La Chine change-t-elle de modèle de développement ?

La Chine n'a pas renoncé aux plans quinquennaux.  Elle vient de définir le nouveau (le douzième). Il marque  dans les intentions une considérable évolution par rapport au modèle de développement précédent et à la politique suivie depuis 20 ans.

Rappelons que la Chine est un pays communiste avec  des reliquats d'organisation propres à cette organisation.  Les hommes sont attachés à leur lieux de naissance et les mouvements de population sont rendus complexes par les mesures administratives.  Ces dispositions sont entièrement  contradictoires avec la flexibilité nécessaire pour soutenir la croissance économique et pour mettre en place un régime minimal de sécurité sociale.  Les rendements agricoles sont très faibles. La part de la consommation dans la production est d'environ du tiers.  La retraite est si basse qu'il vaut mieux considérer qu'elle n'existe pas.  En un mot la population est encadrée et sacrifiée, la particularité des régimes communistes.

Le modèle de développement a donc été conduit presqu'entièrement sur une base mercantiliste : exploiter une main d'œuvre surabondante pour fournir le monde et accumuler des devises.   Une monnaie artificiellement basse, des salaires de misère, une discipline de fer et l'absence de lois sociales ont  permis  de capturer  une part croissante de la production mondiale et de doter la Chine de réserves monétaires  gigantesques.   

La crise de 2001-2002 et surtout la crise de 2008-2009 remettent en question ce modèle.  Le nouveau plan traduit cette remise en cause.

les dirigeants ont parfaitement compris les points suivants :

- La valeur des réserves accumulées  est largement nominale. Que le dollar s'effondre et il n'en restera pas grand chose.  La diversification de ce patrimoine s'avère extrêmement difficile et aléatoire.

- L'acceptation par les pays occidentaux de la sous évaluation massive du Yuan est menacée.  La Chine est sommée de cesser sa politique mercantiliste et la promesse d'une croissance interne plus forte est la seule raison qui maintient ces pressions  à un niveau agréablement diplomatique. 

- La dépendance aux exportations a montré son danger avec la récession qui a privé d'emplois des millions de Chinois et déstabilisé la société.  Obligés de rentrer dans leur campagne, là où ils peuvent trouver un minimum de sécurité sociale  et où ils sont  administrativement  rattachés, ces millions de chômeurs présentent une menace pour le régime.  Car il n'y a strictement rien à faire dans ces campagnes pour eux.  Des dizaines de  millions de "disoccupati" risquent de devenir incontrôlables. Quelques incidents sont venus le rappeler aux dirigeants chinois.

- Les mouvements de capitaux étrangers sont instables et généralement orientés vers les profits à court terme de la bourse et de l'immobilier. Ils provoquent des bulles qui en éclatant désorganisent le pays.

- La politique de relance suivie par la Chine a été brutale et indiscriminée.  Basée sur les instances du parti plus que sur les entreprises elle a provoqué un gaspillage de ressources, de la corruption et une solide inflation qu'il est désormais difficile de calmer et qui risque d'engendrer à nouveau des troubles sociaux.

Les orientations du plan annoncent donc une remise en cause de ce modèle.  La Chine déclare vouloir s'appuyer sur une meilleure croissance interne, fondée sur une hausse du revenu et de la consommation  des populations. Certaines des mesures d'encadrement administratifs de la population seraient revues, permettant une plus grande souplesse du marché du travail. La productivité agricole serait fortement améliorée, entraînant  l'émigration d'une forte partie de la population paysanne qui serait accueillie en zone urbaine.  Le système da retraite  serait rebâtie sur des bases un peu moins illusoires.  La Chine ferait même des efforts d'écologie.

La consommation pourrait ainsi augmenter de 10 points dans le PIB ; le taux d'épargne des Chinois pourraient baisser ; les excédents commerciaux seraient limités , la Chine voyant ses importations fortement augmenter en produits de consommation et pas seulement en matières premières et équipement.

Reste à voir si ce plan sera effectivement mis en place.  On sait déjà qu'il sera mis en place avec la sage lenteur propre à la culture locale.  Les financiers occidentaux en sont restés à la pure spéculation vis-à-vis des marchés chinois, pendant que les entreprises mondialisées rêvent encore des perspectives glorieuses de croissance qu'offrent "le plus gros marché du monde".

Ce qui veut dire que les occidentaux participeront au maintien du modèle d'avant avec une belle frénésie.  Et cela malgré le fait que les Chinois veulent des entreprises leader chinoises sur leur marché local et feront beaucoup de difficultés à laisser quelques géants mondialisés dominer leur propre marché intérieur.

La Chine participera plus à l'aggravation de la hausse des cours des matières premières qu'au rétablissement de courants commerciaux équilibrés pendant bien des années encore.

Les Etats unis souhaitant continuer à inonder le monde de dollars via un système de changes flottants biaisés pour financer le "rule américa", favorisant le mercantilisme chinois, il y a peu de chance  que les bonnes intentions affichées donnent les résultats escomptés. L'Occident aurait du accompagner l'esquisse de changement du modèle Chinois  par un large changement de leur propre modèle.

Le moyen le plus simple était de commencer par revenir aux changes fixes avec des obligations d'équilibres fortes pour toutes les parties prenantes et d'abord les Etats-unis et la Chine. La Chine aurait alors été tenue de mettre en œuvre son plan sous l'œil des autres.  Bien sûr cela cassait ce système idiot et destructeur qui voulait depuis 20 ans que les déficits américains  fussent financés par des excédents  produits par des politiques chinoises destructrices de l'industrie occidentale.

Mais au total qui en est sorti  gagnant ? La "grande récession" l'a montré : personne.  Le créneau des réformes en Occident s'étant désormais refermé,  le scénario le meilleur pour le retour à une croissance équilibrée et durable dans le monde ne peut plus jouer dans les meilleures conditions.

Et on aura créé les conditions de la prochaine crise économique, mais pas seulement. 

L'impatience des peuples  est immense comme l'ont montré les troubles dans les pays arabes qui vivent en fait en symbiose avec l'Europe.  Et rien ne dit que la politique déflationniste menée en Europe n'aggravera pas les choses. Déjà l'idée européenne est la principale victime collatérale de la Grande récession.Les mouvements "anti mondialistes" prennent une place politique croissante.  On en vient un peu partout en Europe  aussi bien à droite qu'à gauche à considérer désormais que la vraie  la ligne de partage est entre ceux qui veulent revenir à une logique économique fermée et ceux qui veulent garder une ligne ouverte.   Le protectionniste recommence à devenir à la mode dans les medias.

Il eut mieux valu élargir la vision , prendre la mesure des grands enjeux mondiaux en cours et proposer les solutions qui réellement permettent de trouver des solutions gagnantes-gagnantes pour tout le monde.  La Chine montre qu'elle aurait pu accepter de jouer le jeu de relations plus normales et équilibrées.  On serait passé plus vite du verbe à la réalité.

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile



Commentaire
DD's Gravatar Excellent article dans le Monde du 16 août 2012, d'un certain Mark Léonard directeur d'un Européean Council on foreign relation, sur les difficultés de la Chine. Il change de la couverture béate qui est faite généralement de la Chine et la montre en proie à de solides difficultés. Nous dénonçons la politique mercantiliste de la Chine qui a fondé sa croissance et l'enrichissement de ses élites politiques sur la subvention à l'exportation et le maintien artificiel de taux d'intérêt très bas d'un côté et d'autre part sur le maintien à un niveau ridiculement bas des salaires et des conditions de travail.

Le commerce international n'est juste que si les comptes sont équilibrés et si au final les produits s'échangent contre des produits et le travail contre du travail. C'était la règle clef du système de Bretton Woods : pas de manipulation monétaire ; pas d'excédents monstrueux ; pas de déficits explosifs ; pas de création monétaire débridée ni de manipulations de taux.
Le seul regret est que, publication dans le Monde exige, on mette l'accent sur l'accentuation des inégalités (elles ont toujours été la base du système communiste chinois) au lieu de voir que le cadre global des échanges et notamment le cadre monétaire international est une cause des difficultés rencontrées.

MLa Chine n'aurait pas pu mener les politiques qu'elle suivi si les règles de Bretton-Woods avaient été appliquées.
# Posté par DD | 17/08/12 11:08
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