Comment se réveiller d'un rêve ?

Depuis toujours nous défendons l'idée que les difficultés que le monde, l'Europe et la France traversent ne sont pas le fruit de l'action de diables et de vilains mais plutôt celui des contradictions sévères entre rêve et réalité.

Cette thèse est moins facile que celle qui consiste à charger des boucs émissaires. La sortie de crise est également plus difficile : comment renoncer à un rêve ?

Le rêve mondialiste  aura été que l'on puisse abaisser toutes les frontières dans la sphère économique, sans pour autant mettre en place les coopérations d'états minimales qui auraient permis de canaliser et de garantir ce processus de libéralisation quasi intégrale des échanges de biens et de capitaux. 

Pour ses promoteurs, le libéralisme débridé de l'économie  aurait du conduire presque mécaniquement à une libéralisation politique générale des peuples.  L'individu aurait transcendé les nations.  A terme, les droits naturels à voyager, à s'installer, à contracter seraient devenus universels.  Bonheur et prospérité, en même temps qu'un progrès décisif de l'humanité, auraient été au bout du chemin.


Pour cela il fallait deux conditions :


- La liberté du commerce. Elle serait mise hors de portée des états : une organisation mondiale, l'OMC, permettrait de réguler ce qui doit l'être afin d'éviter les distortions de concurrence.


- La liberté des mouvements de capitaux : compte tenu que chacun conservait sa monnaie, il importait de mettre en place un système de changes tels que les monnaies s'échangent librement. Le cours de change des monnaies serait "naturel", loin des manipulations des états.  

Les Etats ainsi mis entre parenthèse, ne s'occuperaient plus que de questions internes et en particulier de traiter des conséquences de la "globalisation" ainsi mise en place.

Ce beau rêve s'est fracassé pour une raison simple : les changes flottants de monnaies administratives ne marchent pas.  Une organisation du commerce sans état de droit réel chez certains partenaires et sans rapprochement  des politiques générales (environnement, sécurité des produits etc.) n'aboutit qu'à des distortions et des déséquilibres insupportables surtout si elles s'accompagnent de distortions monétaires.

Les Etats-Unis ont cru qu'ils seraient assez puissants pour dominer le jeu.  Ils se sont trompés.  Londres a cru qu'il lui serait possible de devenir le centre de la pulsation financière sans qu'il y ait de conséquences négatives.  Londres s'est trompé. L'Europe a suivi mollement en pensant que tout irait bien. L'Europe s'est trompée.

Le rêve n'était pas "de droite" ou "de gauche", démocrate ou républicain, travailliste ou tory.  Il aura été général dans les pays occidentaux. Il a tourné à la catastrophe.

Face à cette situation désobligeante pour les promoteurs de ces idées,  la tentation est de revenir à l'idéologie.  La révolution libérale a échoué à cause des états et de leur socialisme primaire dira-ton d'un côté. La révolution libérale a échoué à cause des marchés dérégulés diront les autres. En route pour une guerre idéologique sans intérêt. Et même dangereuse.  Rappelons que les objectifs étaient un rêve. Faut-il tuer le rêve ?

Permettre à chacun l'exercice de libertés essentielles à travers le monde est nécessaire. Ce sont les conditions de cette liberté qui posent problème.  La liberté exige un état fort, et non faible, une coopération forte des états, et non une absence totale de coopération.

La victime de la crise est d'abord l'idée d'un gouvernement par des normes  alors qu'il n'y aurait pas de norme de gouvernement.

Techniquement le maillon faible aura été, comme toujours, la monnaie.  Les changes flottants sont une erreur conceptuelle. Ils n'ont jamais marché. Ils ne marchent pas. Ils ne marcheront jamais. La monnaie n'est pas "une marchandise comme les autres".  Curieuse marchandise que ces créances sur l'économie mondiales produites par des imprimeries contrôlées par des gnômes !

Le rêve de libéralisation n'est possible que si les états tiennent la valeur externe de leur monnaie et qu'il existe une force capable de leur faire respecter leur engagement.  Monnaie et crédits sont des dimensions essentielles de la politique économique des nations. Croire qu'on pourrait passer outre est une utopie.

