Crise, Etats, Nation.
Nous vivons depuis le début des années 50 en Europe, des années 70 dans le monde occidental et des années 90 dans le monde entier, dans l'idée d'un monde où les nations ne sont plus le creuset de la vie sociale et les Etats des touche à tout dangereux qu'il importe de contenir.
L'Europe de Monnet est une Europe supranationale. La CEE est une organisation où l'on prive les Etats de tout droit d'initiative dans les domaines mis en commun. On cherche d'ailleurs à les affaiblir en poussant des régions, historiques dans certains cas, totalement artificielles dans d'autres. Le pouvoir quitte les Etats pour une commission d'experts européistes par construction (ils ne seraient pas choisis dans le cas contraire). Le renoncement à toute volonté nationale est sacralisé comme "devoir européen". Un Parlement problématique sert de caution démocratique à une gestion loin des nations. On gère par la norme. La réglementation est pointilleuse et tombe dans un détail invraisemblable. C'est qu'on a accepté l'intervention des lobbies. Tout le monde fait ce qu'il veut à condition qu'il respecte la norme. Un tribunal européen s'inscrit au dessus des nations et de leur souveraineté pour sanctifier la règle et condamner les dérives nationales éventuelles. Il n'y a aucune subsidiarité dans les domaines concédés.
En perdant leur droit d'initiative, les Etats perdent en vérité tout pouvoir puisqu'il ne leur reste que celui de dire non et on ne peut pas dire non tout le temps surtout si la majorité des autres a dit oui. M. Allègre a parfaitement montré qu'un Commissaire européen pouvait s'assoir sur un projet présenté par la totalité des ministres des états européens et considéré comme très utile par tous les chefs d'Etat. Résultat les ministres, c'est-à-dire chaque état, regarde ailleurs et attend de voir ce qu'on a concocté en dehors de leur vue. La nation est totalement laissée hors du coup et ne peut que réagir dans la rue quand elle découvre dans les faits une réglementation conçue ailleurs par des fonctionnaires qu'elle ne peut pas sanctionner. Les élections au Parlement européen sont organisées pour sanctifier cette dépossession. La proportionnelle intégrale évite qu'il y ait un vote tranché. Les élus se regroupe dans l'assemblée européenne selon des bannières différentes de leur étiquette électorale.
Cette gestion par la norme a été étendue par le traité de Maastricht à la sphère financière. La Banque Centrale Européenne est gérée par des experts sans aucun contact constitutionnel ni avec les états ni avec les nations. Les états européens ont perdu le pouvoir monétaire et, dans la pratique, la gestion des changes.
Par une interprétation extensive de la politique de concurrence les fonctionnaires de Bruxelles et de la Haye ont prétendu détricoter toute possibilité rapide de politique fiscale et industrielle. On l'a vu dans l'affaire de la TVA sur la restauration et dans le blocage de la création d'entreprises européennes de dimension mondiale. Ne parlons pas de l'agriculture.
L'idée européenne est que des individus, jouissant de libertés protégées, les exercent librement dans le cadre d'une règlementation détaillée. Et adviennent que pourra.
La suppression des changes fixes et ajustables comme mode de fonctionnement monétaire international, au début des années 70 correspond aux même principes. Les Etats sont contents de se débarrasser de la terrible contrainte des changes. On peut laisser filer les déficits commerciaux et de paiements. En vérité ils se sont débarrassés en même temps de leur souveraineté. Les conditions de leur compétitivité seront dictés désormais par "les marchés". Certes comme pour l'Europe, on a défini des règles et des organismes pour les élaborer ou les faire respecter. Mais c'est une gestion par la norme sans le pouvoir étatique pour les faire respecter. La liberté totale des mouvements d'hommes, de marchandises et de capitaux tournent automatiquement à la foire d'empoigne. Plus personne n'est là pour corriger des déséquilibres dangereux. Ceux-ci peuvent exploser à l'envie.
On peut voir cette organisation comme le triomphe des droits de l'homme. Après tout chaque homme a un droit naturel au monde et à faire ce qui lui plait dans le cadre des règles.
On peut aussi la voir comme un complot des plus forts pour imposer leur pouvoir aux Etats et au monde, sans être sous la pression des peuples et des nations.
Dans un cas comme dans l'autre la crise démontre au prix fort que cette forme d'organisation est impossible en cas de crise systémique, d'abord parce qu'elle en permet l'émergence, ensuite parce qu'elle ne permet pas d'y faire face et enfin parce qu'elle crée la condition de mouvements de foule populistes qui peuvent transformer en drames le conflit entre peuple et marchés.
