Jacques Julliard et "la fin du système"

Fleurissent un peu partout les analyses sur "la fin d'un système". Jamais le mot système n'aura connu un tel succès que pour prévoir sa fin.  La difficulté : système est un mot valise qui ne veut rien dire.  Son emploi répété marque une impuissance : impuissance à comprendre ; impuissance à envisager la suite.

Nous avons choisi ici d'analyser l'éditorial de Jacques Juilliard  dans le Marianne du 13 Août 2011 : "C'est le système qui est à bout de souffle". Pourquoi lui et pas un autre parmi la dizaine qui ont commis des articles  du même tonneau ?  Sans doute parce qu'il symbolise une certaine idée de la gauche chrétienne socialisante et européenne mais pas gauchisante qui a accompagné si longtemps l'air du temps médiatique en France.  

Première assertion :  les pays riches ne cessent d'emprunter aux pauvres. 

En vérité les Etats-Unis ont émis de la dette pendant des décennies, dette  qui s'est retrouvée dans tous les pays en excédent de balance des paiements.   Ce fut le cas d'abord de l'Allemagne, puis du Japon, puis aujourd'hui de la Chine.  Si la Chine accumule tant de dettes du trésor américain c'est du fait de sa volonté mercantiliste.  Ce n'est donc pas une affaire Nord contre SUD, riches contre pauvres, mais une question de système monétaire international.

Le dollar doit-il rester la monnaie internationale par excellence avec des privilèges extravagants ?  Les pays mercantilistes doivent-ils continuer à mener leur politique dangereuse ?   Evidemment notre auteur évite d'aborder ces deux questions qui sont les seules pertinentes dans l'affaire.

Seconde assertion : l'autonomisation du système financier a rendu impuissant les états.

Où a-t-on vu que la finance était "autonome".  Les états ont mis en place une organisation monétaire internationale basée sur l'idée que des organes spécialisés, créeraient de la monnaie administrative  dont la valeur externe apparaîtrait par le jeu du marché des devises.  Ils l'ont fait selon un plan doctrinal minimal mais assumé.  Les institutions financières se sont coulées dans ce moule. 

Rappelons qu'aucune banque n'a le pouvoir de créer de la monnaie à elle seule, ex nihilo.  Les changes flottants de monnaies administratives  sont ils une bonne solution ? Nous affirmons que non et que là se trouve la source de la suite de crises de plus en plus graves que nous traversons depuis 1971.Nous sommes convaincus qu'il faut renoncer à ce système là pour sortir de la crise actuelle.

L'ennui c'est que J. Julliard ne dit rien de tel. Le plus probable est qu'il n'a pas la moindre lueur sur ces questions.

Il porte une accusation globale qui n'a pas de sens pratique, là où il faudrait entrer dans les détails.

Troisième assertion : le système capitaliste est devenu incapable de fonctionner.

Une fois encore, est-ce le "capitalisme" ou une forme d'organisation particulière, récente, incertaine techniquement et mise en oeuvre par défaut,  qui a cessé de fonctionner ?

De même que nous avons repris l'ami Sorman qui commettait l'erreur inverse en défendant globalement le capitalisme sans reprérer les points d'organisation  défectueux, nous sommes amenés à faire la critique symétrique à J. Julliard : ce n'est pas "le capitalisme" qui est en cause mais un de ses sous-systèmes : le système monétaire international.

Quatrième assertion : Il n'y a pas d'issue "pour le moment".

Quand on ne comprend rien, on ne sait pas trouver de solution. Une critique détaillée du système monétaire international défaillant conduit à un plan d'action.  Une critique globale indifférenciée est la voie de l'impuissance.   Et Julliard  la voix de l'impuissance grincheuse.

Cinquième assertion : Ne comptons pas sur les économistes  oracles qui défilent à la télévision  pour nous proposer des issues.


Evidemment puisqu'il n'y a pas d'issue !