Nous affirmons qu'il faut conserver l'objectif tout en réformant le moyen.  Il ne peut y avoir de régulation en changes flottants où des puissances peuvent soit pratiquer le laxisme monétaire total soit le mercantislisme absolu.   Il ne peut pas y avoir de solution sans collaboration des états.  On pensait qu'on pourrait les mettre de côté, ces satanés états mais en leur laissant toutes leurs capacités de faire ce qu'ils voudraient.  Les marchés les tiendraient en respect.

Cela ne marche pas. Les états ont un rôle. Ils doivent coopérer. Ils doivent accepter des sanctions extérieures en cas de manquement.  En matière monétaire qui, dans l'espèce, est la partie défaillante, cette coopération s'appelle : changes fixes, autorités de tutelle, étalon indépendants des états.  En un mot un Bretton-Woods réellement paritaire sans monnaie pivot.  Pas de Gold exchange standard, plus de véto américain,  mais une parité organisée avec des responsabilités àassumer par chaque état.  La liberté des capitaux doit être pilotée et pas seulement confiée à des normes.

Bien sûr  il y a aura régression partielle dans les libertés totales de faire bouger ses capitaux où on veut, quand on veut.  De même que des glissières de sécurité empêchent l'automobiliste d'autoroute d'aller où il veut quand il veut. Il faudra rester dans les clous.

Et alors ? Tout vaut mieux qu'un système qui ne marche pas.

Le rêve européen est tout aussi fracassé.  Et il s'agit du même rêve. Permettre aux citoyens européens d'exercer librement toutes les libertés.

Le moyen est totalement inverse que celui choisi pour la globalisation : pour l'essentiel on met en oeuvre une monnaie unique et commune.   Les états sont privés du pouvoir monétaire confié à des gnômes rendus totalement indépendants.  La puissance des traités fixe les règles.  

Nous retrouvons notre vielle amie : la gestion par la norme sans pilotage politique.  Mais l'unicité monétaire européenne est totalement en contradiction avec la solution globale de changes flottants généralisés.  Un ilôt de fixité dans un océan de flexibilité met le chêne à merci des roseaux !

Une double  question cruciale se pose au monde  : une zone monétaire unifiée est-elle possible sans instance de pilotage et sans unification des politiques économiques et sociales ?  Est-elle possible dans un monde de liberté de capitaux avec changes flottants ?  

Les fédéralistes européens à l'origine de l'Euroland et toujours préoccupés de mettre la charrue avant les boeufs, se sont échinés à éluder la double problématique.  La réponse est venue de la première grande crise suivant l'établissement de l'Euro :  non, cela ne marche pas !

Une fois encore les idéologues ressortent leur massue. Si cela n'a pas marché c'est qu'on n'a pas été assez loin disent les fédéralistes.  Vite une véritable fédération européenne avec gouvernement fédéral etc.    Les souverainistes éructent : la ruine est là et vous voulez l'aggraver.

La question reste : comment fait-on fonctionner une monnaie unique entre pays souverains dans un système mondial de changes flottants ? Surtout lorsque l'absence de tout pilotage de l'échanges des biens, l'Europe ayant sans contrepartie renoncée au tarif extérieur commun, conduit à un sous emploi chronique et fait de l'Europe un "machin" qui sert de tampon facile entre les grands joueurs ?

Le dernier rêve est le rêve français.  Vive l'impôt, vive la dépense publique, vive la dette, vive la gratuité généralisée, vive le non travail et le temps libre ! Ole !   Et vive le politiquement correct qui fait chanter la belle chanson en coeur dans tous les médias de droite et de gauche.  La France aurait trouvé le truc : 35 heures et bientôt 32 heures de travail pour ceux qui ont du travail  ;  des charges sur le travail supérieures à tout le monde ; des règlementations toujours poussées à l'extrême ;  les sébilles partout tendues ; des "droits à" toujours plus étendus.  La politique d'énarchie compassionnelle transcende les vieux clivages droite gauche.  Le haut fonctionnaire est juste et pense au bien commun. Lui seul. Il va arbitrer la société. C'est à dire contraindre sur les recettes et lâcher systèmatiquement sur les dépenses.   

La question ici est très simple : comment maintient-on   ce rêve de Capoue  dans une Europe sans frontières et dans un monde globalisée ?  La réponse a été : en s'endettant. Nous voici au bout du chemin.  Le clientèlisme politique de Zombis sans pouvoirs sur rien puisqu'ils ont tout cédé à l'Europe ou à la globalisation  apparait pour ce qu'il est : une imposture démocratique.   Et voici qu'on explique à l'UMP comme au PS qu'il suffirait de perdre le pouvoir budgétaire   au profit de l'Europe, tout en gravant dans le marbre la vertu, pour que le clientélisme et l'achat sectoriel de votes ne puissent continuer. Pensez ! Il suffirait de "prendre l'argent aux riches". 3 ou 10%  de la population paiera. Et pour le reste ce sera le secteur financier avec la taxe sur les transactions financières.

Zeus aveugle toujours ceux qu'il veut perdre.

Le Français né malin pense qu'en ne gouvernant plus mais en ruinant ses riches et ses banques, qui le sont déjà,  il va pouvoir continuer à vivre à l'oeil !

Notons que le drame français est plus grave que le drame européen ou mondialiste.  On n'est plus dans le rêve mais dans l'illusion fatale.  Le concours de démagogie qu'aura été ce 15 septembre le débat des socialistes en vue de  leurs élections primaires montrent que les mentalités publiques ne sont pas près de changer.

Nous voici donc dans un monde ruiné financièrement  alors que s'évanouissent les trois rêves  d'une mondialisation inorganisée mais  heureuse, d'une Europe ectoplasmique mais gérée par la norme,   et d'une France surendettée et surfiscalisée, mais  gavée de gratuités et de loisirs.


La solution n'est pas d'abandonner le rêve.  Mais de comprendre que les libertés ne s'exercent que dans des cadres précis et efficaces.  La gestion par la seule norme est morte. Il faut une gestion par le pilotage.  C'est à dire des instances responsables à chacun des niveaux d'organisation nécessaires.

Le monde doit renoncer aux changes flottants. Les Etats doivent coopérer autour d'un étalon et faire especter la valeur externe de leur monnaie, l'équilibre de leurs balances commerciale, la santé de leur balance des capitaux.  Et il faut un gendarme fort pour imposer aux Etats le respect de leur engagement.

L'Europe ne peut pas être un ilôt d'unicité monétaire dans un monde de changes flottants.  Elle ne peut plus être la variable d'ajustement des combats de titans que se livrent les autres grandes puissances.   Si l'Europe ne peut pas mettre en place une structure centrale de pilotage économique  il faut abandonner l'Euro.   Et bonjour les dégats.

La France ne peut plus chanter vive l'impôt (des autres) ; mort  (fiscale)  aux riches ; travaillons moins ;  vive les gratuités !   La dette c'est fini pour un moment.  Où la France  s'aligne sur une politique auropéenne pilotée par une instance européenne,  ou elle reprend  son autonomie en cherchant à s'en sortir par le dynamisme et le courage. Quelque soit l'issue de la querelle institutionnelle  elle devra couper avec le compassionnalisme énarchien et un néo socialisme de la dépense publique  illimitée.

Ou elle sortira de l'histoire.  Et par la petite porte.  La toute petite porte.

Conserver ses rêves tout en jouant le réalisme et en abandonnant les peaux mortes d'une mutation bien intentionnée mais  ratée : tel est l'enjeu pour le monde, l'Europe et  la France.


Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.

Commentaire
J. Gervais's Gravatar Article d'une hauteur de vue exceptionnelle.
# Posté par J. Gervais | 16/09/11 16:03
Ginette's Gravatar Tiens, maintenant c'est de nouveau des biens que nous nous échangeons...
C'est une matière morte. Point!
Rassurons-nous, le peuple ne le saura jamais!
# Posté par Ginette | 17/09/11 10:58
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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