Non la crise actuelle n'est pas d'un type nouveau !

Non la crise actuelle n'est pas d'un type nouveau !

Une des curiosités de la crise actuelle  est la surprise générale des économistes devant un évènements qu'ils n'avaient généralement pas prévu ni même envisagé.

Il suffit de livre l'excellent livre de Catherine Nay, toujours parfaitement informée et capable de rendre excellement les situations passées pour se rendre compte de l'impréparation  mentale générale. En mai 2007, cela turbule déjà beaucoup sur le front des refinancements bancaires.  La chute des prix immobiliers, la première depuis la guerre, provoque dès le début 2007 des secousses sur les marchés de trésorerie. Les grands groupes américains ont fourgués à toute vitesse des centaines de milliards de CDS aux Européens, trop content de voir leur intérêts bonifiés, pardon "dynamisés".  La dynamite en question était légèrement explosive et en mai les premières tensions sont perceptibles.

Nous même avons averti : une grande crise arrive. Elle est pour le second semestre 2008.  Gare ! Nous avons même envoyé une lettre ouverte à MM. Sarkozy et Guaino pour les avertir et réfréner leur foi dans une accélaration impossible de la croissance.

"Le Ministre des Finances , Thierry Breton, estimait en quittant Bercy que la croissance dépasserait 2.5% et atteindrait êut être même 3%. Ce que personne, Commission européenne comprise,  n'avait mis en doute". L'illusion règne en maîtresse sauvage dans les palais de la rRpublique.  

Cette surprise quasiment totale des politiques et de leurs nombreux conseilleers  pose au moins deux questions. La première est la réalité de l'économique en tant que science.  La seconde est l'observation de la Reine d'Angleterre dès 2008 : "à quoi servent les économistes s'ils sont incapables de prévoir une crise ?"

S'ils sont les tenants d'une science, faut-il incriminer la discipline ou les disciples ?

Une des manières de répondre à cette redoutable question est de relire les anciens. Pour avoir trainé mes études de longues heures dans la salle Leroy-Beaulieu, à l'Institut d'études politiques de Paris, j'ai une particulière prédilection pour les écrits de cette figure d'"économiste distingué", une formule qui semble avoir été créée pour lui. Aujourd'hui il est universellement décrié par ceux qui croient le connaitre, c'est-à-dire pas grand monde. L'ignorance et l'idéologie conduisent à des jugements du type : petit penseur bourgeois sans importance.

En vérité le "Traité théorique et pratique d'économie politique" de ce professeur au Collège de France est une mine d'or à la fois sur la manière dont on concevait l'économie à la fin du XIXème siècle et aussi sur la manière d'expliquer de nombreux phénomènes économiques.  Il était de la race des économistes sans préjugés ni connaissances mathématiques, ce qui lui évitait de modéliser sur du sable. Il avait l'œil. Il regardait. Et lui, n'hésitait pas à prendre parti sur les questions du jour.  Un parfait honnête économiste comme on les aime et que détestent les économistes asservis à une idéologie. On s'expose à exposer : il fut la tête de turc de pas mal d'humoristes dont un Allais, Alphonse,  qui lui n'aurait pas pu prétendre au "Nobel d'économie". Il y a beaucoup à prendre de ses observations.

Il savait, lui,  qu'il y avait des crises périodiques et il en avait précisé avec une grande justesse la dynamique.

"Les crises de la seconde catégorie, la plus nombreuse et la plus fréquente, sont celles qui portent spécialement le nom de crises commerciales quoiqu'elles soient souvent d'origine financière et qui ont leur cause dans les entraînements du public et dans les abus de crédits".

Déjà le monde de la finance n'aimait pas être mis en première ligne et imposait des appellations neutres : crise de surproduction ; crise commerciale. On dit aujourd'hui crise de la mondialisation ou de la civilisation ou du capitalisme. Cela permet de rester imprécis.

"Leurs causes, leur périodicité, leur évolution sont parfaitement connues".

"Les crises de cette catégorie proviennent d'une certaine disposition d'esprit exagérément optimiste et audacieuse où se trouvent placés et maintenus pendant un temps de quelque durée non pas certains hommes mais la généralité du public et qui poussent les entrepreneurs, les commerçants, les capitalistes à développer outre mesure leurs opérations sans proportion aucune avec un débouché probable en faisant un usage excessif du crédit".

Le suroptimisme et l'emballement du crédit sont la cause des crises périodiques.

"L'engouement et la crise reviennent à des intervalles assez rapprochés tous les dix ans".

Voici notre cycle quasi décennal bien cadré. Il faut dire qu'il a été mesuré pendant tous le dix-neuvième siècle et qu'il n'est pas  bien difficile de le voir se déployer au vingtième.  Pour s'en tenir aux quarante dernières années : 1973-19674, 1982-1983, 1992-1993, 2001-2002, 2008-200x.