N'ayant rien compris et n'ayant rien voulu apprendre, comme la totalité des responsables des rédactions en France, qui vivent dans un univers purement idéologico-politique,  notre auteur reprend une antienne bien connue : les économistes "ont autant de crédibilité que les météorologues... La prétention de l'économie à devenir une science prédictive  est pour le moment un échec complet".


Haro sur l'économiste. A gauche de toute façon un économiste est un suppôt du capitalisme qui veut donner des leçons au socialisme. Donc un ennemi de classe.   Tous les économistes qui passent dans les médias, majoritairement à gauche,  sont donc des "économistes mais", des garçons qui savent que leur analyse doit d'abord cadrer avec une option idéologique. Voir M. Maris sur France-Inter pour la forme la plus caricaturale du phénomène.

Ils ne sont recrutés ou  consultés que pour leur optique politique pas pour leurs compétences. Ce qu'on appelle un économiste de droite est de toute façon un truc bizarre qui n'est là que pour dire que la bourse c'est bien et qu'il y a trop d'impôt ! 

Caricature contre caricature. On fait de la chaleur et aucune lumière.  Spectacle éminemment grotesque qui marque la descente aux enfers de l'intelligentsia médiatique.

Nous ne saurions mieux conseiller  J. Julliard qu'en lui demandant d'avoir la patience de lire ce blog. Il verra que la crise était annoncée. Que ces mécanismes étaient prfaitement clairs avant même qu'elle ne commence. Que l'absence de réformes adéquates a été dénoncée avec force et précision. Que l'échec était parfaitement prévu. Qu'il y a des solutions. Qu'il suffit de les mettre en oeuvre, même si chaque mois qui passent rend les choses plus graves et plus compliquées.

Nous enverrons ce texte à J. Julliard et nous verrons probablement ce que nous avons vu depuis 15 ans :  les éditorialistes  ne veulent en aucun cas  en France quitter les abris idéologiques où ils ont fait carrière. "Je ne suis pas là pour la vérité mais pour l'énonciation d'une posture. Dis moi d'où tu parles et je te dirais si je peux t'écouter".

Sixième assertion : "Le libéralisme absolu ce vieux machin poussièreux sorti des armoires de l'économie politique classique" a eu une nouvelle chance. 

Là on est dansl'ignorance économique pure et simple. Si J. Julliard croit que F. Bastiat  et J.B.  Say étaient pour une monnaie administrative  et des changes flottants,  qu'il les lise !   Ce genre de phrase est une insulte à la connaissance élémentaire de la pensée économique.

C'est justement parcequ'on est entré depuis 1971 dans un monde inconnu qu'on ne sait pas maîtriser et qui ne fonctionne en aucun cas comme ses promoteurs l'ont décrit  que nous sommes dans les difficultés actuelles.

Que J. Julliard fiche la paix à Say et Bastiat "et oublie un peu Proudhon, son amour de jeunesse.  Les économistes à problème sont Greenspan, Friedman, Summers, des garçons qui ont cru que les Etats unis pouvaient pratiquer le Benign neglect dans un système d'inondation permanente de dollars et de changes flottants, avec des dérégulations bancaires féroces.

Aujourd'hui A. Greenspan dit : "je me suis trompé. Ce système ne marche pas". Il a raison. Tout le sujet est dans son remplacement par autre chose. C'est de cela qu'il faut parler M. Julliard. Mais là cela demande un peu plus que les facilités de l'idéologie recuite : le risque de la connaissance et des idées nouvelles.


Septième assertion : l'avenir est au socialisme.


Bien sûr, bien sûr ! Sauf que le système des monnaies adminsitratives gérées par des banques centrales indépendantes dans le cadre d'un système de change flottant est le crédo de tous les partis socialistes en Europe !

Ce genre de phrase doit rappeler à l'auteur le bon temps de l'Unef d'il y a cinquante ans ! Attention au retour d'âge !

Huitième assertion  : le progrès de l'humanité s'identifie à l'extension du concient, du volontaire, du concerté.

Là nous sommes d'accord.  

