Les eunuques et le Lupanar

La crise économique majeure commencée avec le blocage du marché interbancaire fin juillet 2007, aggravée par la chute de Lehman Brothers en septembre 2008 et approfondie en récession lourde en 2009, peut être désormais considérée avec un recul de quatre ans.

Quelles réformes a-t-on fait ?

Pratiquement aucunes et le peu qui a été décidé ne concerne que le secteur bancaire.

Il est vrai que comme dans toutes les récessions décennales le dérèglement du crédit est une des sources majeures des difficultés.  Mais est-il juste d'affirmer que le comportement spécifique des banques ou de certaines banques est à l'origine de la crise ? Est-il approprié de mettre une camisole de force aux banques après les avoir consiencieusement sauvées ?

Rappelons que malgré toutes les sottises qu'on écrit sur la question, les banques ne peuvent pas individuellement créer de la monnaie et enfler seule leur bilan.  Or la caractèristique propre de cette crise est qu'elle a vu dans le monde entier et en particulier dans le monde développé le gonflement aberrant de l'endettement privé et public.

L'endettement global qui oscillait entre 80 et 150% du PIB a progressivement fait sauter tous les verrous.  Des pays comme l'Islande ou l'Irlande se sont mis à supporter des endettements supérieurs à 1000% du PIB. Les Etats Unis ont dépassé les 400%. L'Europe est à peine en dessous de ces chiffres.

Il va de soi que les banques sont par nature les manipulateurs de cette dette. Mais sont-elles responsables de leur niveau par rapport au PIB ? Evidemment non.  En revanche la carence de remboursement de ces dettes les met en première ligne. L'effondrement des banques signifierait l'effondrement de l'économie.  Nous sommes donc dans cette situation paradoxale où les banques sont désignées comme les responsables de la crise et sauvées énergiquement...par l'endettement public, porté par ces mêmes banques.

La décence intellectuelle aurait été, pour les économistes, de comprendre et d'expliquer pourquoi les taux d'endettement globaux avaient autant augmenté et le caractère insoutenable de cette hausse.  Dans le monde officiel personne ne s'y est risqué et rares sont les voix qui expriment encore aujourd'hui une explication analytique de ce phénomène.  

Nous avons essayé de le faire ici et on connait notre explication. La conjonction d'une politique monétaire  laxiste  aux Etats-unis et du mercantilisme Chinois a conduit à une double pyramide d'endettement d'une hauteur phénoménale. Les changes flottants et les dérégulations financières ont brouillé et aggravé la situation, empêchant les acteurs de voir les réalités.  Ce théâtre d'ombres a fini par s'effondrer sur la tête des acteurs lors d'un épisode traditionnel du cycle décennal.

La seule réforme qui vaille est naturellement celle du système monétaire international, source principale du désastre.  Un système de monnaies administratives, gérées par des banques centrales plus ou moins autonomes, et dont la valeur s'établit au jour le jour sur le marché flottant des changes, ne fonctionne pas. Point stop.

Dans un tel système plus personne n'est responsable de rien et  les papiers financiers qui s'échangent finissent par n'avoir que le sens qu'on veut bien leur prêter.  Les déficits américains, alimentés par une création monétaire absurde par A. Greenspan et désormais Bernanke, ont été à l'origine d'un gonflement permanent des liquidités mondiales d'autant plus violent que la Chine replaçait systèmatiquement ses excédents eux-même absurdes...sur le marché américain.

La stagnation économique provoquée par la perte  d'industrie en Occident a été partiellement masquée par une politique de crédits intenable dans les domaines de la consommation et de l'immobilier, crédits dont les dangers sont connus.  Et par l'acceptation de déficits publics faciles et peu couteux à financer. Le crédit n'a de sens que si une source de richesse future permet de le rembourser.  L'ennui c'est que le déficit public, la consommation et même l'immobilier n'apportent aucune augmentation de richesse solvable permettant de rembourser. Ils doivent au contraire être financés par une création de richesses exogène.

Le flottement général et l'internationalisation de mouvements de capitaux absolument libres de leurs mouvements, aggravés par la cotation continue des valeurs, qui fait la part belle aux ordres artificiels des ordinateurs, commandés par la seule force interne  de l'évolution du marché, interprêtée  par des algoritmes  et non plus par les besoins des agents,  a littéralement asphyxié toutes les réflexions réelles sur la nature du sous-jacent.

Il va de soi que la seule solution durable était de mettre fin aux changes flottants et de rendre aux Etats la responsabilité de veiller à la fois à la valeur externe de leur monnaie, à l'équilibre de leurs comptes extérieurs  et au plein emploi chez eux.  Ce système esquissé  à Bretton-Woods sur une forme biaisée par la surpuissance américaine de 1944 avait donné les "trente glorieuses". Pas si mal !


La seule solution efficace à la crise supposait des changements radicaux d'attitudes. Les Etats-Unis devaient sortir du Benign neglect ; la Chine, le Japon et l'Allemagne d'un mercantislisme forcené.  Les capitaux courts ne pouvaient être laissés totalement libres. Et les sources de création monétaire exogènes devaient être aussi bien contrôlées que les sources internes.  Des changes fixes, des cotations périodiques et non plus continues, une surveillance par les Etats de leurs principaux indicateurs économiques, un meilleur encadrement du crédit,  n'empêcheraient pas totalement les crises décennales. On sait que leur mécanisme est latent.  Mais elles seraient plus courtes, moins profondes et surtout encadrées par des périodes de croissance plus fortes.

Et tous les agents auraient la tête tournée vers l'avenir.

Les seules réformes faites auront eu pour but de châtrer les banques, après les avoir sauvées, sans changer d'un pouce le système institutionnel global dans lequel elles évoluent.  

En un mot, on veut désormais des eunuques pas trop gras  dans un  lupanar inchangé.  

Mieux vaut en rire.

Didier Dufau pour le Cercle des économistes E-toile.



Commentaire
Rémi's Gravatar "En un mot, on veut désormais des eunuques pas trop gras dans un lupanar inchangé".

Excellente formule qui résume bien la situation.

Remarquer :

"Eunuques pas trop gras, Lupanar inchangé" forme un bel alexandrin !
# Posté par Rémi | 26/06/11 21:26
Sim's Gravatar Vos propos prennent une formidable actualité ces derniers temps. On cherche désormais à consolider les banques pour leur faire avaler... les défauts souverains de la zone euro ! La crise de l'Europe du sud est bien une crise de la dette aggravée par la récession en "double dip". Les banques européennes ont financé les états qui les ont sollicitées étant entendu que les états ne pouvaient pas de par le traité de Maastricht financer directement les états.

Il semble qu'on veuille non seulement châtrer les banques mais leur enlever une jambe en leur imposant un pilon de bois. Tout en leur demandant de courir et de forniquer le plus possible avec les belles du harem (entreprises, états et particuliers).

Tout cela peut paraître grotesque.
# Posté par Sim | 25/10/11 01:26
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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