Il faut acter la réalité des Etats. La politique européenne ne peut pas s'imaginer et s'exercer en dehors des Etats. La norme n'est pas tout. Il faut le pilotage. Et le pilotage ne peut pas être confié soit à personne soit à des fonctionnaires ou des experts, la facture étant présentée aux peuples sous forme de chômage et d'impôts .
Le salarié qui perd son emploi, l'entrepreneur qui perd son entreprise, l'épargnant qui perd son épargne, le retraité qui voit son niveau de vie altéré parfois gravement, ne se sentent en aucun cas responsables de la crise. Ils la subissent sans la comprendre. Les gouvernements n'ont d'autres moyens d'action que la fiscalité. Ils assomment les citoyens parce qu'au fond ils ne savent plus faire que cela, tout le reste leur étant interdit, y compris celui de "faire de la dette" en distribuant des amusettes électorales.
Le grand débat aujourd'hui n'est pas de renoncer aux droits de l'homme, à l'idéal européen, à l'ouverture du monde. Il est d'en fixer les conditions d'exercice. On connait désormais ces conditions.
Il faut d'abord créer les conditions monétaires d'un échange équilibré à long terme entre les nations. Ceci ne peut se faire que par des accords de responsabilité des Etats sur des taux fixes et ajustables des monnaies. Redonner une responsabilité aux Etats dans ce domaine entraîne par capillarité une reprise en main totale des mécanismes économiques, qu'il s'agisse des mouvements de personnes, de biens ou de capitaux. Certes il faut continuer à promouvoir des normes communes mais tout dérapage sur les comptes extérieurs doit être rattrapé.
Dans un monde de changes fixes mais ajustables les structures de l'Europe paraissent totalement décalées : il n'y a pas de pilote dans l'avion. L'illusion d'une gestion par la seule norme éclate au grand jour. S'il doit y avoir une gestion pluri-étatique des grands équilibres, elle ne peut se faire qu'en responsabilité. Les instances de pilotage commun doivent dépendre directement des chefs d'états et des instances intergouvernementales. La Commission doit être laissée totalement en dehors du coup. Il ne s'agit pas de priver les Etats de leur prérogative mais d'agir au jour le jour avec le contrôle du peuple et non d'une instance judiciaire. Les schémas européistes repris par Mme Merkel sont inopérants.
Bien sûr il y aura de facto des limitations apportées au mouvements de personnes, de marchandises et de capitaux. On sera obligé de gérer des écluses à chaque fois que nécessaire. Et alors ?
La crise force automatiquement à repenser l'organisation mondiale du commerce et des monnaies. Elle force automatiquement à repenser les institutions européennes. Non pas par l'abandon des principes mais par le retaillage des modalités et en basant l'ensemble sur la responsabilité des Etats et le pouvoir d'adhésion des peuples et pas seulement des individus.
Ce que montre les présentes élections présidentielles ce sont des tiraillements en ce sens. Les foules dans la rue trahissent la volonté des peuples de ne pas être totalement impuissants dans un misérabilisme consterné et délétère. L'échec des écologistes trahit le rejet d'une gestion par la seule norme poussée aux extrêmes. Le renversement des équipes en place est de règle depuis 1974. Le peuple français ne veut pas de dirigeants élus impuissants. Le peu d'appétence pour Hollande ou Sarkozy traduit bien ce rejet de l'impuissance hâbleuse d'un côté, de l'impuissance couleuvrine de l'autre.
La crise réhabilite automatiquement les Etats et mobilise les nations.
La difficulté c'est qu'enserrés dans des traités et des habitudes, les élus sont strictement incapables de tenir un langage cohérent et crédible dans la reconstruction d'un monde qui ne peut plus être fondé sur la seule norme et le laisser faire, laisser aller de forces internationales incontrôlées.
Qui est capable de porter le projet d'une réforme du système monétaire international ? Qui est capable de porter le projet d'une réforme profonde de la gouvernance de l'Europe ?
Nicolas Sarkozy a largement compris ces nécessités. Il s'est tapé contre les vitres de verre pendant cinq ans comme une guêpe prise au piège. Mais on voit l'extrême limite de son discours en la matière. On ne peut pas proposer un nouveau Bretton-Woods et dans la même phrase indiquer que le dollar conservera ses privilèges et que les changes seront flottants. On ne peut pas dire qu'on a créé une gouvernance européenne économique alors qu'on a signé un traité purement déflationniste qui laisse les états encore plus impuissants qu'avant. Il s'est cassé les dents sur ces contradictions. François Hollande a-t-il seulement des dents ? Les habiletés tactiques d'un apparatchik de parti socialiste lui permettront sans doute d'atteindre la présidence, de confier le Parlement à la mère de ses enfants et la mairie de paris à une ancienne bonne amie. Mais où sont ses idées, ses leviers, ses plans pour résoudre les difficultés évoquées ?