"Certaines circonstances sont particulièrement propices à l'éclosion des crises notamment la baisse des intérêts des capitaux". Ses conséquences "poussent à chercher des gains chimériques"…"On cherche à compenser à compenser la modicité du revenu par de rapides plus values sur le capital lesquelles quand elles se produisent sont alors considérées par beaucoup de gens comme une sorte de supplément consommable de revenu. Le besoin s'allie alors à la cupidité pour propager le goût des entreprises hasardeuses".

Difficile de ne pas voir l'application de ces mécanismes à notre économie contemporaine basée sur l'accroissement de la valeur pour l'actionnaire, c'est-à-dire la plus value.

En termes actuels,  l'économie cesse de s'intéresser au compte d'exploitation au profit des opérations de haut de bilan.  La finance cesse d'être connectée au réel.

"Cette extension des opérations de production dont les unes sont sérieuses mais exagérées et les autres complètement chimériques s'effectue en grande partie avec le crédit".  "Les encaisses des banques se vident chacun usant dans la limite possible" les capitaux dont il dispose ou qu'il emprunte.

On voit se profiler ici la crise de liquidité des banques : il faut constamment se refinancer.

" Au fort des crises commerciales et financières de cette catégorie le portefeuille et les escompte des banques montent à un chiffre très élevés". Le bilan des banques  "dépasse énormément les chiffres habituels". 

L'auteur rappelle que c'est sur l'observation du gonflement des bilans bancaires que Juglar a basé sa théorie du cycle.  L'accroissement anormal est le signe précurseur de la crise. Quand les encaisses se sont reconstituées et les bilans dégonflés, la reprise devient possible.

Au début 2007 les encaisses des banques sont au plus bas et les besoins de refinancement gigantesques. 

Qui ne voit l'application directe des observations de Juglar, reprises par Leroy-Beaulieu ,  sur le désastre  qui s'annonce ? 

L'ennui c'est qu'alors, plus personne ne s'occupait plus d'économie bancaire et que tous les économistes officiels regardaient ailleurs. Quand aux grands manitous de la finance modélisée et hyper- mathématifiée, qu'ils appartinssent à l'école micro-économique ou aux sous produits keynésiens, l'idée même de s'intéresser à des choses pareilles ne leur seraient pas venue. 

Lisons la suite :

" A un certain moment quand tous les ressorts du crédit sont au maximum de tension un incident quelconque  atteint une des pièces de tout cet échafaudage et le fait s'écrouler".

Subprimes, Islande, Grèce, tous ces secteurs à l'extrême limite du crédit possible ont vascillés en 2007 se sont effondrés en 2008.

"Une grosse faillite, comme celle de L'Union Générale et de la Banque de Lyon et de la Loire en 1882  rappelle à la prudence ceux des prêteurs qui ont encore quelques réflexion".  Eh oui : Baring, ou LTCM ou Lehman Brothers…

"De proche en proche le crédit se restreint et il se produit une panique". 

Ces temps de panique imposent une grande libéralité dans l'approvisionnement monétaire pour éviter la ruine des épargnants et les conséquences du "crédit crunch".

On constatera qu'on na pas attendu Milton Friedman pour proposer des politiques de "quantitative easing" ! Bagehot l'avait fait dès les crises du milieu du XIXème siècle ! Et cela faisait partie de la vulgate.

"Les crises se dénouent en une période de 18 mois à 2 ans en général, quelque fois trois ou quatre". 

Comment ? Toute seule. Il faut laisser la réduction des bilans bancaires se faire, tout en assurant la liquidité générale et en engageant de façon raisonnable des travaux publics pour réduire les effets du chômage de façon utile à l'avenir et soutenir l'activité.  Pas de protectionnisme ni trop d'interventionnisme de l'état qui a tendance à en faire trop et mal.

Bien entendu  ces observations doivent être actualisées. Nous sommes dans un monde où la monnaie métallique a disparu au profit de monnaies administratives pilotées par des experts. Les gouvernements prennent une part colossale de la richesse produite. Les changes sont flottants.  Des institutions comme la zone Euro ont été créées.  L'Union soviétique s'est effondrée. Des pays immenses se sont ouverts au commerce mondial.  L'informatique a changé les conditions des transactions financières.

Nous n'admettons plus des récessions de 30 à 40% du PIB industriel, tempérées partiellement par la prédominance de l'économie agricole.

 

Mais le moteur reste à peu près le même que celui montré par Leroy-Beaulieu. Ses leçons ont été perdues au moment où par Hubris les économistes et les dirigeants politiques ont cru qu'ils savaient juguler les crises.  On a créé alors les conditions d'un retour aux crises toujours aggravées par le désordre monétaire et amplifiées par la mondialisation, avec une gravité croissante  aboutissant au chaos actuel.

La science économique existe. Encore faut-il la pratiquer !

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile



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