Le conscient pour nous est la bonne compréhension de la réalité.  Ce qui implique de l'observer, d'en voir les mécanismes, d'en détecter les défauts, d'en proposer la réforme.  Mais toute la méthode Julliard est inverse. On ne regarde rien. On ne comprend rien. On ne propose rien.

Le volontaire ne peut s'appuyer que sur le conscient. Sans compréhension , sans connaissance, pas d'action.  La volonté doit avoir un but et des leviers.  Sans le levier de la connaissance, point de salut.  Sans but raisonnable donc raisonné, pas de volonté utile.

La concertation est aussi cruciale. L'organisation du système monétaire international demande une concertation forte des états. Le seul avantage de Bretton Woods était qu'il forçait les Etats à tenir compte des règles qu'ils s'étaient imposées les uns vis à vis des autres.

Demander aux Etats de s'accorder sur le fait minimum de garantir la valeur de leur monnaie et d'éviter les déséquilibres majeurs des balances commerciales et des balances des paiements,  est absolument central dans la sortie de crise.  C'est la faillite du G.20 dans ce domaine qui est la cause de l'aggravation der la crise.  Nous l'avons écrit en temps réel sur ce blog.  Il suffit de lire, dans ce site,  ces textes de 2009.  

G.20 : un pari très dangereux.
L’évidence s’impose : le G.20 n’a pas fait les réformes nécessaires.

Malheureusement pris dans son vague idéologique et sans aucun repère technique auquel se rattacher, J. Julliard va au plus près de ses réflexes de jeunesse : " le triomphe de la volonté s'appelle d'ordinaire une révolution".


La vraie révolution serait que des éditorialistes comme J. Julliard abandonne leur fonction idéologique pour essayer de comprendre, d'expliquer, d'alerter, de proposer.  
Il y a vraiment des "coups de pied au culte" de la révolution qui se perdent.

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.



Commentaire
Tom Hirschowitz's Gravatar Bonjour,

Mon "ignorance économique" (cf. votre texte fondateur) m'empêche de bien comprendre la plupart de vos articles. Auriez-vous quelques références (les plus synthétiques possibles) pour m'aider à

- apprendre un peu d'économie de base, notamment les différentes doctrines dont vous parlez régulièrement,

- apprendre un peu d'histoire économique récente,

- comprendre les règles du jeu du système monétaire actuel,

- etc.

Je suis prêt à y passer du temps mais je ne sais pas quoi lire.

Merci par avance pour vos réponses,
Tom
# Posté par Tom Hirschowitz | 24/08/11 11:49
locaterre's Gravatar Bonjour

Vous écrivez :
"Rappelons qu'aucune banque n'a le pouvoir de créer de la monnaie à elle seule."

Là je suis perdu... le système des réserves fractionnaires ne permet-il pas aux banques la création monétaire ?

Merci
# Posté par locaterre | 24/08/11 19:53
DD's Gravatar @locaterre

Nous avons répondu à cette question par notre post nouveau "qui crée et détruit de la monnaie".

DD
# Posté par DD | 02/09/11 11:12
DD's Gravatar @Tom

Votre question nous embarrasse.

Depuis les années 70 il n'y a plus d'études sur les cycles. On était censé savoir les éviter. Nous ne pouvons que nous renvoyer aux nombreux posts que nous avons consacrés à cette question.

Sur la question du système monétaire international basé sur des monnaies administratives gérées par des organismes indépendants (FED, BCE etc.) et dont la valeur s'établit sur des marchés libres et flottants, nous sommes également très gênés.

Ce système n'est pas né d'une conception économique forte. En vérité jusqu'à 1971 et la destruction du système de Bretton Woods aucun ouvrage économique n'en parlait. Les changes flottants étaient une curiosité dangereuse ! Il faut lire le pêché monétaire de l'occident de J. Rueff et les différents ouvrages de M. Allais pour avoir une critique de ce système. Milton Friedman est le principal thuriféraire des changes flottants. Mais comme l'ont remarqué plusieurs spécialistes de la monnaie comme Mundell aucune de ces prévisions ne s'est réalisée. Tout a fonctionné à l'inverse de ses prévisions.

Le phénomène de la double pyramide de dettes n'est enseigné et discuté nulle part alors qu'il est fondamental. Les effets boules de neige des déséquilibres monétaires internationaux commencent tout juste à être pris en compte. L'économie bancaire est toujours un secteur de spécialité ignoré de la plupart des économistes et professeurs d'économie.

Le fait que les banques centrales ne sont plus maîtresse de la création monétaire en système de changes flottants et que la main en la matière est passée aux déséquilibres de balances de paiements est à peine évoqué dans la littérature spécialisée.

Après tout, relisez certains de nos posts sur ces questions. Dans bien des cas nous sommes les seuls à traiter à fond de ces questions fondamentales.

C'est bien là tout le problème !

DD
# Posté par DD | 02/09/11 11:24
Stéphane's Gravatar Bonjour Mr Dufau,

Grand amateur de vos rubriques, je suis par contre un peu ennuyé quand je vous vois mettre dans le même sac Greenspan et Summers avec Friedman comme "économistes à problèmes" et responsable de cette ignominité des changes flottants et de la politique discrétionnaire de la FED.

Comme je fais partie des rares français à lire les grands économistes (par nature libéraux), je me rapproche plus de la vision de Charles gave sur Friedman, celui d'un (très) grand économiste, foncièrement optimiste sur la nature humaine et donc le capitalisme (à l'inverse de l'école autrichienne, trop pesssimistes à mon goût, même si je partage totalement leurs vues).

Bref ...

donc, pour avoir lu Milno Friedman, je n'ai vu à aucun moment qu'il pronait un système de change flottant ou une politique dsicrétionnaire de la FEd, bien au contraire.

Il souhaite justement éliminer les phénomènes monétaires et prône une croissance de la masse monétaire comprise entre 2 et 5 % pour limiter l'inflation et réguler la croissance économique.

Je ne comprends pas ce que vous reprochez à Friedman en temps qu' "économiste à problèmes" ????

(je comprends parfaitement en ce qui concerne Greenspan et summers).

Dernière question, aucun rapport avec le sujet, j'aimerez connaître votre vision et votre analyse d'un roman fabuleux "La Grève" (Atlas shrugged) de Ayn Rand, enfin traduiten français en 2011 après 56 ans d'omerta, et qui décrit avec une vision hallucinante l'effondrement de la France et le discours verbeux de nos homems politiques.

Si vous ne connaissez pas cette Oeuvre, je vous la conseille fortement, elle change la vie de tous ceux qui la lise et qui la comprenne.

Bien cordialement,

Stéphane
# Posté par Stéphane | 28/10/11 16:10
DD's Gravatar @Stéphane

Merci pour la référence à La Grève. Un livre fort intéressant et méconnu en France dont je pense faire une analyse sur ce blog un de ces jours.

Milton Friedman a été l'inlassable avocat de l'idée que la monnaie était "une marchandise comme les autres" dont le prix devait refléter comme pour les autres biens la valeur de marché. Les changes flottants lui doivent également un texte de jeunesse dans les années 50. Bien qu'il n'ait pas fait une théorie générale des changes flottants il a fait l'objet de plusieurs réfutations (j'ose dire que la mienne est venue avant celle de Mundell, qui est fort connue et qui s'applique parfaitement à la situation actuelle).

Sa théorie de création monétaire banque centrale a été essayée au début des années 80 aux Etats- Unis et immédiatement arrêtée pour résultats catastrophiques.

Il a parfaitement analysé l'erreur de la FED dans les années 20 qui a restreint la liquidité au lieu de l'alimenter provoquant la faillite de plusieurs milliers de banques.

Le paradoxe de la situation actuelle est qu'on peut trouver aussi bien chez Maurice Allais et chez Milton Friedman des éléments d'appréciation justifiés. Leur pensée est en général moins caricaturale que ce que la vulgate en fait.

Rien n'est simple.
# Posté par DD | 31/12/11 13:04
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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