ces transferts de charges sans imposer une réduction du travail. Juppé l'avait fait pour essayer de freiner le chômage liée à la récession de 1993. La loi Aubry II fusionnera ce dispositif avec le sien.
Comme toujours le cadeau était provisoire : 5 ans. En 2003 Fillon pérennisera le dispositif d'exonération.
Depuis le double choc pétrolier, la question des charges sociales payées par l'entreprise est posée. Moi-même avait écrit à cette époque sur ce que certains avaient appelé à l'époque "la marche de Dufau", c'est-à-dire l'incroyable différentiel de charge nette entre un chômeur et un employé. Le retour à l'emploi représentait pour le gouvernement le passage d'une situation où la personne concernée était entièrement aux allocations à une autre où son emploi était l'occasion d'un prélèvement du double du salaire net. Pour un retour à l'emploi l'Etat gagnait de quoi financer deux chômeurs ! Je préconisais des transitions plus douces …
La poussée de la gauche allait mettre un terme aux réflexions sur l'abolition du "double fiscal du salarié français" qui continuera à cheminer et sera reprise sous la notion de "TVA sociale", c'est-à-dire du report des charges sur le consommateur pour égaliser la concurrence entre fournisseurs internes ou étrangers.
Le retour des énarques au pouvoir avec Chirac puis Rocard posera à nouveau la question de la diminution des charges sur l'entreprise. On ne bruisse dans ces milieux que des moyens de réformes fiscales permettant de transférer l'impôt de l'entreprise et de la consommation sur le revenu des Français mais sans passer par l'impôt progressif sur le revenu qui est totalement mité et que la réforme Balladur va concentrer sur une fraction minime des ménages.
L'erreur de Rocard est d'avoir envisagé la CSG comme moyen de financement du RMI et des déficits sociaux. Au lieu de transférer des charges on en a ajoutées. La CSG sera le moyen de prélever 10% de PIB de plus, sans aucun transfert. Une erreur formidable. Si une partie des charges sociales avaient été transférées à ce moment là sur la CSG cela aurait eu du sens. Mais Rocard a eu peur que, dans son camp, l'on dénonce un "cadeau au Medef" dont la contrepartie serait une perte de revenu de l'ensemble des Français.
Juppé, pour faire face au chômage résultant de la crise de 93, fait voter les premières réductions de charges patronales. Il assomme le pays d'impôts et crée, tout seul, la récession de 96 propre à la France. On ne peut pas dire qu'il a transféré les charges patronales sur la dette bien que celle-ci se soit immensément gonflée comme d'habitude du fait de la récession. Les exonérations ont été largement couvertes par les hausses d'impôts.
Depuis centre, droite et gauche ont considéré qu'on pouvait allègrement dégrever les charges sociales patronales pour des raisons d'opportunité. Après les exonérations Aubry, liées aux 35 heures, une flopée d'autres exonérations a fleuri. La dérive culminera lors de la campagne présidentielle de 2007 lorsque le président du Modem proposera de supprimer les charges sociales sur chaque nouvel embauché dans les PME-PMI, pendant que le président de l'UMP préconisait l'exonération des charges sociales sur les heures supplémentaires.
Aujourd'hui la liste des exonérations est sans fin :
Allègement général sur les bas salaires
Réduction générale des cotisations patronales de sécurité sociale ("réduction Fillon")
Apprentissage, qualification et stages
Contrat d'apprentissage Contrat de professionnalisation Parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale, hospitalière et de l’Etat (PACTE)
Stagiaires en entreprises
Titulaires de minima sociaux, publics fragiles
Contrat d’accompagnement dans l’emploi Contrat d’avenir Convention de reclassement personnalisé Contrat de transition professionnelle Structures d’aide sociale Associations intermédiaires
Services à la personne
Aide à domicile employée par un particulier fragile Aide à domicile employée par une association ou une entreprise auprès d’une personne fragile Aide à domicile employée par une association ou une entreprise auprès d’une personne non fragile Abattement de 15 points en faveur des particuliers employeurs cotisant sur l’assiette réelle.
Secteur agricole
Contrat vendanges Taux de cotisations réduits pour l’emploi de travailleurs occasionnels agricoles Suppression de la cotisation de solidarité pour certains associés de sociétés de personnes non affiliés au régime des exploitants agricoles Embauches de salariés sous CDI par des groupements d’employeurs agricoles Transformation de CDD en CDI par des employeurs de main d’œuvre agricole Embauche de jeunes travailleurs occasionnels de moins de 26 ans
Exonérations ciblées sur certains territoires
Création d’emplois en zones de revitalisation rurale (ZRR) ou urbaine (ZRU) Organismes d’intérêt général et associations en zones de revitalisation rurale (ZRR) Zones franches urbaines (ZFU) Associations en zone franche urbaine (ZFU) ou en zone de redynamisation (ZRU) Contrat d’accès à l’emploi dans les DOM Contrat d’insertion par l’activité dans les DOM Entreprises implantées dans les DOM
Exonérations ciblées sur certains secteurs d’activité
Avantage en nature repas dans les hôtels, cafés, restaurants Jeunes entreprises innovantes Exonération de cotisations d’allocations familiales pour certains régimes spéciaux de sécurité sociale Exonération de cotisations patronales dues pour les marins salariés Exploitation de l’image collective du sportif.
