Retour vers le futur : 1935 (suite)

Intéressons-nous à ce que publiait la Revue d'Economie Politique en 1935, au beau milieu de la grande dépression née en 1929. Les rédacteurs étaient Charles Rist et Gaëtan Pigou, des économistes de grande qualité. Une revue telle que celle là manque aujourd'hui. C'était le temps où les économistes n'étaient pas encore vilipendés et où on croyait qu'une approche scientifique de l'économie était possible. Les meilleurs auteurs n'hésitaient pas à prendre partie sur les questions d'actualité. Une vie intellectuelle économique grouillait en ce temps là, loin des caricatures de débats actuels entre ignorants médiatiques ou entre partisans de champs clos idéologiques.

En 1935 la Revue avait pris pour cible, entre autres, deux erreurs qui lui paraissaient graves : la perte de confiance dans les progrès possibles de l'économie et les limites des dévaluations compétitives.

Dans le premier cas la cible était les écrits de Werner Sombart, un économiste socialiste allemand qui glissera vers un léger national-socialisme plus ou moins de circonstance mais tout de même, un peu le même mouvement que le père de Jospin vers le pétainisme, pour des raisons finalement assez proches. Werner Sombart était un auteur très prolifique et très connu à l'époque. Il est à peu près oublié aujourd'hui. Comme quoi ! Méfions nous des auteurs qui tiennent la côte dans nos médias : cela pourrait bien ne pas tenir la distance…

"L'homme a été séparé de la nature. L'enfant des villes ne sait plus rien des charmes intimes que celle-ci prodigue. …Sa pensée est un mélange compliqué d'enseignement scolaire, de montres, de journaux, de parapluies, de livres, de canalisation, de politique et de lumière électrique".

Qui ne voit la ressemblance avec tous nos bons auteurs qui se plaignent aujourd'hui d'une jeunesse déboussolée par le téléphone portable et internet ? Cette rengaine est de tous les temps. On a toujours perdu le paradis d'avant et la jeunesse est devenue bizarre. Dans les années soixante c'était "la bagnole et la téloche"  qui signaient le déclin immédiat de la civilisation par contamination de notre belle jeunesse, hélas si mal traitée.

Le rejet d'une société matérialiste  de consommation était déjà très fort :

" …trop de céréales, d'autos, de bananes et de chocolat, réclame diurne et nocturne, film parlant, W.C. et eau courante et mille volumes par jour ; engrais artificiels, avions et moyens anticonceptionnels, torpilles et hauts parleurs, tracteurs et phonographes, petites boules dans le potage et eaux dentifrices,  gaz toxiques et aspirateurs de poussière, palace-hôtels sur terre et sur l'eau"…

Nous voici dans une société gâtée par l'abondance et qui a perdu ses repères. Et on ne connaissait ni le Bolino ni le Coca Zéro !

Les écologistes modernes n'ont rien inventé. On parle aujourd'hui de destruction de la terre et plus seulement des hommes ou du moins de l'humanité. Cela a un côté plus laïque.

Depuis la "révolution industrielle", si ce terme a un sens, nous vivons de façon croissante dans un monde artificiel qui correspond à notre propre création.  Werner Sombart rêvait qu'on revienne à une forme de société hiérarchisée non matérialiste où les valeurs de l'esprit ne seraient pas contaminées par la chair, ici la consommation. Comme aujourd'hui certains rêvent de démondialisation et de décroissance.  La blonde au 4x4 a remplacé la ménagère à aspirateur. La femme est depuis JC et même sans doute quelques milliers d'années précédemment, vue comme l'inspiratrice de la débauche irresponsable.  Zémmouriens de tous les temps, donnez-vous la main !

Pour les amateurs nous conseillons de faire le parallèle entre la condamnation de "l'ère économique" par Werner Sombart et les critiques de la "mondialisation".

Toutes les crises  conduisent à des formes de remise en cause de la modernité et favorisent les idées qui suggèrent qu'on est tombé dans une sorte de précipice sans fond dont il faut sortir avant qu'il ne nous engloutisse à jamais.  Il faut lutter contre ces inepties comme le faisaient les auteurs de la Revue d'économie politique de 1935 : il n'y a aucun chemin dans cette direction !

Revenons à la seconde critique : celle des dévaluations compétitives. Nous sommes revenus plus près de la terre. Mais en fait on est toujours dans la condamnation du rêve. La crise de 1929 a connu les développements tragiques que l'on sait à cause des dévaluations compétitives. Ce point est très généralement admis et ne mérite pas de longs développements. Les spécialistes de l'histoire économique de l'entre deux-guerres savent très bien qu'au bout du compte, toutes les monnaies ont retrouvé en 1938 peu ou prou les parités d'avant la crise. On s'est battu pour rien.  

René Courtin, l'auteur de l'article voit bien les deux limites de la dévaluation :

- elle ne donne un avantage compétitif que dans la mesure où les autres ne dévaluent pas à leur tour. Cet avantage est provisoire, les importations devenant plus coûteuses et entraînant des hausses internes qui progressivement gommeront l'avantage initial.

- en cas de dettes, la dévaluation alourdit la facture de remboursement et entraîne un risque de pertes encore plus grand pour les prêteurs.  

Ces idées n'ont rien d'original : elles seront à la base des accords de Bretton Woods de 1944. Oui une dévaluation peut être efficace mais à deux conditions : qu'elle soit faible donc acceptable par tout le monde, accompagnée d'un plan de stabilisation des prix pour éviter qu'on ne revienne immédiatement à la situation précédente et que les effets sur la dette soient limités par des formules de prêts internationaux, dont le FMI doit être le vecteur.

Elles sont totalement en contradiction avec les idées actuelles sur l'organisation monétaire internationale où le flottement généralisé des monnaies induit des dévaluations incontrôlées ou des réévaluations incontrôlables sans des mesures gigantesques (voir les récentes mesures prises par la Suisse, qui ont abouti à …ruiner UBS, seconde banque…suisse, prise à revers dans ses spéculations).

Elles sont également complètement en contradiction avec l'idée de monnaie unique partagée par des pays ayant gardé leur liberté de politique budgétaire, économique et sociale. Le bénéfice d'une dévaluation concertée n'est plus possible et laisse la place à des aventures.

On voit bien que pour la Grèce la sortie de l'Euro qui mettrait la nouvelle Drachme dans un système de changes flottants, provoquerait une dévaluation massive (très au-delà des 7 à 10% qu'on s'autorisait dans un cadre de changes fixes mais ajustables par accord général), la ruine des banques et de l'épargne privée, et un défaut gigantesque sur les prêts consentis en Euro.  Les pays européens se retrouveraient aussitôt avec un compétiteur dopé et un trou dans la caisse au moins doublé.

Limite des comparaisons, René Courtin évoque le bénéfice de la dévaluation du fait de l'effet revenu provoqué par la diminution de la teneur métallique de la monnaie.  Il en attends un poussée de la production d'or génératrice de revenus créant une dynamique de croissance générale. Le problème : l'or n'est plus monétisé. Nous sommes dans un système de monnaies administratives…

Au total on voit bien que personne ne sait gérer ni des systèmes de monnaies administratives flottantes, ni des zones monétaires non pilotées, représentant des ilots de fixité dans des océans de flexibilité.

Ce que les économistes de 1935 écrivaient, à savoir qu'il faut croire en l'avenir et s'organiser pour connaître un nouvel élan, reste aujourd'hui d'actualité.  

Il faut croire en l'avenir et s'organiser ! 

Didier Dufau pour le Cercle des économistes E-toile.



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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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