Jamais crise n'aura autant parlé sur ce qu'il faut changer et jamais elle n'aura révélé l'absence d'hommes d'état capables de porter les nécessaires changements.
Il faudra donc attendre encore les malheurs provoqués par la pesanteur des choses pour que cela bouge.
Une politique du pire per abstentio. La pire des pires politiques.
Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Je comprends la nécessité de taper fort pour tenter d'obtenir des changements. Mais je ne crois pas à l'hypothèse "complotiste" et beaucoup plus à des conceptions bien intentionnées mais erronées. Une monnaie internationale est toujours au dessus des états. La monnaie contraint toujours l'état et l'état contraint toujours la monnaie. Ce couple peut être infernal. Je reproche aux élégies classiques et néoclassiques de croire qu'une monnaie peut être créée en tirant un trait sur les états. Les manipulations monétaires des états peuvent être hyper dangereuses pour l'économie. Il faut créer un système qui force tout le monde à être un minimum sérieux.
Dans un système globalisé et il l'est depuis des lustres, la contrainte extérieure est toujours très forte. Ce qu'il faut faire c'est remplacer la contrainte dite "des marchés" qui en vérité n'ont aucune direction et agissent comme une souris à qui on envoie des électrochocs tout en la tentant avec des bouts de gras, par un système organisé qui impose des contraintes politiques d'équilibre et interdit des spirales dangereuses.
Les accords de Bretton Woods ont montré qu'un système inégalitaire où les Etats-Unis ne sont pas au même niveau que les autres n'est pas souhaitable. Le nouveau système doit être paritaire. Toutes les tensions actuelles dans l'organisation du FMI sont justement autour du paritarisme. Les Etats-Unis aujourd'hui refusent, et croient qu'ils ont la puissance pour tenir sur cette ligne aussi longtemps qu'il faudra, crève le monde. Le font-ils sous la pression des grandes banques d'investissements américaines ? Je ne le crois pas. Ils le font par Hubris politique comme d'habitude.
Cela fait vingt ans que je crains qu'il faille une crise très forte pour qu'ils comprennent leur vrai intérêt. Celle-ci est-elle assez forte ? Je n'en suis pas sûr.
On peut certes attaquer la finance et Wall Street pour finalement forcer les Etats-Unis à changer. C'est une vision tactique. Les régulations qui s'imposent aux financiers sont très fortes, presque trop. Elles deviennent étouffantes. Passer par le bas pour toucher le haut me parait difficile.
Quelle tactique ? Je n'en sais rien. Je crois à la force de la pensée juste et elle doit sortir des lieux où elle est censée souffler, notamment les grandes institutions économiques. Mais elles sont sous la coupe américaine ou tenues par de purs carrièristes qui ne veulent pas prendre le risque de s'écarter de la vulgate et de déplaire aux maîtres du jeu.
L'Europe officielle n'a plus de pensée du tout et s'est paralysée avec l'Euro, un machin qui risque d'exploser et qui affaiblit la voix de l'Europe jusqu'à la rendre inaudible.
Alors il ne reste plus que la pression des réalités. Malheureusement cette pression n'est efficace que si la situation est grave.
Je l'ai dit et écrit souvent : nous sommes à l'échelon global comme était la France militaire dans les années trente : empoisonnée par une conception dominante illusoire et dangereuse. Il ne fallait pas parler d'offensive. On a été balayé en 8 jours par une offensive. Au fond du trou on a changé de doctrine. Mais on n'était plus une grande puissance...
Le tabou actuel porte sur les monnaies flottantes. On croit à tort que le seul système possible est un système de changes flottants de monnaies administratives gérées par des banques centrales "indépendantes", toujours prises à revers par des nécessités pressantes.
Il est interdit de s'attaquer à ce tabou. Pas un mot jamais nulle part. Et si vous le faites aussitôt vous passez pour un vieux fou. Comme pour less généraux ou capitaines qui parlaient de division blindée et d'offensive dans les années trente, l'accès aux médias vous est interdit, sauf pour faire de la chaleur qui fait vendre. Surtout pas de lumière ! Si vous forcez le blocus, c'est l'affaire Maurice Allais qui recommence : alerte au vieux fou. Du coup ce sont de vieux fous comme Cheminade qui parle en public . Dialectique fatale.
Il faut que ce tabou tombe. Peut-être que tous les moyens sont finalement bons...