Exonérations applicables aux travailleurs non salariés non agricoles
Aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d’entreprise (ACCRE) Aide aux salariés ou aux titulaires de l’allocation parentale d’éducation, créateurs ou repreneurs d’entreprise Exonération pour travailleurs indépendants en ZFU et ZRU
Exonération pour travailleurs indépendants dans les DOM Correspondants locaux de presse
Volontariat Volontariat pour l’insertion Volontariat dans les armées Volontariat civil Volontariat de solidarité internationale Volontariat associatif
Avantages directs consentis aux salariés, entrés en vigueur postérieurement à la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie Aide du comité d’entreprise ou de l’entreprise pour le financement d’activités de service à domicile – CESU pré-financé Attribution d’actions gratuites Bonus exceptionnel 1 000 euros (mesure exceptionnelle 2006)
Dispositifs résiduels Dispositifs résiduels porteurs d'effets au-delà du 31 décembre 2006 Contrat de retour à l'emploi Entreprise d'insertion Entreprises de travail temporaire d'insertion Contrat emploi-solidarité (CES) Contrat emploi consolidé (CEC) Dispositifs résiduels clos au 31 décembre 2006 Aide incitative à la RTT (dite Aubry I) Réduction des cotisations patronales en faveur de l'aménagement et de la réduction conventionnelle du temps de travail (dite De Robien) Abattement 30 % pour les emplois à temps partiel Contrat de qualification Contrat d'insertion – revenu minimum d'activité (CI-RMA) Zone franche de Corse
Dispositifs anciens Participation financière et actionnariat salarié Intéressement Participation des salariés aux résultats de l’entreprise Plan d’épargne d’entreprise (PEE) Plan d’épargne pour la retraite collectif (PERCO) Stock-options
Participation financière et actionnariat salarié Titres restaurant Chèques vacances Avantages accordés par les comités d’entreprise dans le cadre de leurs activités sociales et culturelles Participation financière et actionnariat salarié Retraite supplémentaire et prévoyance complémentaire Indemnités de rupture du contrat de travail
Le catalogue de La Redoute est battu à plates coutures.
Le seul ennui, c'est que ce bal des exonérations n'a pas été financé. La perte de recette a été immédiatement et en très grande partie reportée sur la dette !
La dette ne coutant pas cher à l'époque compte tenu de la politique de Greenspan à la FED, cela ne paraissait pas grave. L'euphorie de la fin des années 90 puis les urgences de la récession de 2001 se sont conjuguées pour que le transfert des charges viennent constamment aggraver les dettes sociales et fiscales.
On n'a jamais vraiment souligné l'importance de la réduction de coûts pour les entreprises. Elle est très importantes compte tenu que les charges sur salaires sont pratiquement équivalentes au salaire net pour les smicards, dont le nombre a été artificiellement enflé par la pratique systématique du coup de pouce au SMIC.
Toutes ces exonérations renvoient sur la dette des sommes extrêmement importantes : plus de 12.milliards d'euros par an depuis 10 ans , plus de 150 milliards de dettes cumulées depuis la loi Aubry II.
Que faire de cet avantage non financé qui plombe nos finances publiques alors que nous devons absolument entreprendre une réduction de notre dette ?
Le Medef souligne "que la suppression des allègements de charges liés à la durée du travail aurait un effet désastreux sur l'emploi". C'est sûr : si on revenant à la situation antérieure les entreprises subirait une hausse de près de 25 % de leur coûts salariaux pour les salariés concernés !
Les faire supporter par le salarié ? Impossible. Sur la TVA ? Ce serait la meilleure solution, mais la hausse serait telle que cela générerait une baisse du pouvoir d'achat intolérable.
La question reste non tranchée à ce jour. On se contente de grignoter. Une partie des transferts vont être rognés, comme par exemple pour l'emploi domestique. On va augmenter les impôts directs. On tente de limiter la hausse des dépenses.
Autant dire que le problème reste entier . Il est dommage qu'il ne soit posé qu'à travers la question des trente-cinq heures. La France est obligée de trancher. Et le débat doit s'ouvrir spécifiquement sur cette question.
Espérons que les médias s'en saisiront. Mais on peut en douter. Les socialistes n'aiment pas rappeler qu'ils ont fait un énorme "cadeau au patronat" et la droite ne souhaitera pas apparaître à contre-emploi comme le groupe politique qui aura renoncé à ce cadeau.
Alors on glosera sur les mfits, réels, du passage aux 35 heures, dans la lumière des médias, mais en cachant la face fiscale obscure. Ce qui permet à chacun de se trouver dans son rôle politique naturel.
On laissera dans la pénombre la question essentielle :
Doit-on réellement continuer à transférer sur la dette une partie des charges patronales ?
Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |