« L’or des fous » de Gillian Tett.

Nous conseillons de lire le livre en anglais, (Fool’s gold - 2010)  la traduction française étant totalement illisible.  Il n’est pas parfait. L’auteure est journaliste au Financial Times. Le style est facilement familier, perclus de tics et de redites. On sent qu’elle a hésité entre plusieurs sujets. Elle avait suivi pour son journal le développement des outils financiers nouveaux. Elle a voulu en faire l’histoire vue de l’intérieur dans l’intimité des acteurs. Ou alors elle avait commencé un livre sur JP Morgan et les évènements l’ont fait dériver vers la compréhension de la crise bancaire.

Le livre est un peu composite. Il mêle des faits connus et même ressassés sur les CDO et les CDS, en même temps que des descriptions originales du comportement et des propos des acteurs.

La naissance du contrat Bistro au sein de JP Morgan, les hésitations des créateurs devant les dangers de leur œuvre, leur relative prudence à l’égard des outils qu’ils avaient imaginés, tout cette partie  est d’une lecture neuve et utile.  De même la manière dont d’autres acteurs vont se ruer sur les nouvelles techniques sans tenir compte le moins du monde des réserves des concepteurs est parfaitement décrite.

La chronique détaillée de la débandade qui a suivi le blocage du marché interbancaire début Août 2007 jusqu’à la chute de Lehman Brothers est intéressante et parfois nouvelle. On voit bien qui a pensé et fait quoi.  

Du bon travail de journaliste travaillant à chaud.

En revanche on reste sur sa fin dès que l’on gratte un peu.

Comme toute la presse économique anglo-saxonne, Gillian Tett pense que la crise est due à la faillite de pratiques bancaires certes novatrices mais finalement désastreuses. Ce serait un accident du progrès. Comme tous les accidents il doit être médité mais en essayant de ne pas remettre en cause le progrès lui-même. Un accident de voiture ne condamne pas la voiture.  

La myopie d’une telle analyse est confondante. Mais interpelle justement par le fait qu’elle est très révélatrice des attitudes qui dominent dans le monde de la finance anglo-saxonne et par mimétisme dans la presse continentale.  

Ce que Mrs Tett ne comprend pas c’est pourquoi on a eu recours à ces techniques et pourquoi elles se sont développées aussi vite. Les fonds nécessaire à toute cette expérimentation ne sont pas tombés du ciel. Les banques ne peuvent pas créer individuellement de la monnaie. Les banques ne se sont pas détournées du financement de l’économie réelle pour se lancer dans des spéculations hasardeuses avec un très fort levier  sans raison. Tout ce contexte est purement et simplement gommé.

 Si les banques se sont lancées en masse et comme des cinglées dans les CDS et les CDO, décuplant en quelques années les sommes en jeu, ce n’est pas dans un accès de folie.  Les logiques sous- jacentes n’apparaissent que marginalement dans le livre. On laisse croire que  seuls l’esprit techniciste et la cupidité sont les moteurs de cette évolution.

Parfois on touche à la vérité. La structure Bistro a bien été inventée pour tourner les règles de Bâle.  Mais pourquoi a-t-on imaginé qu’il fallait le faire ? Là c’est le silence. De même les effets de levier se mirent à s’amplifier les banques recourant de plus en plus à l’emprunt pour financer des opérations spéculatives sur des produits complexes.  Mais pourquoi l’a–t-on fait, partout et avec une telle ampleur ? Aucune de ces questions ne trouvent de réponse parce qu’elles ne sont même pas posées.  

Le résultat est que Gillian Tett ne voit pas la crise arriver et ne la comprend pas. Tout se met à tomber en capilotade mais on ne sait pas pourquoi. D’une façon générale elle décrit bien le comment mais jamais elle n’aborde les causes.

Du coup la grande question devient celle-ci : la finance complexe, les produits dérivés, les CDS et autres CDO sont-ils des formes condamnées du crédit ? La régulation doit-elle mettre fin aux « excès ». Tout deviendra-t-il meilleur dès que ces excès auront été jugulés ?

Dans la pratique rien n’a été fait pour réduire les causes. Les CDO sont morts au champ d’honneur parce que plus personne n’a confiance dans ces machins-là. Mais les CDS triomphent. La spéculation n’a jamais été aussi forte sur les matières premières, les devises, les dettes d’état, etc. On force les banques à se surcapitaliser mais on les laisse vivre dans le même cadre monétaire international délirant.

Finalement le livre de G. Tett a surtout comme intérêt de nous montrer les mécanismes d’une myopie qui dure et dont il est l’exemple type.

Les économistes, les commentateurs et les hommes politiques anglo saxons n’ont pas compris la crise et s’agrippent à ce qu’ils peuvent pour masquer ce fiasco intellectuel. Les économistes, les commentateurs et les hommes politiques non anglo-saxons ont renoncé depuis longtemps à penser et souffrent des affres du perroquet qui n’a plus rien à répéter.

L’anecdotique finit par l’emporter sur tout le reste. C’est le cas de ce livre. Mais c’est aussi le cas de toutes les institutions chargées de réfléchir à la crise et aux moyens de la prévenir pour le futur.

Quatre ans après le blocage de l’été 2007, et alors que partout les signes d’une aggravation de la situation se multiplient, cette incapacité radicale a quelque chose de fascinant.

Commentaire
Micromegas's Gravatar Avec le recul, quelle formidable analyse !
# Posté par Micromegas | 22/11/14 11:20
Nathalie R's Gravatar En effet, au début j'ai eu un peu peur de ce qui allait suivre, mais en m'accrochant jusqu'à la fin de cette critique, j'ai estimé qu'elle était intéressante et réaliste. En effet, j'en suis à la moitié du livre et je me demandais quand l'auteure allait poser les questions. Je dirais qu'après avoir lu celui de Pierre Jovanovic, ce livre est un complément pour qui découvre ce monde de la finance et même si on n'y connait pas grand chose, on peut tout de même aisément imaginer cette politique auto-bloquante. Mais cela reste un livre honnête, qui parle du système bancaire, même si elle ne pose pas les questions qui nous taraudent. A la base, je souhaitais savoir en combien de langues ce livre avait été traduit. Je serais curieuse de savoir qui a accès à ce type de livre dans le monde.
# Posté par Nathalie R | 28/07/15 21:16
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